Intervention de Jean-Louis Lorrain

Réunion du 5 avril 2011 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi

Photo de Jean-Louis LorrainJean-Louis Lorrain :

Il faut dire que, à notre époque, la biologie alliée à l’imagerie fonctionnelle devient dominante. Toutefois, elle ouvre aussi la voie à une vision réductrice de l’individu.

Le succès des neurosciences ne peut se concevoir qu’encadré par une « neuroéthique », qui reste à définir face aux transgressions potentielles.

Certains déçus du prétendu choix de la stabilité montrent l’incompréhension du questionnement. Les lois de bioéthique devraient répondre à de nouvelles demandes sociales, au risque d’être à la traîne. Au désir de certains relevant avant tout de questions sociales, nous préférons la protection du plus faible, donc de l’enfant. Cela nécessite de légiférer en limitant notre liberté individuelle ; mais c’est un choix !

Le don de gamètes, c'est-à-dire de cellules permettant le développement de la fécondation, doit rester neutre. Ces cellules ne sont pas porteuses de filiation, ni d’une histoire sociale et affective. La levée de l’anonymat ne doit pas induire un bouleversement de l’existence de l’enfant. Néanmoins, on doit entendre un adulte qui est à la recherche de ses origines et on doit pouvoir l’accompagner. Cela ne signifie pas, pour autant, qu’il soit nécessaire de lever l’anonymat, car le retentissement de cette levée ne concerne pas seulement un donneur et un receveur. En effet, pourquoi serait-il si suspect d’écouter les CECOS, acteurs depuis plusieurs décennies et dont les compétences sont reconnues ?

Renoncement, refus, statu quo, immobilisme, principe intangible… Le changement pour quoi faire ? Pour un nouveau modèle de la responsabilité.

Au fil des siècles, la responsabilité s’est affrontée au changement. Même si l’on ne légifère pas en fonction de la sociologie du moment et de ses nouveaux « produits », tel le don d’engendrement, on peut néanmoins dire que l’approche éthique est mouvement : elle se situe dans l’agir et, donc, dans le changement. Les fins ne sont pas, à elles seules, le changement.

II nous paraît bien inutile de parler de familialisme, de traditionalisme. Nous préférons affirmer des valeurs et des principes de gratuité et de don. Si le débat éthique est celui du compromis en fonction d’intérêts particuliers, au détriment de la protection du plus faible, de la confiance, nous allons à l’échec. S’il existe une éthique minimaliste, ce sera la bioéthique. La science peut nous libérer, mais les scientistes peuvent nous soumettre.

L’intérêt du débat est de faire apparaître un positionnement clair. Le rapporteur, qui a notre estime, pose clairement le principe d’intégration de la recherche sur l’embryon. II lève l’anonymat par l’accès à l’identité de tout tiers dont les gamètes ont permis la conception. La levée d’une interdiction serait la réponse à une éventuelle hypocrisie institutionnelle, mais elle ne peut venir que des acteurs.

Au nom de la cohérence, de la lisibilité et de la simplification, nous ne pouvons abandonner nos valeurs. Même si c’est discutable, nous restons profondément kantiens : la fin ne justifie pas les moyens.

Pour le professeur Sicard, « la bioéthique n’est pas une énonciation, elle est une dénonciation », et nous tentons, modestement, de mettre en œuvre cette définition.

Lorsque le savant médiatique parle de ses recherches, on l’écoute, on l’aide : parler du saint Graal – vase ayant recueilli le sang du Christ – à propos des cellules embryonnaires est peut-être excessif. Mais ces chercheurs pensent-ils un instant aux autres chercheurs, en sciences humaines par exemple, qui inspirent aussi ce débat, mais avec des moyens tout à fait dérisoires ?

Le principe du respect, de la dignité n’a pas la même signification en fonction de notre histoire ou de notre culture personnelle. C’est pourquoi, très en amont, il serait nécessaire d’accorder à l’éthique le titre de matière reconnue par l’université, ce qui éviterait un usage abusif et l’alimentation de postures diamétralement opposées.

Malheureusement, nous nous reconnaissons peu, malgré le travail sincère qui ressort de certaines des propositions de la commission, outre le refus de l’implantation post mortem ou celui de la gestation pour autrui. Pourquoi ne pas faire confiance au médecin qui œuvre dans le cadre d’une relation privilégiée avec le malade, en lui évitant d’imposer des prescriptions légales ?

Les convictions dites « de la société » sont celles de certains chercheurs qui prescriraient en même temps les normes. Or ces acteurs sont soumis aux pressions des investisseurs, qui ne sont pas obligatoirement des philanthropes.

L’éthique comprise comme une gêne est une profonde erreur. Elle n’est pas une partie de la politique ; elle est politique ! Elle nous protège dans l’incertitude, dans le doute. Elle inspire, mais, si elle peut dire le bien, elle ne se targue pas de dire la vérité.

Nous devons écouter les philosophes, tel Emmanuel Hirsch, qui souhaite l’organisation régulière d’états généraux de la bioéthique soumis à l’arbitrage du Parlement. II faut développer une culture de la réflexion éthique, afin d’affaiblir les positions extrêmes où prévalent les idéologies, les intérêts et les pressions.

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