Intervention de Jacqueline Alquier

Réunion du 21 juin 2005 à 16h10
Lois de financement de la sécurité sociale — Adoption d'un projet de loi organique en deuxième lecture

Photo de Jacqueline AlquierJacqueline Alquier :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous abordons la deuxième lecture du projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale. Comme chacun le sait, ce texte constitue le troisième volet des lois de réforme de notre système de protection sociale pensées par les gouvernements Raffarin et la majorité.

Ce projet de loi organique revêt une importance égale à celle de la réforme, non financée, des retraites et de la réforme de l'assurance maladie, qui instaure une médecine à deux vitesses.

Si l'objectif affiché est la définition et l'établissement d'une nouvelle gouvernance de notre système, auquel, rappelons-le, est consacré un budget total supérieur au budget de l'Etat puisqu'il avoisine 350 milliards d'euros, l'enjeu est aussi la sauvegarde, la pérennisation ainsi que l'actualisation des principes de solidarité intergénérationnelle et nationale qui présidèrent à sa création, voilà soixante ans, par le Conseil national de la Résistance. Il s'agit donc d'un texte essentiel.

La loi constitutionnelle du 22 février 1996, les ordonnances du 24 avril 1996 et la loi organique du 22 juillet 1996 ont permis l'instauration des lois de financement de la sécurité sociale annuellement débattues et votées par le Parlement.

Ces textes ont suscité un espoir réel, celui de voir le Parlement se prononcer et piloter notre système. Une décennie après, chacun s'accorde à constater que la représentation nationale n'exerce qu'assez mal sa mission de contrôle et que la complexification de son architecture a rendu notre système bien peu lisible.

Il était donc nécessaire de procéder à une réforme de la gouvernance permettant de garantir un meilleur pilotage, une réelle transparence et un contrôle effectif. Tels sont les objectifs essentiels affichés par ce texte d'initiative gouvernementale.

Lors de la première lecture, notre assemblée a procédé à de substantielles modifications du cadre organique en adoptant certains amendements présentés par le groupe socialiste. Il s'agissait notamment de permettre l'extension des pouvoirs de suivi et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale confiés aux parlementaires, en particulier aux membres de l'opposition, le renforcement des outils dont disposent les commissions pour assurer le suivi de ces mêmes lois, l'information des parlementaires par la publication d'un rapport sur l'état sanitaire et social de la population, ainsi que la prise en compte, dans un rapport annexé, des propositions des caisses et organismes de notre sécurité sociale.

Souvenons-nous - M. le rapporteur l'a d'ailleurs rappelé - que nos collègues de la majorité avaient versé dans le psychodrame dès lors qu'il avait été question de la compensation intégrale des exonérations de cotisations sociales ; je reviendrai par la suite sur ce thème essentiel.

L'Assemblée nationale a, quant à elle, voté une centaine d'amendements, faisant à son tour évoluer le projet de loi organique, qui comporte désormais vingt articles contre sept précédemment.

Les mesures phares adoptées concernent notamment la possibilité pour le Gouvernement de légiférer par ordonnance en cas de dépassement de l'ONDAM, la modification de l'architecture des lois de financement, qui comprendront désormais quatre parties, le renforcement du droit d'information du Parlement, la précision des missions d'assistance et de certification des comptes par la Cour des comptes.

Quant à la question de la déclinaison du principe de compensation intégrale des exonérations de cotisations sociales, elle demeure bien évidemment posée.

En tout état de cause, à ce stade de nos travaux et malgré les quelques améliorations apportées à l'architecture des lois de financement qui ont été acceptées par le Gouvernement et par sa majorité, le texte qui nous est présenté ne peut camoufler l'intention de l'exécutif : face à la détérioration extrême de nos comptes sociaux, ce dernier entend mettre en place un cadre propice à l'émergence et à la mise en oeuvre de solutions strictement comptables.

Psalmodier que la politique menée par le Gouvernement se fonde sur une maîtrise médicalisée des dépenses est vain : la réalité des chiffres comme le quotidien de nos concitoyens nous rappellent, malheureusement, l'échec de cette politique.

Permettez-moi, avant d'aborder le fond du texte, d'en évoquer la forme.

Chacun sait - les partenaires sociaux les premiers peut-être puisqu'ils n'ont pratiquement pas été consultés - avec quelle précipitation ce projet de loi organique a été inscrit à l'ordre du jour de nos assemblées. La détermination du Gouvernement démontre à quel point il tient à éviter le télescopage entre le débat sur ce projet de loi et la parution des premiers bilans chiffrés de sa politique. On comprend d'ailleurs aisément que le ministre ne veuille pas se voir opposer un bilan calamiteux, alors que la stratégie de communication dispendieuse instaurée distille quasi quotidiennement des messages rassurants sur la mise en place du médecin traitant ou la baisse des prescriptions en soins de ville.

Cependant, comme le soulignait récemment le comité d'alerte, ces chiffres ne sauraient cacher « les risques financiers » qui « pèsent sur les établissements de santé » et les effets de la dernière convention médicale, signée en janvier dernier, qui prévoit des revalorisations d'honoraires.

Face au marasme financier dans lequel se débat et s'enfonce notre protection sociale, les inquiétudes sont vives.

