Bref, le moment était venu de réagir. Nous avons donc créé une commission avec le premier président Schmelk, qui, lui aussi, avait la passion les archives, le président Braunschweig et M. Favier, qui a été l'âme de cette commission. Nous sommes parvenus à la situation que l'on connaît et qui a régularisé le dépôt des archives judiciaires.
Après cet épisode, ma passion s'est portée plus spécifiquement sur les archives audiovisuelles. A ainsi été adoptée la loi de 1985, qui n'est malheureusement pas assez appliquée, je tiens à le redire, même si ce n'est pas le sujet en discussion aujourd'hui.
Au Conseil constitutionnel, en revanche, la situation était admirable. Les secrétaires généraux successifs du Conseil constitutionnel veillaient avec un soin jaloux à ce que les documents du Conseil constitutionnel soient conservés, classés et éventuellement consultés.
Longtemps, nous n'avons pas pris de décision formelle, mais la pratique a été constante, aussi bien sous ma présidence que sous celle de mes successeurs : les demandeurs ont toujours été accueillis et la consultation des archives du Conseil constitutionnel leur a toujours été ouverte autant qu'ils le souhaitaient. Le Conseil constitutionnel appliquait en fait, à cet égard, un régime de droit coutumier jusqu'à ce que, fort heureusement, en 2001, Pierre Mazeaud mette en place un règlement organisant le régime des archives du Conseil constitutionnel. Les documents sont versés aux archives, comme il sied, et le délai de consultation est de soixante ans, avec possibilité pour le président d'autoriser la communication à ceux qui s'intéressent aux archives du Conseil constitutionnel - généralement des doctorants, parfois des constitutionnalistes.
En tout cas, il est bien qu'une loi organique intervienne et règle la question importante des archives du Conseil constitutionnel.
Ayant indiqué que nous voterons évidemment ce projet de loi organique, je ferai seulement deux observations.
Je souhaite vous faire part, dans un premier temps, d'une interrogation. Je sais que Pierre Mazeaud, avec lequel j'entretiens des liens étroits d'amitié, s'inquiétait d'un raccourcissement éventuel des délais ; notre éminent rapporteur, qui a consacré beaucoup de temps à son travail, et je ne saurais trop l'en louer, le sait. Pierre Mazeaud se demandait, en particulier, si l'ouverture des archives du Conseil constitutionnel ne risquait pas de conduire les membres du Conseil constitutionnel, dans les délibérations, à réfréner quelque peu la spontanéité qui fait toujours le charme et l'intérêt des discussions de cet ordre.
Ce n'est pas du tout mon avis. En vérité, il faut lier, en France, la question de l'accès aux archives du Conseil constitutionnel à une question plus importante, qui est celle de l'opinion dissidente.
À ce sujet, on évoque toujours la Cour suprême des Etats-Unis, mais il n'y a pas qu'elle qui pratique l'opinion dissidente : nombre de juridictions internationales ou de cours suprêmes la pratiquent également. Ce n'est pas le cas en France, mais il faut reconnaître l'intérêt qu'il y a à ce que les opinions dissidentes demeurent quelque part dans les procès-verbaux.
L'opinion dissidente, même si je n'en suis pas partisan pour la France, a le mérite de permettre à la doctrine de s'interroger sur le bien-fondé de la décision rendue à partir du raisonnement juridique différent qu'ont fait les tenants de ladite opinion dissidente. Parfois, on se rend compte qu'un raisonnement juridique solide pouvait en effet aboutir à un résultat intéressant ; parfois, d'ailleurs, ce n'est que le raisonnement sur les motifs qui aboutit au même résultat ; parfois, au contraire, c'est une opinion totalement dissidente, dispositif et motifs.
Or c'est important pour la réflexion juridique, pour le travail des constitutionnalistes, et non pas seulement pour l'historien qui, lui, retrace l'évolution de la jurisprudence du Conseil et l'évolution des délibérations.
Donc, plus tôt sera ouverte la consultation de ces archives, mieux cela vaudra.
Prétendre que les membres du Conseil hésiteront à prendre position parce que, vingt-cinq ans plus tard, leur opinion sera connue me paraît dénué de tout fondement. Fort de mon expérience de neuf années au Conseil constitutionnel, je n'en crois rien. D'abord, dans un très grand nombre de cas, c'est à l'unanimité qu'est prise la décision et il est intéressant de voir par quels arguments on soutient en définitive le même choix. Par ailleurs, pour ceux qui ont argumenté en sens inverse de la majorité, il est quelque peu réconfortant de se dire que ce qu'ils ont fait valoir n'est pas définitivement perdu.
Par conséquent, dans les deux hypothèses, on ne peut que se féliciter de voir raccourci le délai de libre accessibilité des archives du Conseil constitutionnel, en dehors de la pratique courtoise et traditionnelle que j'évoquais.
Il reste un deuxième problème que, pour le plaisir de l'échange, j'ai tenu à évoquer devant M. Garrec et la commission des lois.
Le Conseil constitutionnel a une double fonction : outre le contrôle de constitutionnalité, c'est aussi, au plein contentieux, une juridiction en matière électorale. Devait-on plutôt pencher du côté de l'aspect juridictionnel ou plutôt considérer le caractère institutionnel particulier du Conseil constitutionnel ? Finalement, après avoir évoqué cette fonction de plein contentieux, pour ma part, je me suis rallié aux vues de notre éminent rapporteur, en me disant que, puisqu'il n'y a là rien qui concerne le moins du monde la vie privée des individus, qu'il s'agit en définitive de problèmes de pur droit électoral, là encore, plus tôt les archives seront ouvertes aux chercheurs, mieux cela vaudra.
Certes, vingt-cinq ans, surtout à mon âge, cela passe étrangement vite, mais certains hommes politiques survivants souffriront bien, pour la beauté de la vérité historique, que leur réputation puisse être écornée par le détail des délibérations concernant l'annulation de leur élection !