Intervention de Antoine Lefèvre

Réunion du 5 avril 2011 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voter les lois de bioéthique est une grande fierté pour un parlementaire, mais c’est aussi un grand défi.

Voilà maintenant vingt-huit ans que la bioéthique fait partie de notre quotidien, depuis la création du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Toutes nos sociétés sont concernées.

Certaines nations ont fait le choix d’une approche éthique moins exigeante et moins régulatrice que la nôtre. En effet, dans ce domaine, il n’existe pas de consensus international. La France, quant à elle, a pris le parti de respecter certaines valeurs essentielles qui cimentent notre société.

En effet, la bioéthique, la « morale du vivant », touche à l’intime conviction de chacun, et nous nous devons d’être prudents sur des sujets tels que le don croisé d’organes, la recherche sur l’embryon et les cellules souches, le diagnostic prénatal, la levée de l’anonymat, la conservation de gamètes et d’embryons, le transfert post mortem d’embryons ou encore la gestation pour autrui.

Les avancées scientifiques et les développements rapides des techniques médicales fascinent, et ce projet de loi suscite de grandes attentes, parfois contradictoires.

Nous devons donc, à travers notre législation, affirmer un certain nombre de valeurs, qui ne peuvent relever du « moins-disant » éthique, indépendamment de ce qu’autorisent nos voisins étrangers.

La prudence est requise sur tous ces sujets – par exemple, sur celui de l’euthanasie, qui a récemment déclenché de grands débats –, et l’actualité nous le rappelle parfois de façon dramatique.

Prudence, donc ! Mais sachons aussi, pour nos compatriotes, rester audibles.

Dans le temps qui m’est attribué, je ne développerai pas tous les thèmes de cette révision, révision pour laquelle nous serons amenés à nous retrouver de plus en plus fréquemment étant donné les nécessaires ajustements consécutifs aux avancées scientifiques importantes.

En tant que jeune parlementaire, mais aussi en tant que jeune père de famille, je vais m’efforcer de relayer, notamment, les attentes, très souvent fort douloureuses, de tous ces couples en désir d’enfant.

Je m’attacherai tout d’abord à la question de la procréation médicalement assistée. Actuellement, 20 000 enfants sur 800 000 naissent grâce à cette technique. Cela est loin d’être négligeable. Il peut s’agir d’insémination ou de fécondation in vitro, éventuellement avec don de sperme ou d’ovocytes. J’insisterai sur la possibilité d’autoriser – dans des limites temporelles très précises – le transfert d’embryon après le décès brutal du père, dès lors que celui-ci avait préalablement donné son consentement et qu’un processus de transfert, correspondant à un véritable projet parental d’assistance médicale à la procréation, était entamé.

Certains objecteront qu’une telle mesure conduit à « faire naître des orphelins », des enfants sans père. Reconnaissez néanmoins que ces enfants ne seraient pas seuls à être élevés dans une famille monoparentale et que bien d’autres enfants se retrouvent sans père.

Un enfant né dans de telles conditions reste l’enfant de l’amour de la mère et du père décédé, et un enfant peut se construire autour d’un père absent. Un père décédé est encore un père et il demeure une référence pour l’enfant.

Dans un avis très récent, le Comité consultatif national d’éthique affirme que « dans le cas du transfert d’un embryon conçu du vivant du père, le futur enfant a déjà une forme d’existence procédant des deux membres du couple ». Cette forme d’existence est bien différente de celle d’un enfant à naître dont la conception procéderait de l’utilisation post mortem du sperme d’un père mort depuis plus ou moins longtemps.

Enfin, lors des états généraux de la bioéthique, nos concitoyens ont qualifié l’actuelle impossibilité de transfert de « violence », estimant que « l’autorisation donnée à une femme de poursuivre une grossesse est apparue comme une évidence ».

La commission spéciale de l’Assemblée nationale a proposé d’ouvrir cette possibilité et elle a été suivie par les députés en première lecture. Je soutiendrai donc un amendement tendant à rétablir l’article 20 bis.

Je souhaite également insister sur le principe du maintien de l’anonymat relatif au don de gamètes, anonymat qui prévaut également pour les dons d’organes.

À ce jour, 50 000 personnes sont nées à partir de gamètes provenant de donneurs. Il ne faudrait pas, en revenant sur l’anonymat, même de façon partielle comme cela est aujourd’hui proposé, installer une sorte de discrimination entre les enfants ayant accès au nom de leur donneur et ceux qui, du fait du refus de ce dernier, n’y auraient pas accès.

Les conséquences de la levée de l’anonymat ne se résument pas à une chute prévisible du nombre donneurs. En effet, la préoccupante question du secret demeure. Alors que, dans le système actuel, moins d’un quart des enfants conçus à partir d’un don de gamètes sont informés de leur mode conception, on peut présumer que, dans le cas d’une levée de l’anonymat, les parents renonceront à livrer cette information à leur enfant.

Si le principe de l’anonymat est sans doute imparfait, il permet d’éviter des dérives et des conduites non éthiques. Je salue donc la position de la commission des lois sur le maintien de la suppression des articles 14 à 18, relatifs à la levée partielle de l’anonymat des donneurs de gamètes. Je proposerai également des amendements en ce sens puisque la commission des affaires sociales, saisie au fond, s’est prononcée dans un sens différent.

S’agissant du don d’organes, force est de constater le manque récurent de greffons. Ainsi, en 2010, faute de greffe, 277 patients sont décédés alors que seulement 28 % des Français ont spécifiquement exprimé leur refus de prélèvement.

La loi autorisant le don n’est pas bien appliquée, notre population n’est pas suffisamment informée, alors même que le principe de la transplantation est largement accepté.

Comme l’a signalé notre collègue député le professeur Jean-Louis Touraine, par ailleurs président de France transplant, qui n’a pas le souvenir d’un seul patient ayant opposé une réflexion philosophique lorsqu’une greffe lui a été proposée, nul n’est contre la transplantation quand il s’agit d’en bénéficier !

Or les circonstances dramatiques dans lesquelles la famille est appelée à faire éventuellement part d’un refus de don – exprimé de son vivant par la personne décédée – la conduisent souvent à prononcer un refus, et cela, parfois, sans doute, en contradiction avec la volonté du donneur potentiel.

Faciliter les dons croisés d’organes entre personnes vivantes et encourager le don d’organes reste donc une priorité.

Je parlerai rapidement de la gestation pour autrui, interdite en France. Le rapport publié en 2009 par le Conseil d’État insistait sur les dérives contraires aux droits de l’enfant qu’elle sous-tend.

Le 10 mars 2009, l’Académie de médecine s’est prononcée contre la législation des mères porteuses, alors qu’un rapport d’information du Sénat, établi en 2008, s’y déclarait favorable, sous réserve d’un encadrement très strict, et que le Comité consultatif national d’éthique estimait, en mai 2010, que la gestation pour autrui comportait des risques éthiques qui ne seraient abolis par aucun garde-fou législatif.

Je me félicite donc que cette disposition, pour des raisons évidentes de non-marchandisation du corps de la femme, ne figure pas dans le texte de la commission. Vous l’avez rappelé tout à l’heure, madame le secrétaire d’État.

Toutefois, cette interdiction française n’empêche pas les dérives et pousse à une sorte de « délocalisation procréative » qui n’est pas exempte de risques

La décision qui sera rendue demain par la Cour de cassation sur la retranscription de l’acte de naissance de deux petites filles nées d’une mère porteuse aux États-Unis est donc très attendue. Il faudra bien un jour trouver un cadre juridique pour les enfants nés de cette manière, car ils sont bel et bien là ! Quid de leur état civil ?

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