Intervention de François Autain

Réunion du 21 juin 2005 à 16h10
Lois de financement de la sécurité sociale — Demande de renvoi à la commission

Photo de François AutainFrançois Autain :

Monsieur le ministre, un jeune parlementaire qui ne serait pas habitué à ces pratiques ne comprendrait pas que des textes de cette importance - celui que nous examinons porte sur un budget de plus de 350 milliards d'euros ! - puissent être élaborés dans des conditions aussi peu satisfaisantes.

Nous savons tous que, au regard de la situation pour le moins inconfortable dans laquelle il se trouve, le nouveau gouvernement cherche à expédier tous les dossiers législatifs en cours. D'ailleurs, monsieur le ministre, vous avez vous-même déclaré très récemment que le Gouvernement souhaitait que la deuxième lecture de ce projet de loi organique intervienne « très rapidement ». Vous en avez expliqué les raisons, et je les comprends. Mais sans doute aurait-il fallu s'y prendre plus tôt et ne pas attendre aussi longtemps avant de proposer cette réforme !

Quels que soient les motifs que vous invoquez pour justifier cette précipitation, monsieur le ministre, l'avenir de notre protection sociale aurait mérité que l'on s'y attarde un peu plus.

Chacun aura compris l'objectif du Gouvernement avec ce calendrier précipité : son souci premier est d'esquiver le débat, comme si la représentation nationale constituait pour lui une gêne, au moment où surviennent les premières échéances douloureuses du processus qu'il a engagé.

Déjà, le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie s'est montré plus que réservé sur l'évolution des mois à venir, et le Haut Conseil de l'assurance maladie a fait part de ses craintes sur les effets paradoxaux du parcours coordonné de soins, qui, du moins d'ici à la fin de l'année, aggravera les inégalités. En effet, le Gouvernement persiste à ne pas publier les deux décrets indispensables au remboursement des patients qui suivront ce parcours. Et, aujourd'hui même, le comité des comptes de la sécurité sociale a posé un diagnostic très sombre sur les prévisions pour 2005.

Mais le pire reste à venir ! Il n'est qu'à citer la crise budgétaire sans précédent que traverse l'hôpital public. Certes, vous l'avez délibérément niée lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 en limitant de manière irréaliste le taux de l'ONDAM, mais vous devrez en assumer la pleine responsabilité et vous en expliquer à la fin de l'année, et peut-être même dès aujourd'hui, si vous le souhaitez, monsieur le ministre.

Vous préférez parler de votre réforme avant qu'un bilan complet ne puisse vous être opposé, multiplier les déclarations d'autosatisfaction et avancer des arguments chiffrés sans véritable objet. C'est bien compréhensible, monsieur le ministre, compte tenu du bilan à venir.

Toutefois, nous ne sommes pas dupes ! Nous trouvons même pour le moins étonnant de voir ce gouvernement s'attacher aujourd'hui à proposer des dispositions pour améliorer la gestion de la sécurité sociale, alors même qu'il organise sa faillite par les déficits dans lesquels il la laisse se débattre, par la dette qui enfle et menace notre avenir social. Avec la réforme de l'assurance maladie, le Gouvernement a décidé non seulement de transformer en dette sociale les déficits accumulés depuis son arrivée au pouvoir - ce qui est une première ! -, mais aussi - c'est également inédit - d'anticiper les déficits à venir en les transférant à la CADES.

En réalité, l'enjeu réel du débat relatif au financement de la sécurité sociale est celui de la compensation par l'Etat de l'exonération des charges consécutives à la mise en oeuvre des différentes politiques, notamment en matière d'emploi. Or il est pour le moins paradoxal que le Gouvernement prétende assumer la sanctuarisation des finances de la sécurité sociale alors même qu'il s'apprête à s'en affranchir en grande partie - par exemple dans le cadre des contrats d'avenir prévus dans le projet de loi relatif au développement des services à la personne et à diverses mesures en faveur de la cohésion sociale -, en ne restituant pas à la sécurité sociale les recettes qui lui sont soustraites.

Pourtant, en première lecture, nous avions formulé plusieurs propositions qui, si elles étaient adoptées, changeraient fortement la donne et feraient reculer la logique d'étatisation qui est en marche depuis trop longtemps.

Ainsi, le projet de loi organique devrait, selon nous, prévoir une négociation interprofessionnelle obligatoire entre les organisations syndicales et les organisations patronales portant sur le financement de la sécurité sociale et concernant à la fois les structures et les taux de prélèvement affectés à la sécurité sociale et aux fonds de financement.

