Intervention de René Garrec

Réunion du 8 janvier 2008 à 16h00
Archives — Adoption d'un projet de loi organique et d'un projet de loi

Photo de René GarrecRené Garrec, rapporteur :

S'il appartient à toute personne de veiller à la conservation de ses propres archives privées, il incombe en revanche à l'État de conférer un statut particulièrement protecteur à deux catégories d'archives qui présentent un intérêt administratif ou historique essentiel.

Il s'agit, d'une part, des archives publiques, c'est-à-dire des archives produites par une personne publique ou une personne privée investie d'une mission de service public, et, d'autre part, des archives privées classées, c'est-à-dire des archives appartenant à des personnes privées qui ont fait l'objet d'une procédure de classement eu égard à leur « intérêt public ».

En premier lieu, le projet de loi améliore la protection des archives publiques au moyen d'un renforcement des sanctions pénales et de la création d'une sanction administrative qui a vocation à limiter l'accès aux salles de lecture des personnes déjà condamnées pénalement pour destruction ou vol d'archives.

Le projet de loi vise, ensuite, à renforcer la protection des archives privées classées « archives historiques ». Le texte prévoit ainsi au profit de l'État, dans le cadre des ventes publiques ou de gré à gré, un système de préemption dans les quinze jours suivant la vente.

En second lieu, les deux textes qui nous sont soumis visent à faciliter l'accès aux archives publiques et politiques.

Tout d'abord, le projet de loi ordinaire substitue au délai de trente ans actuellement en vigueur pour l'ensemble des archives publiques le principe de la libre communicabilité, à toute personne, des archives publiques qui ne mettent pas en cause l'un des secrets protégés par la loi.

Ensuite, le projet de loi ordinaire propose de ramener les délais actuels de communication des archives publiques, qui sont au nombre de six et s'échelonnent de trente à cent cinquante ans, à trois délais de vingt-cinq, cinquante et cent ans. Notre position, sur ce point, sera légèrement divergente. Pour l'équilibre du texte, nous pensons, pour notre part, qu'un délai de soixante-quinze ans est une bonne solution. Nous aurons l'occasion d'en reparler lors de la discussion des amendements.

Le délai de communication de droit commun pour les documents couverts par un secret protégé par la loi passerait de trente à vingt-cinq ans. Il en est ainsi des documents relatifs aux délibérations du Gouvernement.

Les délais de cinquante et cent ans s'appliquent, quant à eux, dans le cas de documents plus sensibles, touchant aux intérêts fondamentaux de l'État, aux affaires portées devant les juridictions, à l'état civil, etc.

Enfin, le projet de loi ordinaire est complété par un projet de loi organique, dont le principal objet est de réduire le délai de communication des archives du Conseil constitutionnel de soixante à vingt-cinq ans.

La commission des lois approuve l'abaissement de ce délai, susceptible de faciliter les recherches juridiques ou historiques et, en particulier, d'éclairer le sens de certains revirements de jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, sans cela, nous échapperaient totalement ou presque.

Certes, cette évolution conduit à réduire les délais de communication des travaux du Conseil constitutionnel, non seulement lorsqu'il statue sur la conformité à la Constitution d'une loi, d'un règlement des assemblées ou d'un traité, mais également lorsqu'il se prononce sur la régularité de l'élection des parlementaires.

Dès lors, les projets de loi créent deux délais de communication des dossiers de contentieux électoral : vingt-cinq ans pour les élections législatives et sénatoriales, et cinquante ans pour les élections locales, qui relèvent de la compétence des juridictions administratives.

Ce double régime est, j'en conviens, quelque peu compliqué. Toutefois, l'existence de deux délais différents en matière de contentieux électoral n'est pas imputable au projet de loi, puisque le délai actuel de soixante ans est d'ores et déjà dérogatoire au délai de cent ans applicable aux archives judiciaires.

Autre avancée significative en matière de transparence : les projets de loi consacrent le principe de gratuité de l'accès aux archives publiques. Puisque tout citoyen a le droit d'accéder au patrimoine public de notre pays sans distinction de fortune, la consultation, dans une salle de lecture, d'archives publiques est un droit qui ne peut souffrir une quelconque facturation, source de discrimination financière entre les usagers. En revanche, il apparaît légitime de facturer, au même titre que celles des documents administratifs, les reproductions d'archives, dont le coût, parfois très élevé, ne saurait être supporté par l'administration.