Parce ce que le présent projet de loi organique est présenté comme l'équivalent de la LOLF à l'égard du budget de l'Etat, nous devrions y retrouver les mêmes capacités de contrôle et de pilotage parlementaires. Malheureusement, nous allons le voir, tel n'est pas le cas : loin s'en faut !

L'ONDAM est l'une des clés de voûte de l'expression et du rôle du Parlement dans la définition et le contrôle de notre système de santé. La logique voudrait que le Parlement définisse en premier lieu les besoins sociaux existants puis y consacre les moyens nécessaires. Tel n'est pas le cas.

L'ONDAM a, jusqu'alors, beaucoup plus traduit une prise en compte d'éléments macro-économiques et de situations comptables que de besoins sanitaires avérés ou de priorités de santé publique.

Dès lors, comment ne pas penser que cette loi organique n'aura d'autre mission essentielle que d'assurer la stricte maîtrise comptable des dépenses de santé, et ce sans aucun égard pour les besoins de notre population ?

Concernant la problématique centrale de la compensation intégrale par l'Etat des exonérations de cotisations inhérentes, notamment, aux politiques de l'emploi, il fut un temps, pas si lointain, où les élus de la majorité exigeaient la sanctuarisation des finances de la sécurité sociale ; ils n'avaient de cesse de condamner de manière définitive le Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC.

En vous affranchissant de ces compensations, comme vous vous apprêtez à le faire avec le plan de cohésion sociale et ses « contrats d'avenir » - auxquels s'ajoutent les annonces du Premier ministre sur le « wagon » de nouvelles exonérations -, et en continuant à ne pas verser son dû à la sécurité sociale, en particulier le produit des taxes sur l'alcool et le tabac, vous continuerez à détourner au profit du budget de l'Etat les moyens nécessaires à l'équilibre du budget de la sécurité sociale.

Monsieur le ministre, vous comprendrez que, dans ces conditions, je ne résiste pas, après certains de mes collègues, à vous rappeler la promesse faite par votre prédécesseur.

Ainsi, lors du débat sur la réforme de l'assurance maladie, ce dernier disait : « Ce projet de loi organique contiendra des mesures de nature à garantir l'autonomie financière de la sécurité sociale, comme le Sénat en avait exprimé le souhait. Il doit permettre de donner une valeur juridique supérieure aux mesures prévues à l'article 39 de la présente loi et à celle de 1994 de Mme Veil [...] Ainsi, l'autonomie financière de la sécurité sociale aura valeur quasiment constitutionnelle. »

A la lecture de ce projet de loi organique, on comprend combien notre rapporteur, M. Vasselle, insatiable assaillant du FOREC et condamnant toute politique où la baisse des cotisations sociales pourrait constituer un moteur pour l'emploi - et donc, à terme, générer de nouvelles ressources pour la sécurité sociale -, a pu nourrir de désenchantements : le gouvernement issu de sa majorité passe outre cet engagement, outre ce qui, l'espace d'une déclaration, avait eu valeur quasi constitutionnelle...

Mais permettez-moi de revenir à l'aspect très concret des choses.

L'assurance maladie se trouve dans une situation catastrophique. Vous avez beau, monsieur le ministre, vous satisfaire d'un déficit de près de 12 milliards d'euros pour 2004, il n'en demeure pas moins que ce chiffre astronomique constitue un record jusqu'alors inégalé.

Certes, il y a eu un tassement, à 1, 7 %, de la croissance des remboursements de soins de ville et une baisse du nombre d'indemnités journalières de 3, 2 %, mais ce mouvement se pérennisera-t-il ?

L'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, quant à elle, certifie qu'après une croissance des dépenses de 3, 8 % au cours du premier trimestre elle devrait avoisiner 5, 7 % au deuxième trimestre.

Dès lors, comment réaliser les 5 milliards de baisse des dépenses promis, sachant qu'à hauteur de 80 % ils sont tirés de prélèvements supplémentaires ?

Comment croire que les dépenses du deuxième trimestre ne dépasseront pas 1, 6 % alors que les premières conséquences négatives de la mise en oeuvre de la tarification à l'activité et de la nouvelle convention médicale ne se sont pas encore fait sentir ?

Qui peut raisonnablement porter une once de crédit à ces promesses, à ces objectifs, à ces 8 milliards d'euros de déficit pour l'assurance maladie ?

Comment être certain qu'une fois encore le Gouvernement ne va pas faire peser sur les générations à venir la dette consécutive aux échecs de sa politique économique et de sa politique de l'emploi ? Comment ne pas s'interroger sur ce qui est un véritable hold-up sur l'avenir ?

Inquiets, nous le sommes, et les dernières perspectives économiques, comme le discours de politique générale du Premier ministre, ne nous invitent guère à l'optimisme car, c'est un fait, nulle loi ne pourra se substituer à une réelle détermination politique.

Malheureusement, depuis trois ans, cette dernière fait défaut. Alors que, de 1997 à 2001, le gouvernement Jospin était parvenu à faire passer les comptes de la sécurité sociale d'un déficit de 5 milliards d'euros à un excédent de 1, 3 milliards d'euros tout en créant plus de 2 millions d'emplois

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