Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une fois de plus, nous nous retrouvons pour examiner un texte sur l'énergie.
Après la loi relative au secteur de l'énergie, adoptée il y a un an, après celle instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, qui a permis d'inscrire l'accès aux tarifs régulés après le 1er juillet 2007 pour les nouveaux logements, nous examinons aujourd'hui, en deuxième lecture, un texte relatif aux tarifs réglementés d'électricité et de gaz naturel.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que la législation fixant le cadre énergétique de notre pays n'est pas figée. Elle aurait même plutôt tendance à être de plus en plus instable !
On peut d'ores et déjà gager qu'il y aura d'autres textes pour amender encore et encore une législation peut-être à la peine sur ce sujet, tant qu'il n'aura pas été examiné dans sa globalité, notamment en ce qui concerne le troisième paquet énergétique européen dont la mise en oeuvre contredit parfois les prévisions des zélateurs du libéralisme annonçant une baisse des prix pour le consommateur.
Je tiens à saluer la persévérance et la compétence de M. le rapporteur, Ladislas Poniatowski, qui s'est associé un maximum de collègues afin de faire la lumière sur un sujet aussi délicat que celui de l'énergie.
Chacun s'en souvient, la France possédait, il n'y a pas si longtemps, un dispositif public de production d'électricité et de gaz qui apportait une entière satisfaction à ses usagers. Il continue encore de le faire, mais pour combien de temps ?
Les équipements du territoire ont été massifs et les tarifs n'avaient pas pour objet la réalisation de profits. L'objectif était de mutualiser, de maintenir, de développer et de moderniser des réseaux et des centrales, lesquels, pour l'électricité tout au moins, ont permis à notre pays d'atteindre une forme d'indépendance énergétique.
L'existence du tarif déterminé par la puissance publique est partie intégrante du service public et garantissait la fourniture d'une énergie électrique à un prix stable et déconnecté des hausses successives du cours du pétrole.
Pourtant, la Commission européenne demeure inflexible sur son entreprise de libéralisation. Elle continue de vouloir démanteler les systèmes existants. Mais nous ne voyons vraiment pas pourquoi il faudrait caler les prix français sur un prix de marché dénué de fondement économique.
Le marché, fondé sur les coûts de production de la centrale la moins performante, a conduit à une augmentation de 117 % du prix du mégawattheure entre 2002 et 2007 ! Cela ne doit en aucun cas servir de modèle à la fixation des prix de l'électricité.
Au fond, l'action en manquement engagée contre notre pays n'est pas si étonnante : la Commission européenne veut supprimer toutes les spécificités nationales et ne fait donc que poursuivre dans sa quête du Graal.
En revanche, la position de la droite parlementaire française, monsieur le secrétaire d'État, est plus délicate. Partagée entre les défenseurs de l'action gaulliste d'après-guerre, qui restent attachés à l'indépendance de la France, et les promoteurs du dogme libéral, qui n'admettent qu'un État réduit aux missions régaliennes dans un marché mondial, elle se réfugie derrière le paravent de l'Europe pour retomber sur ses pieds.
Aujourd'hui, la dérégulation en cours pourrait, avec la complicité du Parlement, permettre à des sociétés dont l'objectif est et reste de faire de l'argent, d'utiliser nos investissements lourds à leur avantage, d'affaiblir les grands groupes traditionnels et de rendre leur clientèle captive.
Or cela pose problème - vous le savez bien, chers collègues ! Ces sociétés utiliseront sans vergogne le fruit des efforts considérables effectués par les générations passées de contribuables, qui ont constitué un parc structurant capable de répondre à nos besoins, tout en obérant l'approvisionnement à long terme des générations futures.
Au passage, est-il besoin de rappeler les dégâts que cette situation cause aux grands groupes historiques ?
Les concurrents d'Électricité de France demandent un droit de tirage sur le parc de l'acteur public à un prix inférieur au tarif - nous l'avons constaté encore ces derniers jours !
La mise en place d'un tarif de cession et d'un droit de tirage reviendrait à permettre un transfert de la compétitivité économique de la production nucléaire, voire de sa compétitivité écologique, sans que les bénéficiaires assument l'investissement, l'exploitation ou le traitement des déchets, ce qui n'est pas rien !
Il est vrai que la mutation en cours des entreprises va dans un sens qui avantage les actionnaires mais pénalise le service public.
On a coté l'industrie électrique et gazière en bourse, on a séparé les activités de production de la gestion des réseaux, on a créé un régulateur indépendant, mais on a abouti à la suppression de postes, à la fermeture d'agences, et certaines zones rurales sont parfois maltraitées.
Quant aux centres d'appels téléphoniques, merci bien ! On n'a plus affaire qu'à des automates impersonnels, bref à un niveau de service quasi virtuel, qui n'a plus rien à voir avec ce que l'on a connu dans le passé.