Par ailleurs, le projet de loi ordinaire consacre juridiquement l'existence de protocoles d'archives conclus avec des autorités politiques, ce qui est très important pour éviter « l'évaporation des archives ».

Ces protocoles ont été inaugurés, au début des années quatre-vingts, par le président Valéry Giscard d'Estaing, juste avant qu'il ne quitte, pour des raisons connues de tous les Français, le palais de l'Élysée. Il s'agissait de contourner les difficultés de la loi 1979 sur les archives, qui soumettait au droit commun du code du patrimoine les archives des plus hautes autorités de l'État, à savoir : un délai de communicabilité de trente ans, sauf exceptions ; la perte par les autorités politiques de l'accès à leurs archives et la délivrance des autorisations de consultation anticipée par le titulaire de la fonction au moment de la présentation de la demande et non par le propriétaire des archives.

Cette situation risquait d'entraîner des fuites ou des destructions d'archives au moment des alternances politiques. C'est pour cette raison qu'ont été créés, de façon quelque peu artificielle et sans base légale, des « protocoles de remises », qui ont été organisés et structurés par le président François Mitterrand.

Leur succès repose en grande partie sur les avantages que ces protocoles permettent de consentir à la personnalité versante. Celle-ci dispose, en effet, de la maîtrise totale de l'accès aux documents pendant un délai allant de trente ans pour les ministres, à soixante ans pour le Président de la République et le Premier ministre. Elle peut y accéder elle-même sans aucune restriction, et toute autre communication, y compris à son successeur, est soumise à son autorisation écrite. À l'expiration de ce délai, les documents tombent dans le droit commun des archives publiques.

Le souhait des personnalités concernées de conserver la maîtrise de l'accès à leurs archives est en grande partie légitime. Au-delà de la tradition des « mémoires » rédigés par les hommes d'État, ces personnalités peuvent avoir à utiliser ces archives pour justifier leur action passée ou poursuivre leur activité politique ou professionnelle. Quant à la maîtrise de l'accès qui leur est laissée, elle constitue une garantie de confidentialité, seule à même de permettre un versement exhaustif et d'éviter des consultations abusives à des fins purement politiques et polémiques.

Le projet de loi vise, opportunément, à conférer un fondement juridique aux « protocoles de remises » et encadre les futurs protocoles politiques par un régime conforme à l'intérêt public.

Est tout d'abord repris le principe selon lequel la personnalité versante conserve pour elle-même un accès libre aux archives qu'elle a produites et peut en refuser la communication à des tiers. Toutefois, les délais sont alignés sur le droit commun, à savoir les trois délais de vingt-cinq, cinquante et cent ans, en fonction de la nature des documents et selon les différents degrés de secret.

Par ailleurs, il est prévu que le protocole cesse d'avoir effet de plein droit en cas de décès du signataire. Dans ce cas, c'est l'autorité politique en exercice dans la même fonction qui aurait la charge d'accorder les autorisations de consultation si les archives ne sont pas tombées, à la date du décès du signataire, dans le domaine public. En effet, c'est la seule autorité à même d'apprécier le caractère sensible des données dont la communication est sollicitée.

La commission des lois vous propose, mes chers collègues, d'adopter sans modification le projet de loi organique relatif au Conseil constitutionnel, mais de compléter le projet de loi ordinaire.

Elle souhaite, tout d'abord, permettre aux personnes en charge d'archives publiques de mettre en ligne, si elles le souhaitent, des documents communicables dignes d'intérêt, afin de mettre à disposition du plus grand nombre les archives publiques susceptibles d'améliorer la connaissance par le citoyen de l'histoire politique et administrative de son pays.

Elle propose, également, d'ouvrir plus largement les archives judiciaires audiovisuelles, qui sont actuellement au nombre de quatre, et qui portent sur les procès Barbie, Touvier, Papon et celui du sang contaminé.

