Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les archives sont la mémoire de la nation, mémoire dans laquelle se lit l'histoire de notre pays et des générations successives qui l'ont habité, mémoire particulièrement longue, qui s'étend, pour les Archives nationales, du VIIe siècle à nos jours, mémoire qui garde la trace de tous les moments clés de notre histoire, des actes fondateurs, comme l'édit de Nantes, le serment du Jeu de paume, ou encore la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Elles sont aussi gardiennes de la mémoire quotidienne quand elle dit l'histoire des territoires, raconte les parcours individuels, les existences simples, les vies modestes, à travers les actes notariés, les documents de l'état civil, les archives d'associations ou d'entreprises.
C'est à travers cette trame que l'on peut lire également la construction de notre identité au fil des siècles, l'affirmation de notre langue, à travers l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, mais aussi l'élaboration de notre géographie, à travers les dossiers des réseaux routiers ou les épures de fortifications rappelant l'enjeu majeur des frontières et l'oeuvre toujours vivante de Vauban.
Elles sont, enfin, une mémoire toujours en devenir, sans rien de figé ni de clos, car elles ne sont pas seulement des sources du passé, elles sont avant tout des outils de gestion pour l'administration, des éléments de preuve, justificatifs de droits pour nos concitoyens.
Cette dimension souvent méconnue, que traduisent, par exemple, les demandes de décrets de naturalisation, est consubstantielle à l'apparition même des Archives en tant qu'institution.
Les Archives nationales naissent de la Révolution. Leur intérêt alors n'est pas historique. Il tient à leur valeur juridique, probatoire. Il s'agit de fonder les droits du nouveau régime naissant, bientôt de la République.
L'article 1er de la loi du 25 juin 1794 dispose que « les archives établies auprès de la représentation nationale sont un dépôt central pour toute la République ». L'article 37 pose pour la première fois le principe de la libre communicabilité aux archives.
Pour favoriser ce libre accès pour tout citoyen de façon égale et cohérente sur tout le territoire, le rassemblement dans les chefs-lieux des départements des archives locales de l'Ancien Régime - futures archives départementales - est décidé deux ans plus tard.
Tels sont, jusqu'au XXe siècle, les textes fondateurs pour l'organisation des archives en France.
Le système mis en place au moment de la décentralisation des archives départementales a permis de préserver la cohérence d'une politique nationale en matière de collecte et l'intégrité des archives publiques sur l'ensemble du territoire.
Le maintien et la consolidation de ce réseau exceptionnel passent par la mise à disposition, confirmée par la loi du 2 février 2007, d'agents de l'État dans les services d'archives départementaux, en vue d'exercer les missions de contrôle scientifique et technique et d'assurer la collecte des archives de l'État déconcentré.
En posant le principe du libre accès des archives, ces textes dictent leur devoir aux archivistes. Parce qu'elle constitue une clef de compréhension de notre destin commun, de notre identité commune, et donc l'un des facteurs de la cohésion et de la solidarité nationales, cette mémoire vivante doit être facilement accessible.
Pour être communicable et communiquée, elle doit être classée et mise à disposition selon les modalités les plus diverses : classement lui-même, mise au point d'instruments de recherche de plus en plus souvent mis en ligne, numérisation de documents, constructions de portails, notamment.
L'ouverture des archives suppose, enfin, un régime législatif adapté. Tel est le principal objet du présent projet de loi, dont je vais maintenant préciser le contenu.
Lors de son adoption, la loi du 3 janvier 1979 a été sans conteste un texte novateur. Elle remplaçait les textes de la Révolution française. En définissant pour la première fois la notion d'archives publiques, elle établissait le cadre de leur conservation. Elle s'inscrivait en outre dans un ensemble de dispositions visant à améliorer les relations entre l'administration et ses usagers : loi du 17 juillet 1978 sur l'accès aux documents administratifs, loi du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
Près de trente ans se sont écoulés depuis le vote de cette loi. Le Gouvernement propose un nouveau texte destiné à adapter la conservation et la communication de la mémoire de la nation aux exigences de notre temps. Le présent projet de loi est le résultat de plus de dix années de réflexions et de l'expérience accumulée par les professionnels et les utilisateurs des archives.
