Intervention de Alain Vasselle

Réunion du 21 juin 2005 à 16h10
Lois de financement de la sécurité sociale — Adoption d'un projet de loi organique en deuxième lecture

Photo de Alain VasselleAlain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, saisie en première lecture de ce texte, notre assemblée a examiné et adopté, le 24 mars dernier, le présent projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale au cours d'une unique séance, dont le déroulement a pu sembler singulier à certains d'entre vous.

J'y reviendrai un instant pour rappeler que, forte des engagements pris par le Gouvernement lors de l'examen du projet de loi relatif à l'assurance maladie, la commission des affaires sociales avait souhaité débuter la discussion des articles par l'examen de l'amendement qui tendait à élever au niveau organique le principe d'une compensation intégrale à la sécurité sociale des exonérations de cotisations sociales. Elle s'est alors heurtée à l'opposition du Gouvernement qui, pour des raisons de constitutionnalité, a obtenu du Sénat le rejet de cet amendement.

Or, comme nous estimions que cette disposition constituait le coeur de nos propositions, nous avons préféré mettre fin à cette divergence de vues en retirant, avant discussion, la totalité de nos amendements. Ce scénario, sans précédent dans la procédure parlementaire, a semblé faire de cette première lecture un rendez-vous manqué.

Je ne considère pas, pour ma part, qu'il en soit réellement ainsi. La commission des affaires sociales préparait la discussion de ce projet de loi organique depuis 1999 - c'est notre collègue Charles Descours qui avait commencé ces travaux -, date à laquelle elle avait constitué, en son sein, un groupe de travail chargé d'évaluer la situation et de formuler des propositions d'amélioration pour les lois de financement. Je reconnais très volontiers que le projet de loi organique déposé par le Gouvernement répond à la plupart de nos préoccupations et devance même plusieurs de nos souhaits. Je ne peux donc qu'exprimer le sentiment de satisfaction qu'il inspire à la majorité des membres de la commission.

Cette satisfaction reste toutefois teintée du regret de n'avoir pas vu traiter au fond, dans le cadre de ce texte, la question de la compensation intégrale des exonérations et, plus globalement, celle de l'articulation entre les finances de l'Etat et les finances sociales.

Dans notre esprit, comme, je le pense, dans celui de tous les membres de notre assemblée présents dans cet hémicycle cet après-midi, la loi Veil de 1994 - M. Bas s'en souvient - a constitué un engagement fort de l'Etat à l'égard d'une sécurité sociale faisant face à des difficultés financières, à un moment où les politiques d'allégement de cotisations se multipliaient. Cet engagement répondait à une logique saine : l'Etat peut à sa guise décider de modifier l'assiette des ressources des assurances sociales dès lors qu'il prend en charge l'intégralité des modifications qu'il opère.

Cette règle de la compensation intégrale a constitué et doit encore constituer pour l'avenir la meilleure garantie pour l'intégrité des finances sociales. C'est en vertu d'une application exemplaire de ce principe que l'Etat peut exiger de l'ensemble des partenaires de la sécurité sociale une gestion tout aussi exemplaire. Et d'ailleurs, même si ce principe n'a pas toujours été intégralement respecté, les contingences politiques et les difficultés conjoncturelles n'ont pas suffi à en venir à bout.

Bien sûr, la commission ne demande pas au Sénat de revenir sur les points qu'il a tranchés en première lecture ; ce qui est tranché est tranché. Elle lui propose néanmoins, au cours de cette deuxième lecture, d'élaborer des outils permettant de renforcer l'effectivité de cette compensation.

Plus largement, la commission déplore, d'une part, que la question de l'articulation entre les finances sociales et les finances de l'Etat n'ait été que médiocrement abordée au cours de l'examen du présent projet de loi organique et, d'autre part, que nos débats n'aient pas été justement l'occasion de définir des règles d'articulation cohérentes. Nous avons compris qu'il ne fallait pas, par principe, modifier à nouveau la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF. Dont acte !

