Cet amendement d'appel tend à proposer une alternative au projet de fusion entre Suez et GDF, même si celui-ci est bien engagé.
En effet, nous estimons que, loin de permettre la constitution d'un géant énergétique, la création de ce nouvel ensemble n'aurait comme seule justification que de démanteler encore un peu plus le service public à la française, ce projet ne se justifiant ni politiquement ni industriellement.
Ainsi, le Gouvernement fait le choix de laisser aux actionnaires des grands groupes un pouvoir sans précédent pour influencer la politique énergétique de la France : nous ne pouvons l'accepter.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen proposent pour leur part un projet absolument différent, seul apte à répondre aux intérêts et aux besoins de notre pays dans le cadre de l'Union européenne.
À l'instar de la démarche engagée par certains pays européens comme le Portugal, l'Allemagne ou l'Espagne, nous souhaitons en effet le rapprochement des deux opérateurs historiques. Il nous est toujours répondu que les contreparties à un tel projet seraient très importantes, de l'ordre de 7 milliards d'euros pour GDF et de 17 milliards d'euros pour EDF.
Il est cependant difficile de se prononcer en l'absence d'une réelle étude sur les contreparties qui seraient exigées. Et force est de constater que, dans le cadre actuel, nous allons également subir des contreparties importantes.
Tout d'abord, ce projet de fusion entre GDF et Suez correspond à un affaiblissement de Suez, entreprise qui a été contrainte de céder ses activités environnementales.
Ensuite, la sécurité d'approvisionnement ne sera pas renforcée puisque le nouvel ensemble devra céder à la concurrence une partie des contrats de long terme.
Les tarifs risquent également de flamber en raison de l'appétit de dividendes de la part des actionnaires, lesquels ont déjà prévu une augmentation de 10 % de leur part.
Enfin, la hausse des prix de GDF de 4 % au 1er janvier 2008 est largement liée aux opérations boursières nécessitées par la volonté d'aboutir à une parité d'action entre GDF et Suez.
Et nous n'avons pas encore épuisé le chapitre des contreparties !
Par ailleurs, l'abandon du principe de spécialité des entreprises historiques met directement ces dernières en concurrence, ce qui risque de provoquer un énorme gâchis.
De plus, ce projet remet grandement en cause la sûreté nucléaire. En effet, je rappelle, même si nous en avons déjà parlé, que l'actuel président de la République proclamait en 2004 « qu'une centrale nucléaire, ce n'est pas un central téléphonique ! Un gouvernement ne prendra jamais le risque de privatiser l'opérateur des centrales nucléaires. » Mais Mme la ministre Christine Lagarde annonce qu'elle est favorable au développement du parc nucléaire privé Suez-GDF.
Nous pouvons donc légitimement penser que le monopole français d'EDF concernant la production nucléaire risque de voler en éclats, ce qui serait catastrophique pour des raisons de sécurité, la recherche de dividendes se faisant souvent au détriment des conditions de travail des agents et de sécurité des installations.
Nous sommes en parfaite adéquation avec les conclusions de la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver qui permettent peut-être de fournir des éléments de bilan. Selon la mission d'information, le fait que « le système français de gestion du nucléaire confie à un acteur public unique, EDF, le soin de gérer et d'exploiter la totalité des centrales » est pour nous « un gage de maîtrise publique de cette filière et permet [...] une exploitation performante ». Ainsi, « EDF n'est pas une entreprise comme une autre, ce qui justifie pleinement le fait que l'État détienne une très large majorité de son capital social ».
Par déduction, selon les conclusions de la mission, toute entreprise exploitant nucléaire doit faire l'objet d'une forte maîtrise publique, ce qui ne sera pas le cas pour l'ensemble GDF-Suez.
Pour finir, le dispositif actuel place les pouvoirs publics en dehors de toute recherche pour répondre aux enjeux de la raréfaction des ressources fossiles et du respect des engagements de Kyoto.
Nous le voyons donc bien, le projet mené par le Gouvernement comporte également des contreparties particulièrement lourdes, et ce sans le bénéfice évident d'un rapprochement des deux opérateurs historiques.
En effet, il est de plus en plus souvent admis que la fusion de deux entreprises aussi intimement liées qu'EDF et GDF serait un facteur d'optimisation économique.
Le choix de la fusion a donc plusieurs justifications.
Tout d'abord, il est à peu près certain que la France connaîtra un déficit de production d'électricité avant 2010 et qu'il est trop tard pour engager la construction d'une nouvelle tranche nucléaire opérationnelle à cette échéance. L'augmentation de la production d'électricité à partir du gaz est donc inéluctable d'ici à dix ans, en appui ou non à l'énergie éolienne.
Ensuite, la création de ce grand groupe mondial de l'énergie s'inscrirait dans le mouvement de concentration et de création de champions énergétiques capables de proposer une offre multiénergie, illustré par le rapprochement entre E.ON et Ruhrgas, en Allemagne. Un tel groupe serait en mesure d'affronter la concurrence découlant de l'ouverture totale des marchés, tout en assurant les missions de service public.
Rien ne s'oppose donc à cette alternative, qui seule peut garantir durablement, dans le cadre de la maîtrise publique de la politique énergétique, un service public de qualité pour les usagers, la sécurité de l'approvisionnement, l'indépendance énergétique de la France, ainsi qu'un niveau élevé de sûreté, indispensable pour le nucléaire.
Nous devons utiliser ces formidables outils que sont EDF et GDF non pour mener une guerre frontale, mais pour engager une politique forte en vue de l'accès de tous à une énergie propre, durable, et sécurisée.
Tel est l'objet de cet amendement qui vise à renforcer la maîtrise publique de la politique énergétique de notre pays, ainsi qu'à développer les synergies entre les deux entreprises historiques qui ont fait la preuve de leur efficacité.