Intervention de Guy Fischer

Réunion du 21 juin 2005 à 16h10
Lois de financement de la sécurité sociale — Adoption d'un projet de loi organique en deuxième lecture

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le présent projet de loi organique constitue le troisième volet du funeste triptyque législatif que composent la réforme des retraites, celle de l'assurance maladie et, aujourd'hui, celle du financement de la sécurité sociale.

En première lecture, ici même, nous avions déjà clairement exposé notre vive opposition à ce projet de loi organique.

Le texte qui nous revient aujourd'hui, modifié par l'Assemblée nationale, loin de satisfaire nos demandes, accentue la mainmise de l'Etat sur la sécurité sociale et conforte la logique comptable.

Les lois de financement de la sécurité sociale, telles qu'elles résultent du plan Juppé de 1995, n'ont conduit qu'à entériner la logique comptable, logique de restriction que vous destinez à la couverture des dépenses sociales.

Ce dispositif, mis en place voilà dix ans, n'a jamais été de nature à permettre l'exercice de véritables choix, notamment concernant la maîtrise des dépenses ou la mesure de l'efficience de notre assurance maladie. L'ONDAM n'a, en fait, été respecté qu'une seule fois.

Ces lois n'ont eu comme effet, en amplifiant les restrictions budgétaires, que de réduire la prise en charge par l'assurance maladie des dépenses de santé et de dépouiller les conseils d'administration, représentants légitimes des assurés sociaux, de leurs prérogatives d'orientation en matière de politique des caisses de sécurité sociale.

En somme, le dépassement systématique et croissant de l'ONDAM depuis 1998 a mis en évidence une défaillance des instruments et des procédures de régulation ainsi que des actions structurelles sur les comportements des professionnels et des patients, ainsi que sur l'organisation des soins.

Mais, messieurs les ministres, vous n'en avez tiré aucun enseignement, et le déficit du régime général est passé de 3, 4 milliards d'euros en 2002 à 14 milliards d'euros en 2004. Quant à celui de la branche maladie, il est passé de 6, 1 milliards à 13, 2 milliards d'euros. Le constat est déplorable.

A force de coupes brutales dans les budgets de la santé publique, de rééquilibrage forcé des comptes de la sécurité sociale, de déremboursement et de culpabilisation des assurés sociaux, le Gouvernement a pu réaliser une économie de 2 milliards d'euros supplémentaires sur les dépenses de sécurité sociale dont vous ne cessez de vous enorgueillir.

Mais vous omettez de dire, dans vos déclarations, que, si l'assurance sociale a eu 2 milliards d'euros de moins à rembourser, le niveau des dépenses de santé, lui, n'a pas diminué par rapport à l'évolution du PIB. Au contraire, il a continué de croître comme au cours des années passées. Cela signifie tout simplement que se sont les malades qui ont dû payer ces 2 milliards d'euros de leur poche.

A ces 2 milliards d'euros viendront s'ajouter les 3 milliards d'euros d'économie que vous prévoyez d'imposer aux malades pour 2005 via votre réforme de l'assurance maladie afin d'atteindre de façon totalement artificielle votre objectif : un déficit réduit à 8 milliards d'euros en 2005. Or, nous en sommes loin, car le déficit attendu pour l'année 2005 est de 11, 6 milliards d'euros.

En somme, en l'espace de seulement deux ans, les assurés sociaux auront dû payer plus de 5 milliards d'euros supplémentaires pour répondre à leurs besoins sociaux fondamentaux.

Le Gouvernement a rogné sur les budgets hospitaliers, créant les conditions financières de l'étouffement, sinon de l'étranglement de ces derniers, les mettant de plus en concurrence, par le biais du plan Hôpital 2007 et de la tarification à l'activité, la TAA.

J'ai même vu, dans le département du Rhône des directeurs de cliniques privées manifester ! C'était la première fois que cela arrivait. Pendant ce temps-là, on continue à fermer des services et à supprimer des lits, notamment dans les services d'urgence, tant et si bien que nous sommes aujourd'hui au bord de l'implosion dans bon nombre d'hôpitaux.

Ainsi, voilà quelques mois, la communauté hospitalière - cela avait fait l'objet de débats dans notre hémicycle - en a appelé au comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie créé par la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie. Si elle a tiré la sonnette d'alarme, c'est que l'enveloppe dévolue pour l'année 2005 aux hôpitaux ne prévoyait qu'une augmentation des crédits de fonctionnement de 3, 6 %, alors que tout le monde s'accorde à dire qu'une augmentation de 5% serait nécessaire pour le simple maintien des activités, le respect des différents plans de santé publique et des engagements déjà pris, ou pour financer les coûts incompressibles tels que le versement des salaires et les achats de médicaments.

C'est dans ce contexte de dérapage financier et d'incertitude que votre gouvernement, totalement affaibli par ses derniers échecs électoraux retentissants, nous soumet aujourd'hui un projet de loi organique qui n'est qu'un pur bricolage législatif, alors même que votre dernière réforme de l'assurance maladie s'effiloche, que les décrets sont en retard et que les parcours de soins ne sont toujours pas en place. On parlera certainement du médecin traitant, du dossier médical personnel ; monsieur le ministre, vous devrez nous donner un certain nombre d'explications.

Les mesures prévues dans ce projet de loi organique pour contraindre la dépense publique sont intolérables, irrationnelles et inefficaces.