Il s'articule autour de deux grandes lignes : une volonté affirmée d'ouverture et une meilleure protection des archives.
À la demande de transparence administrative fortement exprimée par nos concitoyens s'ajoutent les attentes des milieux de la recherche désireux de disposer rapidement des sources de l'histoire de notre pays ainsi que celles des généalogistes. Convient-il de rappeler qu'un peuple sans mémoire est un peuple qui a perdu sa culture et son histoire ?
C'est le principe de libre communicabilité des archives publiques que le présent projet de loi vise à réaffirmer. Il va dans le sens de l'évolution observée chez nos partenaires européens et dans les grands États démocratiques.
L'affirmation de ce principe est complétée par une réduction des délais de communication des documents qui mettent en cause les secrets protégés par la loi, tout particulièrement ce qui touche à la vie privée des individus. En tendant à diminuer de façon sensible les délais actuels, notamment pour les registres de l'état civil, le projet de loi devrait faciliter les travaux des chercheurs et des généalogistes, sans pour autant favoriser la divulgation d'informations confidentielles, puisqu'il a pour objet, dans le même temps, d'actualiser les dispositions de la communication des secrets protégés.
Parallèlement, le projet de loi organique modifiant l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique vise à appliquer aux archives du Conseil constitutionnel un délai de communicabilité de vingt-cinq ans.
Cette volonté de transparence apparaît également dans le souci de mieux articuler les dispositions de la loi sur les archives avec celles des autres textes relatifs à la communication des documents publics et à l'information du citoyen : la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, celle du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public et, surtout, la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal.
Cette articulation souhaitée par tous les utilisateurs était une nécessité.
Toujours dans le même esprit, le projet de loi tend à maintenir le principe des dérogations individuelles et générales pour les archives publiques non librement communicables et à étendre le champ des dérogations aux enquêtes statistiques qui, jusqu'à présent, ne pouvaient être communiquées avant un délai incompressible de cent ans.
À la lumière de l'expérience de la Commission d'accès aux documents administratifs, les rédacteurs de ce projet de loi ont prévu d'améliorer les conditions d'octroi des dérogations, qui seront désormais soumises au principe de proportionnalité : elles ne seront accordées qu'après qu'auront été soigneusement pesés l'intérêt procuré par la consultation des documents demandés et la nécessaire sauvegarde des intérêts que la loi doit protéger.
S'agissant des archives des autorités politiques - celles du Président de la République, du Premier ministre, des ministres et de leurs collaborateurs -, le projet de loi vise à consacrer l'existence des protocoles de remises d'archives conclus avec ces mêmes autorités. Afin d'assurer la conservation et le versement de ces documents particulièrement importants pour la compréhension des mécanismes de décision politique, il donne un fondement juridique aux protocoles déjà conclus en limitant toutefois le rôle des mandataires déjà désignés par ces autorités.
Il tend à encadrer les futurs protocoles, en supprimant les mandataires et en alignant les délais de communication de ces archives aux délais fixés par la loi, et à assurer une meilleure protection des archives publiques comme des archives privées.
En ce qui concerne les archives publiques, il vise à encadrer, notamment, les modalités d'externalisation des archives courantes et intermédiaires. II offre ainsi un cadre juridique à une pratique largement développée dans les faits et donne les normes garantissant de bonnes conditions de conservation de ces archives.
Je rappelle toutefois que l'externalisation des archives définitives reste interdite et que ces dernières doivent rejoindre un service public d'archives.
Ces dispositions paraissent d'autant plus importantes à adopter qu'aujourd'hui, avec les archives électroniques, cette sauvegarde s'impose très tôt, dès leur production.
En ce qui concerne les archives privées classées en raison de leur intérêt historique, le projet de loi vise à harmoniser leur régime sur celui des objets mobiliers classés et, par ailleurs, à étendre aux archives privées les dispositions de la loi du 10 juillet 2000 relative à la vente de gré à gré des objets mobiliers.