Une autre conséquence est que le prix du gaz ne cesse d'augmenter, et dans des proportions inédites. La dernière mésaventure en date est la hausse intervenue au 1er janvier 2008, même s'il y a eu quelques réductions.
Le Gouvernement a attendu le dernier moment pour fixer cette hausse le 27 décembre 2007, soit pendant la trêve des confiseurs, ce qui revenait à mettre les associations de consommateurs dans l'impossibilité de donner leur avis.
La Commission de régulation de l'énergie prévoit une nouvelle augmentation des tarifs au cours du premier semestre 2008. Je ne serais d'ailleurs pas étonné que cette hausse intervienne peu après le 16 mars prochain...
Est-ce ainsi que l'on traduit dans les faits le Grenelle de l'environnement, en postulant que les consommateurs restreindront leur consommation d'énergie en raison de la hausse des prix ? C'est inadmissible ! Cela pénalise toujours les mêmes, c'est-à-dire les plus fragiles de nos concitoyens.
Les prix du gaz naturel ont connu des hausses importantes au cours de ces dernières années : 6, 8 % en 2005 et 12, 7 % en 2006. Vous ne pouvez pas faire comme si vous n'y étiez pour rien !
Le contrat de service public signé en 2005 prévoit en effet que « l'État et Gaz de France conviennent de rechercher à l'occasion de chaque mouvement tarifaire la convergence entre les tarifs et les prix de vente en marché ouvert ». Une telle recherche de convergence rend factice tout effort de maîtrise tarifaire.
Les hausses ne sont pas simplement l'effet de la faiblesse de la production française ; elles sont aussi le fruit de la logique qui est la vôtre, mes chers collègues, à savoir celle du profit, soumise aux actionnaires.
La privatisation de GDF en est une preuve éclatante, malgré les paroles qui ont pu être prononcées et qui se voulaient rassurantes.
L'entreprise gazière demande depuis 2004 des hausses exponentielles qu'elle fonde sur l'envolée des cours du pétrole. Mais, comme toujours, avec les effets d'affichage, ce n'est qu'un angle de vision.
La vérité, c'est que, d'ici à 2010, vous voulez, dans la continuité des gouvernements précédents, faire plaisir aux marchés financiers. Vous utilisez le tarif comme un moyen de puissance publique pour le faire progressivement.
Bientôt, le tarif ne sera plus qu'un ersatz, un fantôme, mais le décret de privatisation de Gaz de France étant publié, le démantèlement sera finalisé.
Les « clients » subiront directement les décisions de MM. Poutine et Medvedev, au sein de Gaz de France ou ailleurs.
Je rappelle, tout de même, que les bénéfices de Gaz de France augmentent en même temps que les tarifs. Ces bénéfices s'élèvent aujourd'hui à trois milliards d'euros par an, nous dit-on.
Et en effet, pour les actionnaires, tout va bien ! Cotation, privatisation, dénonciation des tarifs : tout est bénéfice pour les actionnaires privés. Je ne parle évidemment pas des plus petits d'entre eux, qui ne détiennent pas 2 % du capital - salariés inclus - et n'ont aucun pouvoir de décision.
Le récent rachat en bourse au prix fort d'actions de Gaz de France pour en faire monter le cours dans le cadre de la fusion avec Suez par M. Cirelli pour près d'un milliard d'euros entraînera une progression de 10 % des dividendes des actionnaires. On peut dès lors se poser la question : où iront les 1 à 5 euros supplémentaires que doivent débourser depuis le 1er janvier les millions de Français qui se chauffent au gaz ? Dans le développement de l'amont gazier ou dans la poche des actionnaires ? J'ai bien peur de connaître déjà la réponse...
Monsieur le rapporteur, vous nous proposez un texte qui, dites-vous à juste titre, n'a qu'une ambition mesurée, un texte transitoire. Il n'empêche, votre texte met singulièrement l'accent sur tous les dysfonctionnements actuels, alors que nous avions un système stable, efficace, fiable et juste. Par-dessus tout, on ne peut s'empêcher de penser que l'année 2010, qui figure dans le texte, correspondra à un nouveau point de départ de la déferlante libérale.
En lisant les débats à l'Assemblée nationale, on apprend du rapporteur que la date butoir du 1er juillet 2010 avait été fixée parce que l'année 2012, initialement envisagée, était celle de l'élection présidentielle et qu'il ne fallait pas rouvrir le débat en cette période. Quant à 2011, c'était encore trop proche. On croit rêver ! On pourrait ajouter que, 2010, cela permet de passer les élections municipales.
Traiter de la fin du tarif réglementé de cette manière laisse plus que perplexe. C'est pourquoi nous voudrions monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, que vous abandonniez cette date butoir.
J'ai bien entendu les raisons qui justifient ce choix, qu'elles émanent du Conseil dans son rapport ou de la Commission européenne. Toutefois, si, sur le fond, nous partageons le sentiment qu'il faut protéger le tarif régulé, ...