Nous sommes nombreux à observer que l'ouverture des marchés à la concurrence dans le secteur de l'énergie ne se trouve finalement pas parée de toutes les vertus que l'on nous promettait.
Ainsi, la libre concurrence et les privatisations devaient faire baisser les prix partout en Europe, et d'abord en France, pays prétendument sclérosé par un monopole jugé inefficace et des entreprises publiques peu performantes.
Pourtant, en Europe, les pays qui ont libéralisé le secteur de l'énergie ont connu des augmentations sans précédent de leurs tarifs. Les plus importantes ont concerné le Danemark, où la hausse a été de 91, 5 %, et le Royaume-Uni, où elle a atteint 80, 7 %.
En France, depuis la libéralisation du marché pour les professionnels, les industriels ayant choisi d'abandonner les tarifs régulés ont eu à supporter des hausses de plus de 75, 6 % sur les cinq dernières années. Sur ce plan, j'ai évoqué tout à l'heure le cas des industries électro-intensives.
Concernant le gaz, l'augmentation des tarifs a atteint 30 % en dix-huit mois, alors que les profits de GDF se sont accrus au cours de la même période. Ainsi, pour l'année 2005, les dividendes versés aux actionnaires ont enregistré une hausse de 60 %, et ce en plein accord avec le contrat de service public signé avec l'État, lequel souhaite un rapprochement entre les tarifs libres et les tarifs régulés.
On le voit bien, l'émulation par la concurrence prônée par Bruxelles ne permet pas d'atteindre l'objectif affiché de baisse des tarifs pour les usagers. Les bénéfices de la libéralisation se trouvent finalement plutôt du côté des actionnaires des groupes énergétiques.
Cependant, l'incidence d'une telle déréglementation ne peut se mesurer uniquement en termes de coûts et de tarifs ; il doit également être question de la sécurité d'approvisionnement.
En effet, dans les secteurs du gaz et de l'électricité, des contrats et des programmes d'investissements de long terme sont nécessaires, notamment pour assurer une production et une fourniture continues, ainsi qu'une fiabilité optimale des réseaux.
Or, s'agissant du gaz, les règles du jeu boursier ne favorisent ni l'établissement de relations commerciales stables et mutuellement avantageuses avec les pays producteurs ni la conduite de chantiers de long terme, exigeant des investissements lourds et coordonnés.
En outre, la maintenance et le renouvellement des réseaux de transport d'électricité et des conduites de gaz sont des missions impératives, qui relèvent de l'aménagement du territoire et de la sécurité publique.
Dans cette perspective, la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver a souligné combien il était important d'élaborer un plan pluriannuel d'investissements dans le secteur, pour éviter notamment les pannes géantes, comme celle qui a frappé la France le 4 novembre 2006.
Dans ce cadre, le seul marché ne peut prendre en compte les problématiques liées à la disparité des ressources et aux différents modes de production des pays. Il est, à cet égard, particulièrement inacceptable que la France devienne le « poumon nucléaire » de l'Europe.
Sur le plan national, le changement de politique des entreprises historiques s'est traduit par la fermeture d'agences d'accueil du public, privant parfois des départements entiers de tout guichet d'EDF ou de GDF.
Par ailleurs, comment la France compte-t-elle mettre en oeuvre sérieusement les conclusions du Grenelle de l'environnement si elle s'en remet aux seuls critères comptables du marché dans le secteur de l'énergie ?
En se montrant un tant soit peu attentif à ces problèmes et en considérant que l'ensemble des foyers sont concernés par ces questions, chacun reconnaîtra avec nous qu'il devient urgent, avant de poursuivre le processus, d'examiner sérieusement toutes les implications de cette déréglementation.
Nous disposons d'ailleurs d'assez peu d'éléments sur le véritable coût de cette politique d'abandon des entreprises publiques. Je pense notamment aux contreparties très importantes demandées dans le cadre de la fusion entre Suez et GDF et à l'impératif d'aboutir à une parité d'actions.
Dans ce cadre, nous avons déposé des amendements, que l'on pourrait qualifier d'appel, visant à demander l'abrogation des lois de privatisation et de fusion concernant EDF et GDF. J'y reviendrai dans un instant.
En effet, la maîtrise publique du secteur énergétique est un choix fondamental. Elle est d'ailleurs jugée ainsi par la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, dont le rapport prône une forte maîtrise publique dans ce domaine : « Le secteur électrique ne saurait être laissé à la ?main invisible? du marché et nécessite une forte régulation publique, la puissance publique ayant une responsabilité particulière et légitime aux yeux des citoyens dans la fourniture d'électricité. »
Concernant la dérégulation du marché électrique, le même rapport souligne encore qu'elle « est parfois tout sauf vertueuse et aboutit à la constitution d'oligopoles privés venant remplacer les monopoles nationaux qu'elle cherchait à démanteler ». On estime ainsi que, lorsque la dérégulation aura complètement abouti, il ne restera que quatre ou cinq opérateurs à l'échelon européen. Voilà une belle concurrence ! On remplace les monopoles publics par des oligopoles privés : quel progrès !
Nous le voyons donc, il s'agit là avant tout de choix politiques.
Au final, nous voterions la présente proposition de loi alors même que le Gouvernement français prône à Bruxelles l'ouverture totale du marché et que le président Sarkozy annonce déjà la privatisation du nucléaire civil. Dans le contexte actuel de libéralisation, les tarifs réglementés seront évidemment sacrifiés ou vidés de leur spécificité par un allégement au profit des tarifs dits libres.
En déposant cet amendement, nous avons donc souhaité attirer une nouvelle fois l'attention du Gouvernement sur la nécessité de réaliser un bilan de la libéralisation dans le secteur énergétique avant toute poursuite du processus, notamment avant le prochain examen du troisième « paquet énergie ».