Une élaboration conjointe des projets de loi de financement de la sécurité sociale serait, en effet, un gage de démocratie sociale. Compte tenu du rôle qui a été confié aux conseils d'administration des différentes caisses de sécurité sociale - désormais appelés conseils d'orientation -, force est de constater que nous sommes loin du compte ! Il conviendrait donc que les dispositifs de gouvernance soient rééquilibrés au profit des conseils d'administration des caisses d'assurance maladie, en particulier en renforçant leurs prérogatives et en asseyant leur légitimité par le retour à l'élection des représentants des assurés sociaux et des allocataires. Pourquoi ce qui est vrai pour la mutualité sociale agricole - tout du moins dans l'esprit - ne le serait-il pas pour la Caisse nationale d'assurance maladie ?

S'agissant des ressources de la protection sociale, ce projet de loi organique devrait clairement s'écarter des politiques de fiscalisation des ressources, qui sont aujourd'hui largement développées et se traduisent par un abaissement des garanties collectives.

C'est pourquoi il est grand temps d'envisager une réforme du financement de la sécurité sociale, qui tende notamment à la modulation des cotisations versées par l'entreprise et favorise la création d'emplois et de richesses. Elle s'inscrirait ainsi à l'opposé des stratégies fondées sur la recherche de la rentabilité financière à court terme, qui entraînent des dégâts sociaux à l'origine, dans une large mesure, de l'insuffisance des recettes de notre protection sociale. En effet, nous assistons à l'explosion de la précarité et du nombre de travailleurs pauvres !

L'objet d'un tel projet de loi organique devrait donc être, selon nous, le démantèlement des mesures d'exonération, qui coûtent si cher à la sécurité sociale.

Le Gouvernement n'a pas tenu son engagement d'inscrire dans le projet de loi organique le principe de la compensation intégrale des exonérations. Nous nous en inquiétons : nous dénonçons ce renoncement et plaidons de nouveau pour une réelle réforme du financement de la sécurité sociale qui permette de dégager des ressources supplémentaires pour faire face aux besoins de santé et de retraite, dont nous savons tous qu'ils iront grandissant.

Ce sont de tels paramètres qu'une réforme des lois de financement de la sécurité sociale devrait prendre en compte, et non uniquement des impératifs comptables et budgétaires. Au lieu de cela, le texte que vous nous soumettez aujourd'hui, monsieur le ministre, et qui n'est que le résultat d'un débat chaotique, se révèle d'une obscure complexité.

Un véritable débat démocratique sur les enjeux de notre protection sociale aurait été plus que nécessaire. En effet, réformer la nomenclature des lois de financement de la sécurité sociale, c'est revenir sur dix années de pratique qui ont montré, par bien des aspects, leurs limites et leurs effets pervers.

Il faut en effet revenir aux lois Juppé de 1996 pour juger de l'opportunité d'examiner le texte en discussion et apprécier son efficacité. A cet égard, il nous paraît essentiel de rappeler les termes des débats de l'époque et la réalité qui a suivi pour mieux comprendre l'inefficacité des lois de financement de la sécurité sociale. Souvenons-nous que les finances de la sécurité sociale suscitaient déjà des inquiétudes et que les mesures qui s'imposaient ont été ignorées !

A cette époque, pour répondre à la crise de la sécurité sociale, le gouvernement d'alors avait lancé une politique de protection sociale et de santé fondée sur deux piliers : la maîtrise médicalisée et la fixation d'objectifs de dépenses. Pour ce faire, il voulait s'appuyer sur trois axes : « transparence, responsabilité, démocratie », selon les termes qu'avait alors employés le ministre du travail et des affaires sociales, M. Jacques Barrot, lors de son intervention à l'Assemblée nationale, le 24 avril 1996. Vous le voyez, j'ai de bonnes références, monsieur le ministre !

Or, près de dix ans plus tard, le constat est plus qu'amer : ces trois axes, loin de préserver le système, l'ont entraîné vers son déclin.

Ainsi, en matière de transparence, les critiques à faire sont très nombreuses. Je ne prendrai pourtant, ici, que deux exemples.

J'évoquerai, tout d'abord, la structure de la répartition de l'ONDAM, jusqu'à présent totalement opaque et qui ne sera pas rendue plus claire par ce projet de loi - au contraire ! -puisque la définition et la gestion des sous-objectifs de l'ONDAM dépendront désormais du tout-puissant directeur de l'UNCAM, l'Union nationale des caisses d'assurance maladie.

Je signalerai, ensuite, que, même si, dans ce texte de loi, est prévue une consultation des commissions- je veux bien le reconnaître - il n'empêche que c'est le directeur de l'UNCAM, sous le contrôle, je l'imagine, du Gouvernement - ce dernier n'aura pas de problèmes avec le directeur actuel ! - qui fixe les sous-enveloppes, et ce sans possibilité de fongibilité entre ces enveloppes, comme nous l'avons déjà fait remarquer à plusieurs reprises tout à l'heure.