Il convient en effet d'insister sur l'importance qu'ont progressivement prise dans les collections publiques les archives d'origine privée, archives de particuliers, d'entreprises et d'architectes, archives familiales, syndicales ou de partis politiques, archives religieuses, archives des associations. La mémoire de la nation ne saurait en effet se limiter à la seule mémoire administrative restituée par les archives publiques.
Les archives privées constituent aujourd'hui pour les chercheurs des documents complémentaires précieux, et leur protection est devenue un enjeu majeur.
Il est enfin prévu, dans ce projet de loi, de protéger les archives publiques et privées en renforçant les sanctions pénales et administratives qui leur sont spécifiques.
S'agissant, d'ailleurs, de l'adaptation du droit répressif, il nous est apparu intéressant, compte tenu des exactions et des nombreux délits commis au cours des derniers mois dans les monuments, les églises notamment, de traiter de la question de la protection des biens culturels dans son ensemble. En effet, le droit pénal sanctionne de manière identique les dégradations et les vols simples de biens appartenant à notre patrimoine culturel.
À la suite du travail approfondi sur la protection des biens culturels mené en commun entre le ministère de la culture et de la communication et la Chancellerie au cours des deux derniers mois, il vous est proposé, mesdames, messieurs les sénateurs, d'adopter un amendement au présent projet de loi ayant pour objet de compléter et de modifier le code pénal pour une meilleure protection des biens culturels.
Actuellement, seule la destruction, la dégradation ou la détérioration de certains de ces biens fait l'objet d'une répression spécifique, prévue par les 3° et 4° de l'article 322-2 du code pénal. Cette répression est très insuffisante, puisque de nombreux biens culturels - ceux qui se trouvent dans les lieux de culte, par exemple - ne sont pas protégés et que la peine encourue est seulement de trois ans d'emprisonnement.
L'amendement proposé a un triple objet.
Il vise, tout d'abord, à donner une définition plus large et plus cohérente, dans le code pénal, de la notion de biens culturels, qui recouvrira les biens relevant du domaine public mobilier ainsi que les biens culturels privés qui sont exposés, conservés ou déposés dans une médiathèque, dans un lieu dépendant d'une personne privée assurant une mission d'intérêt général ou encore dans un édifice affecté au culte.
Il vise, ensuite, à étendre la protection pénale spécifique de ces biens culturels en cas de vol.
Il vise, enfin, à prévoir des pénalités adaptées, en fixant le maximum des peines encourues à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende, voire à dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros s'il existe une autre circonstance aggravante. L'amende pourra représenter jusqu'à la moitié de la valeur des biens volés, détruits ou détériorés, comme c'est le cas en matière de recel.
À cette fin, plusieurs articles nouveaux sont insérés dans les chapitres du code pénal consacrés au vol et aux destructions. Dès lors que ces dispositions concernent également les archives, elles ont toute leur place dans le présent projet de loi.
En conclusion, je dirai que l'affirmation du principe de libre communicabilité des archives publiques, la diminution des délais spéciaux de communication des documents contenant des informations dont la protection s'impose, le renforcement de la protection des archives publiques et privées, l'encadrement des protocoles des archives des autorités politiques et de l'externalisation des archives publiques non définitives concourent à doter notre pays de moyens modernes, adaptés à l'évolution des techniques et aux exigences de la conservation de la mémoire d'un grand État.
Cette mémoire n'est pas destinée à être seulement classée sur une étagère ou stockée dans des fichiers électroniques, mais elle doit vivre et être utilisée par le plus grand nombre, afin de servir à la compréhension du passé aussi bien qu'à celle du présent.
En mettant l'accent sur la transparence administrative et l'information du citoyen, ce projet de loi manifeste l'intérêt porté par le Gouvernement à la sauvegarde des sources déjà constituées de notre histoire, mais aussi à la compréhension future d'une mémoire en cours de constitution.