L'Assemblée nationale a d'ailleurs également respecté cette consigne, mais en adoptant les garanties qu'elle estimait devoir apporter à la sécurité sociale. Elle a prévu que la loi de financement approuvera, c'est-à-dire décidera, le montant de la compensation, financée pourtant par des dotations budgétaires, et qu'elle bénéficiera d'un monopole sur l'affectation des recettes exclusives de la sécurité sociale, même si ce partage concerne l'Etat. On peut en conclure qu'il appartiendra donc au Conseil constitutionnel, au fil de ses décisions, de procéder à ce travail de délimitation qu'aurait dû effectuer, en bonne logique, la loi elle-même.

En première lecture, l'Assemblée nationale a accueilli l'examen de ce projet de loi organique avec une batterie de moyens rarement autant déployée. Si la constitution d'une commission spéciale a été un temps envisagé, ce sont finalement trois commissions qui ont été saisies de ce texte, à savoir la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République au fond, ainsi que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et la commission des finances, de l'économie générale et du Plan pour avis.

Ces débats ont traduit la préoccupation désormais centrale du Parlement : maîtriser les déficits pour financer durablement la sécurité sociale. Dans cette optique, l'Assemblée nationale a étayé ses amendements sur le diagnostic suivant : le caractère faiblement contraignant des enveloppes et l'absence de mécanismes correctifs véritablement opérants nuisent à la réalisation de cet objectif.

Le rapporteur pour avis de la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui n'est autre que M. Yves Bur, a défendu sa proposition d'interdire le « rebasage » de l'ONDAM, qu'il avait déjà présentée au mois de janvier dans sa propre proposition de loi organique. Cette suggestion, également formulée au Sénat par notre excellent collègue Jean-Jacques Jégou, aura finalement connu un sort identique dans les deux assemblées, les députés comme les sénateurs ayant jugé ses défauts supérieurs aux avantages et à la vertu qu'elle pourrait procurer.

De son côté, le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale a proposé un corpus de réponses tendant à la fois à élargir la gamme des instruments de gestion infra annuels des déséquilibres et à exiger un traitement responsable des déficits une fois ceux-ci constatés.

Pour satisfaire le premier objectif, l'Assemblée nationale a retenu la suggestion de transformer la loi de financement en loi d'habilitation pour que, conformément aux dispositions de l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement puisse prendre par ordonnances des mesures d'urgence susceptibles de contrer l'apparition d'un déficit en exécution.

Pour atteindre le second objectif, elle a adopté un amendement modifiant l'ordonnance relative à l'amortissement de la dette sociale, afin d'interdire au législateur d'étendre, par de nouveaux transferts, la durée de vie de la CADES. Si ces dispositions sont respectées, toute extension de la mission de cette caisse devra donner lieu à l'attribution des recettes nécessaires au respect de son échéance de vie telle qu'elle résulte de la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie. Relative et contingente, puisqu'elle n'a qu'une valeur législative, cette garantie présente toutefois une portée symbolique forte à l'heure où les déficits sont encore nombreux et où les tentations pourraient renaître.

Arrivée à ce stade de la navette, la commission propose au Sénat d'adopter une posture résolument pragmatique.

Nous pouvons en effet être globalement satisfaits des modifications apportées par l'Assemblée nationale, car celles-ci puisent largement à une source d'inspiration commune : à la vérité, nombreux sont les amendements de notre commission qui, retirés au Sénat, ont été repris et adoptés par les députés sous une forme plus ou moins identique. Par conséquent, nous retrouvons pratiquement nos enfants dans le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.

Ainsi, l'Assemblée nationale a modifié l'architecture proposée pour la loi de financement en distinguant quatre parties consacrées respectivement au dernier exercice clos, à l'exercice en cours, aux recettes puis aux dépenses de l'exercice à venir. Cette répartition est somme toute très proche du découpage ternaire que la commission des affaires sociales du Sénat préconisait pour mieux distinguer et appréhender les comptes relatifs aux exercices passés.

L'Assemblée nationale a aussi prévu, comme notre commission l'avait envisagé, de préciser dans la loi le rôle prééminent du ministre chargé de la sécurité sociale dans l'élaboration des lois de financement.