J'en viens au deuxième axe, relatif à la responsabilité. Les dernières années ont montré sur qui elle reposait principalement : exclusivement sur les assurés sociaux, rendus coupables du déficit chronique de la sécurité sociale. N'avons-nous pas entendu, tout au long de l'élaboration de la réforme de l'assurance maladie, les termes de « fraude », de « surconsommation de soins » ou encore de « nomadisme médical », alors que - on le sait - toutes ces dérives ne contribuent que pour une part infime au déficit de la sécurité sociale ?

Le Gouvernement n'a fait, pourtant, que multiplier les mesures réelles et symboliques pour condamner les assurés sociaux : que ce soit le forfait d'un euro, l'insertion d'une photo d'identité sur la carte Vitale, ou encore l'envoi régulier d'un relevé des dépenses de santé propre à chaque assuré social, toute ces mesures vexatoires n'ont aucun effet et ne tendent qu'à mieux faire porter aux citoyens, en les culpabilisant, la responsabilité de la situation désastreuse de la sécurité sociale.

En revanche, on n'a jamais évoqué la responsabilité des gouvernements qui ont multiplié les mesures grevant les comptes de la protection sociale par des exonérations de cotisations sociales, ni la responsabilité de ceux qui ont préféré augmenter les cotisations à la charge des ménages plutôt que d'actionner les recettes sur la valeur liée au travail.

J'aborde, enfin, le dernier axe : comment peut-on décemment parler de démocratie à propos d'une étatisation de l'assurance maladie qui a spolié les salariés de leur droit de vote ? Les textes de 1996 visaient à organiser une réforme structurelle des caisses en accordant un rôle majeur aux gouvernements en matière de nomination des directeurs et en instaurant des taux de remboursement négociés et pilotés par ces mêmes gouvernements.

Ceux qui ont mis en place toutes ces mesures ont oublié que la sécurité sociale est le bien commun des assurés ! Ce sont eux qui la financent, par les cotisations sociales ; c'est donc à eux que doit revenir la gestion de la part des richesses qu'ils créent et qu'ils réservent à la sécurité sociale.

Cependant, aux termes des ordonnances de 1996, qui tendaient à conférer un rôle pivot aux gouvernements, a été introduit un nouveau paritarisme donnant une place prépondérante au patronat. Comment, alors, décemment parler de « démocratie sanitaire et sociale » ? Celle-ci nécessite, en effet, au minimum, une co-élaboration des projets de financement de la sécurité sociale par les conseils d'administration des caisses nationales de sécurité sociale.

Or on ne trouve nulle trace de cela dans le présent texte, qui va encore plus loin dans cette logique d'étatisation et de déni de la démocratie sociale. En effet, comme nous l'avons déjà dit, ce projet de loi organique tend non seulement à conférer au directeur de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie des « super pouvoirs », mais, de plus, le contrôle parlementaire de la sécurité sociale devra être accru du fait de l'abandon du caractère annuel de l'examen par le Parlement des projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Enfin, un amendement de la majorité, à l'Assemblée nationale, est venu donner au Gouvernement le droit de légiférer par ordonnances en ce qui concerne les dispositions relatives aux recettes, aux dépenses et à l'équilibre général pour l'année à venir. Mais je crois savoir que le Gouvernement n'y était pas très favorable : si tel était bien le cas, nous ne pourrions que nous en féliciter.

Nous l'avons vu, ce projet de loi ne fait qu'aller dans le sens des lois de financement de la sécurité sociale telles qu'elle existent depuis près de dix ans. C'est pourtant d'une réelle rupture avec ce schéma que nous avons besoin aujourd'hui ! En cette période d'incertitude économique, la qualité de notre système de sécurité sociale est déterminante pour renforcer et consolider le lien social, prévenir les exclusions et assurer, pour chacun, le plein exercice de ses droits.

Voilà donc où cette politique de gestion comptable de la sécurité sociale nous a menés ! On a fixé des objectifs et, dans le même temps, multiplié les sanctions à l'égard de ceux qui ne s'y conformaient pas. En réalité, ce sont les dépenses de santé qui en ont fait les frais et qui ont été sévèrement limitées.

Pourtant, ces différentes lois annuelles, à en croire ceux qui les portaient, devaient donner une véritable orientation au financement de la sécurité sociale et en préserver la spécificité. Il n'en aura rien été.

Compte tenu de ces différentes raisons, il nous paraît donc essentiel que ce texte retourne devant la commission, afin que nous puissions l'examiner en pleine sérénité et qu'ensuite se déroule le débat qu'il mérite.

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