Comme le montre la situation dramatique des hôpitaux, la volonté de maîtriser l'ONDAM n'est pas crédible ; cette maîtrise ne pourra être obtenue par les mesures contenues dans ce projet de loi. Le dépassement systématique et croissant de l'ONDAM depuis 1998 met en évidence une défaillance des instruments et des procédures de régulation - que vous toilettez par ce texte - ainsi que des actions structurelles sur les comportements des professionnels ou des patients et sur l'organisation des soins.

Sous couvert d'une « crédibilité » accrue, ce projet de loi renforce les contraintes liées à l'ONDAM.

Ainsi, il prévoit que les sous-objectifs de l'ONDAM seront débattus par le Parlement. Il est d'ailleurs à souhaiter que le Gouvernement ne s'approprie pas, par cette loi, le monopole de la définition des sous-objectifs de l'ONDAM. Cette responsabilité ne peut pas dépendre du seul directeur de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, l'UNCAM, que le Gouvernement suivra aveuglément, à n'en pas douter. Les prérogatives élargies - trop élargies à notre goût - du nouveau directeur de l'UNCAM l'autorisent désormais à procéder à des ajustements comptables en cours d'exercice, sous forme de déremboursements de soins. Même si cela n'est pas indiqué en toutes lettres dans le projet de loi organique, c'est bien ce que cela signifie, reconnaissez-le !

Il ne fait dès lors aucun doute que, en cas d'alerte, le directeur utilisera les moyens mis à sa disposition, et ce au détriment des assurés sociaux.

Cela suffit à montrer, si besoin était, que votre texte se fonde exclusivement sur une logique politique que nous ne saurions cautionner ; le recours prochain à une loi d'habilitation ne fait que conforter notre analyse. Nous ne pouvons pas accepter qu'un homme aux « supers pouvoirs » décide seul du niveau de protection sociale.

De même, la définition des programmes de qualité et d'efficience est tellement imprécise que l'on ignore si les partenaires sociaux et les responsables des caisses seront mis à contribution.

Alors que le projet de loi organique prévoit explicitement que le Parlement joue un rôle déterminant dans l'évaluation, l'absence de loi de règlement ne lui permettra pas de remplir pleinement sa mission de contrôle.

Enfin, si le texte initial prévoyait que les lois de financement de la sécurité sociale seraient divisées en deux parties, il n'en va plus de même après son examen par l'Assemblée nationale : il faudra compter désormais quatre parties.

En réalité, peu de choses changent : le vote du volet recettes interviendra toujours avant celui du volet dépenses, ce qui soumet, quoi que vous en disiez, monsieur le ministre, les besoins sanitaires et sociaux à une stricte maîtrise comptable.

Si ce projet de loi est adopté, le Parlement votera des recettes qui seront à l'évidence insuffisantes, des soldes qui seront vite dépassés, des dépenses qui ne seront pas maîtrisées. Le Parlement financera une offre de soins sans pouvoir rien dire ni sur son organisation ni sur sa qualité. Il définira des priorités de santé publique sans bâtir de programmes financiers pour les soutenir ni prévoir les moyens nécessaires. Nous constituerons donc une dette sans contrôle sur sa gestion.

En clair, le texte que vous nous soumettez aujourd'hui prône l'adaptation sans failles des dépenses aux ressources de la sécurité sociale, et non l'inverse, à savoir un niveau de ressources adapté aux dépenses nécessaires à la bonne prise en charge des assurés sociaux.

Alors même que vous prétendez renforcer les pouvoirs du Parlement, vous verrouillez le cadre de ses interventions. La représentation nationale n'aura d'autre choix que de voter un niveau de dépenses de sécurité sociale conforme aux recettes et, par conséquent, tributaire des impératifs économiques et budgétaires français et européens.

Plutôt que de chercher à réduire le périmètre d'intervention de la sécurité sociale, de circonscrire les dépenses, de rogner les moyens de fonctionnement des structures, il faut oser réfléchir à un nouveau mode de financement, garantissant des ressources plus importantes et pérennes en faisant contribuer davantage ceux qui le peuvent, notamment les grandes entreprises et leurs revenus financiers.

C'est désolant, car maintenant, et encore plus demain qu'aujourd'hui, notre système est menacé en raison du refus du Gouvernement de s'attaquer aux vrais problèmes et de son incapacité à faire d'autres choix que ceux qui privilégient les intérêts privés.

Ces choix auront de graves conséquences pour nos citoyens, car, en restreignant à nouveau le champ d'intervention de la protection sociale et en limitant davantage encore les moyens, vous ouvrez, encore plus que vous ne l'avez déjà fait l'été dernier, un boulevard aux acteurs privés de la couverture sociale avides de prendre leur part d'un marché au potentiel financier de près de 350 milliards d'euros.

La logique des assurances va prendre le pas sur celle de la solidarité qui présidait à la création de notre sécurité sociale, voilà maintenant soixante ans.

En somme, ce projet de loi organique, présenté comme une amélioration rationnelle de la gestion de la sécurité sociale, n'apporte ni transparence, ni efficacité. Au contraire, ce texte ne fait qu'accentuer l'opacité des politiques de santé publique, la logique comptable, la mainmise étatique sur la sécurité sociale, et finit d'installer toutes les conditions préalables à la privatisation de la protection sociale.

Vous comprendrez donc que nous ne pourrons que voter contre un tel projet de loi.

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