Au-delà de ces éléments de convergence, notre souci de pragmatisme s'explique par le fait que le Parlement et le Gouvernement doivent tenir l'objectif d'une entrée en vigueur de cette réforme dès le projet de loi de financement pour 2006, comme vient de le rappeler M. le ministre. Les dernières semaines de la session parlementaire doivent donc être mises à profit pour parvenir à une rédaction commune à nos assemblées, d'autant qu'il apparaît hasardeux, pour des raisons constitutionnelles, de réunir une commission mixte paritaire sur ce projet de loi organique.

Cette préoccupation nous conduit donc à présenter au Sénat un nombre réduit d'amendements, pour apporter les précisions nécessaires et surtout pour soutenir les quelques objectifs qui nous tiennent à coeur.

Pour ce qui concerne le contrôle et le suivi de la compensation, nous avons souhaité épuiser la totalité des marges de manoeuvre disponibles pour améliorer l'effectivité. A ce titre, la commission propose de réserver à la loi de financement un monopole de création des dispositifs d'exonérations non compensées. Cette procédure aurait pour effet, d'une part, de rationaliser en évitant les créations en catimini dans des lois ordinaires et, d'autre part, de dramatiser en mettant immédiatement en évidence le coût d'éventuelles dérogations aux dispositions de l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale pour la protection sociale.

Par ailleurs, la commission émet certaines réserves sur la possibilité de prévoir, dans une loi de financement, l'affectation ou la couverture des excédents et des déficits des exercices passés.

Ces réserves ne traduisent pas un désaccord de fond avec l'Assemblée nationale mais elles reflètent la crainte que cette proposition ne puisse faciliter le retour de pratiques législatives, déjà condamnées par le Conseil constitutionnel, visant à masquer l'évolution réelle des dépenses sociales. Nous proposerons donc, par voie d'amendements, de faire évoluer cette disposition pour n'en conserver que le potentiel vertueux.

La commission s'est montrée également réservée sur la faculté ouverte au Gouvernement par l'Assemblée nationale de modifier la loi de financement en cours d'année, par voie d'ordonnance. Au-delà du débat portant sur la constitutionnalité de cette proposition, ce dispositif nous a semblé paradoxal. En effet, alors même que la loi de financement est censée présenter des prévisions sincères, n'est-il pas singulier qu'elle puisse prévoir, dès son vote initial, sa rectification en cours d'année par simple voie réglementaire ? Politiquement, c'est un dispositif susceptible d'affaiblir la portée et l'autorité de la loi de financement justifiant, a priori, sa suppression. La commission a donc souhaité que le Sénat puisse débattre de ce dispositif et en peser les termes, avant de trancher définitivement.

Pour ce qui concerne le rapprochement avec les procédures de la LOLF, chères à M. Lambert, un seul élément, à savoir l'instauration d'un débat d'orientation des finances sociales concomitant avec le débat d'orientation budgétaire, nous a paru devoir être remis en cause dans un premier temps. En effet, il s'agit d'une procédure lourde, pour partie redondante avec la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale.

Mais certaines voix se sont exprimées, lors de l'examen du texte en commission, pour ne pas fermer définitivement la porte à ce rendez-vous potentiel. Aussi vous proposerai-je finalement d'aménager cette faculté plutôt que de la supprimer, sans gêner pour autant le débat de la commission des finances relatif à la loi de finances.

Enfin, la commission des affaires sociales invite le Sénat à préciser les conditions dans lesquelles seront assumés l'évaluation et le contrôle des comptes sociaux. Bien que touchant au coeur des compétences de notre commission, cette question relève néanmoins de notre assemblée tout entière. Mes chers collègues, je vous propose, comme c'est déjà le cas à l'Assemblée nationale - nous ne faisons donc pas tellement preuve d'innovation en la matière -, de nous appuyer sur une mission d'évaluation et de contrôle dont le président aura la tâche de coordonner les travaux.

Sous réserve de l'adoption de ces amendements, la commission des affaires sociales vous invite à adopter le projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale.

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