L'article 3 du projet de loi prévoit, entre autres, la possibilité de confier des archives publiques au stade d'archives vivantes ou intermédiaires à des sociétés privées d'archivages. Ma collègue Josiane Mathon-Poinat s'est largement et justement attardée sur ce sujet, voilà un instant.
Cette brèche ouverte dans le mode de conservation des archives est grave. On pourra me répondre que l'article 3 ne fait que légaliser une pratique existante. Certes, mais ce n'est pas une raison pour ne pas en contester le fondement. Si les administrations versantes recourent au secteur privé, nous savons que c'est essentiellement pour une raison de coût.
Or, nous étions déjà particulièrement inquiets, avant même ce projet de loi, de voir le secteur privé s'immiscer dans la gestion des archives de la nation, de l'État, des pouvoirs publics constitutionnels, des autorités administratives et juridictionnelles, des collectivités territoriales, des établissements et entreprises publics et de l'ensemble des personnes morales de droit public.
Si, aujourd'hui, le champ de compétence de ces sociétés privées se restreint aux archives vivantes et intermédiaires, qu'est-ce qui interdirait de l'élargir demain aux archives définitives ? Par ailleurs, le terme de « dépôt », utilisé à l'article L. 212-4 du code du patrimoine, est assez ambigu : s'agit-il de tri, de stockage, de conservation ?
Cette incertitude pose inévitablement le problème de la communication des archives. Le projet de loi raccourcit considérablement, voire supprime les délais de communication des archives publiques. Plus tôt les archives sont communicables - et c'est une bonne chose -, plus les administrations versantes, et donc les sociétés privées, détiendront un gros stock d'archives communicables. Dans ces conditions, qui va assurer le tri de ces archives ?
Une archive ne doit pas, sous quelque prétexte que ce soit, à commencer par celui du coût, être gérée par une société privée. Elle est, dès son origine, imprescriptible et inaliénable. Introduire la loi du marché dans sa gestion, à un premier stade de son existence, aura des conséquences et affaiblira évidemment le service public des archives.
La possibilité d'externaliser la gestion des archives courantes ou intermédiaires publiques, en les confiant à des entreprises privées, crée un danger potentiel de perte d'archives dont l'intérêt historique se révélerait après coup. Il est important que le tableau de gestion des archives, c'est-à-dire le fléchage à l'avance de ce qui peut être conservé ou pilonné, ne soit pas transféré au privé. Il est primordial de préserver ce que j'appellerai le « droit au remords » : une archive considérée initialement comme subalterne peut s'avérer particulièrement intéressante avec le temps.
Autre question importante : la prospection des archives. Les archivistes reçoivent une formation très longue, ils détiennent un savoir et une expérience irremplaçables en matière de conservation mais aussi de préconisation et de prévention : quel document mérite d'être conservé ou non, cela ne s'improvise pas ! Pourquoi ce coup de chapeau ? Il est juste de saluer les archives, il est encore plus juste de saluer les archivistes du service public. Leur rôle de conseil et de sensibilisation est déterminant, d'autant que l'ignorance est grande en la matière chez ceux que l'on appelle « les décideurs ».
Je dois reconnaître que j'ai moi-même découvert beaucoup de choses lors de la préparation de cette discussion, en lisant le texte du projet de loi et les rapports. Je serai content en sortant de ce débat parce qu'il m'aura enrichi, même si je ne soutiens pas le projet de loi ! De nombreux collègues - j'ai moi-même été élu local - ont une attitude un peu méprisante sur ce sujet, par ignorance.
Dernière question : les archives politiques doivent rester publiques, qu'elles concernent des ministères, des cabinets, des mairies, des conseils généraux ou régionaux. Un archiviste écarté des allées du pouvoir n'est plus un archiviste. Sur cette question, j'ai l'impression que l'on recule : depuis Malraux, naturellement, mais aussi depuis les pharaons, toujours accompagnés de leur scribe, et pas seulement au Musée du Caire !
Pour toutes ces raisons, nous pensons qu'il ne faut pas abandonner une mission qui relève du service public. C'est pourquoi nous avons déposé cet amendement, que nous soumettons à votre vote.