Rappelons qu'en 1985 le législateur a entendu créer un régime de communication relativement sévère puisqu'il a souhaité, alors même que les audiences étaient publiques, subordonner la consultation de l'enregistrement, fût-elle à des fins historiques ou scientifiques, à l'accord de l'autorité administrative pendant les vingt ans qui suivent la clôture du procès.

La commission des lois a également souhaité protéger davantage le droit à la vie privée, principe à valeur constitutionnelle.

S'il faut saluer la démarche sous-jacente au projet de loi consistant à ouvrir plus rapidement les archives relatives à la vie publique et au fonctionnement administratif, la commission regrette cette même évolution s'agissant des documents touchant directement la vie privée, le secret des familles, des affaires et des entreprises, en particulier les documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions et les actes authentiques établis par les notaires. La demande de transparence, dans ce domaine, est beaucoup moins légitime eu égard à l'importance du droit à la vie privée et à l'allongement de l'espérance de vie.

En conséquence, nous proposerons un amendement tendant à porter le délai de communication de cinquante à soixante-quinze ans. Si cet amendement n'était pas adopté, nous en reviendrions au délai de cent ans que vous préconisiez, madame le ministre, ce qui serait dommageable pour les communications, la recherche et la vie courante.

Par ailleurs, je propose d'aligner le régime de communication des actes d'état civil sur celui des documents portant atteinte à la protection de la vie privée.

Actuellement, les actes d'état civil, comme les registres de mariage, ne sont communicables qu'à l'expiration d'un délai de cent ans à compter de leur édiction. Le projet de loi maintient ce délai pour les naissances et fixe un délai de cinquante ans pour les mariages. Nous vous soumettrons un amendement tendant à fixer un délai de soixante-quinze ans, en cohérence avec le délai proposé relatif aux documents portant sur la vie privée.

La commission des lois a souhaité, également, réaffirmer le principe d'autonomie des assemblées parlementaires, qui lui tient à coeur.

Le projet de loi prévoit de soumettre au droit commun du code du patrimoine les archives des assemblées parlementaires. Cette disposition nous irrite quelque peu !

Les assemblées parlementaires seraient donc soumises au contrôle scientifique et technique de l'administration des archives et tenues de lui verser l'ensemble de leurs archives définitives ! Certes, il s'agit d'une administration de haute qualité, composée de personnels compétents qui font très bien leur travail. Mais se faire toiser par les fonctionnaires des archives, quelle que soit leur qualité professionnelle, cela nous gêne un peu !

Ce choix ne nous paraît ni judicieux ni juridiquement fondé.

En premier lieu, il est pour le moins paradoxal que, tout en maintenant l'autonomie en matière d'archivage des ministères des affaires étrangères et de la défense, le projet de loi tende à soumettre, dans ce domaine, les assemblées au droit commun.

En second lieu, d'un strict point de vue juridique, les assemblées parlementaires sont régies par un principe constitutionnel d'autonomie, en vertu duquel elles définissent elles-mêmes les règles qui leur sont applicables, et ce afin de protéger les parlementaires de pressions de l'exécutif susceptibles de mettre à mal la séparation des pouvoirs. Cela ne s'est jamais produit, mais on ne sait jamais...

Ce principe d'autonomie s'oppose à ce que s'établisse entre l'administration des Archives de France, service relevant de l'exécutif, et les assemblées une relation de contrôleur à contrôlé.

Ce principe est également incompatible avec un versement systématique et obligatoire des archives parlementaires à une structure extérieure.

En revanche, cette autonomie n'exclut évidemment pas des relations partenariales étroites avec l'administration des archives, comme c'est le cas aujourd'hui. Ce mouvement est normalement appelé à se développer à l'avenir.

Enfin, de notre point de vue, autonomie n'implique ni dilettantisme ni opacité.

D'une part, le Sénat a engagé ces dernières années une forte professionnalisation de la gestion de ses archives, notamment par le recrutement d'archivistes contractuels.

D'autre part, convaincu depuis toujours que la transparence était l'essence même du travail parlementaire, il a engagé très tôt une politique d'ouverture ambitieuse. Je n'insisterai pas davantage sur ce point, sauf à être suspecté de faire de la publicité...

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