Intervention de Sophie Joissains

Réunion du 5 avril 2011 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi

Photo de Sophie JoissainsSophie Joissains :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne suis pas une scientifique, mais une juriste, que la lecture de ce projet de loi a, je vous l’avoue, ébahie.

J’ai eu la vive impression de lire le scénario audacieux et brillant d’un film d’anticipation, qui aurait pu être l’œuvre de George Orwell. Nous sommes dans le réel, et pourtant il manque à ce scénario un ingrédient pour qu’il puisse être crédible, être à l’origine d’une fiction réussie : l’humanité.

Ce texte est un condensé de propositions censées pallier de véritables misères et désespérances humaines : des femmes dont le désir d’enfant ne peut être assouvi, des malades désespérés, en quête de panacée. Ces aspirations sont ô combien légitimes et les solutions esquissées ou apportées, parfaitement généreuses, ingénieuses, laborieuses.

Toutefois, si j’admire profondément le progrès scientifique, ces propositions me laissent un froid insidieux dans le cœur. Je n’y vois pas trace de ce qui doit faire loi, de ce devant quoi nous devons nous incliner, de ce à quoi il nous faut avant tout faire droit : l’intérêt de l’enfant.

N’étant pas scientifique, je le répète, je n’entrerai pas dans le détail de toutes les questions soulevées par ce texte. Celui-ci nous conduit, me semble-t-il, à nous interroger sur la transmission et sur ce que la société à venir réserve à nos enfants.

Quelle société peut, sans faillir, programmer froidement et minutieusement la venue au monde d’enfants dont le sort, déjà tracé, sera d’être abandonnés à la naissance par leur mère pour être donnés, confiés, voire vendus à une autre femme ? En effet, qu’elle soit légale ou illégale, cette pratique, dans le monde de convoitise qui est le nôtre, donne déjà lieu et donnera encore lieu à un commerce des plus sordides.

Quelle société peut programmer la venue au monde d’enfants dont les pères sont morts au moment de leur conception ?

Que veut une société dont les pères biologiques resteront, de manière programmée, et non accidentelle, anonymes pour leur progéniture ?

Sommes-nous dans une société où le droit à l’enfant prime les droits de l’enfant ? Là est la vraie question ! Car l’enfant a le droit de ne pas être abandonné, sauf cas de force majeure, le droit d’être pourvu, autant que possible, de parents bien vivants et structurants, le droit d’avoir des racines, de savoir, s’il le souhaite, d’où il vient, pour ne pas avoir le sentiment d’être né sans avoir été précédé d’une histoire, de n’être en quelque sorte de nulle part, comme s’il était issu de graines semées aux quatre vents.

La gestation pour autrui a peut-être été ou sera peut-être, en tant qu’acte isolé, un geste exceptionnel, un geste d’une grande beauté ; légalisée, banalisée, elle consacre l’abandon, voire la commercialisation de l’être humain.

Le transfert d’embryons post mortem peut être la survivance, la continuité d’un amour, d’un être aimé et hors du commun ; dans le réel, il reste un enfant orphelin.

Le transfert d’embryons post mortem légalisé consacre et banalise le statut d’orphelin.

L’anonymat du don de gamètes minimise, réduit à sa plus simple expression la fonction génitrice. La transmission, même sur le plan thérapeutique, demeure une responsabilité. L’origine biologique peut être primordiale pour un individu, que ce soit dans sa construction personnelle, dans sa conception du monde ou, plus prosaïquement, dans la collecte d’informations concernant sa santé. Personne n’a le droit de programmer cette mutilation psychique.

Pour tous ces enfants objets, où se situera l’altérité ? Que penser d’une société où les enfants naissent de procédures déshumanisées, où les droits fondamentaux existent de manière exorbitante pour les parents, au préjudice de ceux, inexistants, des enfants ?

La fin ne peut justifier les moyens. Cette phrase sera sans doute souvent répétée au cours de ce débat, tout comme celle-ci : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Ces deux maximes sont anciennes, elles n’ont jamais été révisées et n’ont pas pris une ride.

Les principes éthiques sont et doivent être inaltérables. Ce sont des lois d’airain qui ne peuvent changer au gré des soubresauts de l’actualité. Je me félicite qu’aucune révision ne soit prévue dans le temps. Afin que le foisonnement scientifique ne soit pas anarchique ou dangereux, nous devrons le confronter à la loi, mais s’il en est besoin.

Ne nous trompons pas de maître : la science ne peut que servir !

Beaucoup diront : « Cela se fait dans d’autres pays ». C’est ennuyeux en effet ; c’est sûrement une chose à considérer. Un jour peut-être les règles éthiques devront-elles se prendre à plus grande échelle. Néanmoins, en aucune manière, nous ne pouvons et ne devons transiger avec ce qu’il y a de plus sacré pour satisfaire une uniformité de pensée ou de mœurs.

Nous ne partageons pas tous les mêmes croyances, les mêmes combats, les mêmes aspirations spirituelles, mais nous avons tous, au moins, une idée de l’homme. Au nom de cette idée, nous ne pouvons oublier que tout être humain mérite respect, liberté, considération et, surtout, amour. Cela commence un peu plus tôt qu’à la naissance.

Les cellules d’embryon ne sont pas des cellules ordinaires !

Je veux maintenant vous citer l’extrait d’un débat scientifique qui a eu lieu en commission des affaires sociales : « [...] nous avons besoin de nouveaux embryons, tout simplement pour donner des moyens suffisants à la thérapie cellulaire. […] compte tenu des incompatibilités et en passant par les propriétés de l’antigène HLA, [il faudra] 22 000 donneurs potentiels pour prélever des cellules de vingt embryons compatibles avec 55 % de la population caucasienne ».

Le besoin de nouveaux embryons se fait jour. Pourra-t-on se contenter de l’existant ? Permettez-moi d’en douter.

Symboliquement, la vie ne peut être créée pour servir la maladie ou la mort. Voilà qui serait une vision d’horreur !

Tout cela est déterminant pour la société de demain. Pour toutes ces raisons, je voterai, si besoin est, contre la gestation pour autrui, contre le transfert d’embryons post mortem et pour la levée de l’anonymat du don de gamètes, pour l’interdiction de la recherche sur l’embryon et la promotion d’autres techniques.

En complément de ce texte, il faudrait introduire de véritables assouplissements en matière d’adoption.

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