Intervention de Roselle Cros

Réunion du 5 avril 2011 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi

Photo de Roselle CrosRoselle Cros :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, rendez-vous désormais régulier, la révision des lois de bioéthique est un temps à part de la vie parlementaire.

Elle s’impose aujourd’hui non seulement au vu des évolutions rapides de la science et des technologies médicales, mais aussi au regard des changements des mentalités et des demandes de notre société. Le contexte de 2011 n’est plus celui de 2004.

Faisant appel aux principes éthiques et aux convictions philosophiques ou religieuses autant qu’à l’engagement politique, la réflexion de chacun transcende les clivages partisans.

Avant d’entrer dans l’examen du texte, j’aimerais rappeler que la France est le premier pays d’Europe à s’être doté d’une législation complète en matière de bioéthique, posant des principes forts, rappelés par M. le rapporteur, privilégiant le projet collectif tout en s’efforçant de respecter l’autonomie individuelle.

Nous nous félicitons donc que, sous l’impulsion de la commission des affaires sociales, le projet autorise la ratification de la convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine, inspirée des lois de 1994.

Quels sont les principaux enjeux scientifiques et sociaux du texte ?

Le premier est le droit à l’information.

Je souscris pleinement à la réécriture de la procédure d’information de la parentèle en cas d’anomalie génétique grave. Il est toutefois souhaitable de la compléter en prévoyant le cas où un donneur de gamètes apprendrait qu’il est atteint d’une telle affection : il faudrait alors permettre à l’enfant ou aux enfants issus de ses dons d’être informés. Je défendrai un amendement en ce sens.

De même, compte tenu de la pénurie d’organes disponibles pour les greffes vitales, je suis très favorable à l’élargissement du cercle des donneurs vivants par l’autorisation encadrée du don croisé d’organes.

L’insuffisance de dons d’organes n’en restera pas moins problématique, et c’est pourquoi nous attendons beaucoup de la mission confiée par le présent texte à l’Agence de la biomédecine, qui vise à amplifier les campagnes de sensibilisation menée par cette dernière en direction des jeunes. Je voudrais d’ailleurs rendre hommage à cette agence, qui encadre les quatre domaines du prélèvement et de la greffe, de la procréation, de l’embryologie, de la génétique, et dont le sérieux et la qualité du travail sont unanimement reconnus.

Le don étant un acte de générosité encore peu répandu dans notre culture, il y a lieu d’encourager les prélèvements de sang de cordon, qui permettent d’effectuer des greffes allogéniques, dont le nombre a plus que quadruplé ces dernières années, avec des résultats thérapeutiques incontestables.

Pour cela, les campagnes de sensibilisation doivent être renforcées, tant en direction des cliniques dotées de services d’obstétrique qu’auprès des sages-femmes, souvent réticentes du fait de réelles difficultés techniques.

Le droit à l’information et le désir de savoir posent des questions plus délicates lorsqu’il s’agit du diagnostic prénatal. Les députés proposent que des examens de biologie médicale et d’imagerie ne soient proposés aux femmes enceintes que « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». Mais c’est faire porter au médecin une responsabilité qui comporte une large part d’incertitude et de subjectivité. Cela revient aussi à introduire une inégalité entre les femmes les mieux informées et les autres. C’est à la femme, bien éclairée et conseillée par le médecin, que doit revenir la décision. Il ne s’agit pas d’un dépistage systématique mais bien d’une proposition. Et quand bien même une anomalie serait décelée, la femme a toujours le choix – c’est heureux ! – de poursuivre ou non sa grossesse et de se faire accompagner pour assumer sa décision et, le cas échéant, mieux préparer la naissance.

Je soutiens également la position de la commission des affaires sociales en ce qui concerne l’implantation embryonnaire post mortem. L’autoriser, c’est faire peu de cas de l’intérêt de l’enfant, délibérément privé de père et chargé d’une lourde mission, celle d’être un « enfant-souvenir ».

Un autre volet du droit à l’information concerne le régime du don de gamètes. L’Assemblée nationale a voulu conserver le principe de l’anonymat. Notre commission a adopté une position totalement inverse, en autorisant la révélation de l’identité à l’enfant devenu majeur, s’il la demande.

Il nous faut concilier les intérêts des trois parties concernées : celui d’un couple qui ne souhaite pas nécessairement partager un secret susceptible de déstabiliser l’équilibre familial, celui du donneur, qui, ignorant son devenir, ne peut présager de sa réaction dix-huit ans plus tard, mais aussi celui de l’enfant, qui, se sachant issu d’une assistance médicale à la procréation, éprouvera, comme tout un chacun, le désir inné de connaître ses origines.

Le texte initial du Gouvernement me semble être celui qui concilie le mieux les intérêts des trois parties, sans risquer de dissuader les donneurs. Ainsi, le donneur décide de permettre soit l’accès à son identité, soit l’accès à tout ou partie des données non identifiantes prévues par l’article. Je proposerai donc de rétablir ce texte.

Le deuxième enjeu fort de ce projet est le devenir de la recherche sur l’embryon et les embryons surnuméraires, avec le possible développement de la médecine régénérative, soit à des fins thérapeutiques, soit dans le but de réparer des tissus ayant subi de graves lésions. Eu égard à l’importance de l’enjeu – l’avenir de ce champ de la recherche –, on ne peut interdire totalement cette piste.

Toutefois, considérant qu’aucun début de résultat n’a été constaté et prenant en compte le risque de heurter les convictions de nombre de nos concitoyens, le statut actuel, fait d’une interdiction assortie, le cas échéant, de dérogations, paraît demeurer approprié.

Le dernier enjeu est sociétal : il concerne la gestation pour autrui, pour laquelle il existe une demande, certes réelle, mais faible en nombre. Je ne suis pas favorable à l’instrumentalisation du corps de la femme, doutant de l’existence de motivations non lucratives, et je suis sensible aux arguments des psychanalystes et psychiatres qui soulignent les dangers de la GPA pour l’enfant, pour la femme qui le porte et pour les familles concernées. Enfin, je pense qu’aujourd’hui notre société elle-même n’est pas mûre pour accepter cette pratique.

En conclusion, j’aimerais remercier la commission des affaires sociales et sa présidente, Muguette Dini, et féliciter son rapporteur, M. Alain Milon, qui a su mener, dans le respect des convictions de chacun, les nombreuses auditions qui ont instruit et nourri notre réflexion.

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