Intervention de Louis Mermaz

Réunion du 6 décembre 2006 à 15h15
Loi de finances pour 2007 — Sécurité

Photo de Louis MermazLouis Mermaz :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est en entendant des opinions différentes que l'on parvient finalement à établir un constat objectif de la situation. Ayant travaillé sur la presse et les débats parlementaires sous la IIIe République et entendu des échanges parfois contradictoires, je suis arrivé à la conclusion que c'est ainsi que l'on parvient à connaître la vérité. Je suis sûr qu'il en ira de même avec le sujet qui nous occupe aujourd'hui.

La question qui vient tout naturellement à l'esprit en examinant les crédits de la mission « Sécurité » est celle-ci : le Gouvernement a-t-il pris la mesure des difficultés rencontrées depuis les événements de l'automne 2005 ?

Les causes de l'insécurité grandissante - rien n'indique au demeurant qu'elles disparaîtront - sont connues et viennent de loin. En l'occurrence, nous nous accorderons tous ici à relever la pauvreté et la précarité, l'exclusion de catégories de la population de plus en plus nombreuses, la déshérence culturelle, l'échec scolaire ou l'absence de débouchés pour ceux - nombreux pourtant - qui ont réussi, les discriminations, donc la formation durable dans notre pays de poches de pauvreté avec la révolte et la désespérance de tant de gens enfermés, à l'écart de notre société.

Mes chers collègues, la seule question qu'il importe au fond de se poser est la suivante : le Gouvernement a-t-il choisi la politique qui permettrait de faire reculer la misère ? Tout se tient, en effet : la politique économique et sociale et, au bout de la chaîne seulement, le contenu des missions de sécurité. Je vous laisse donc juge !

Les lois répressives se succèdent, exacerbant les tensions et le sentiment de ciblage qu'éprouve une partie de nos compatriotes. Or cette frénésie législative ne règle rien, bien au contraire.

Les orientations budgétaires que vous défendez, monsieur le ministre, ne vont rien arranger non plus. La répartition des crédits destinés à la police nationale pour 2007 ne permettra pas de regagner le terrain perdu dans les quartiers dits sensibles.

Le ministre de l'intérieur s'obstine à refuser de laisser sa part à la prévention, à la présence et au dialogue, à l'alerte - appelez cela comme vous voudrez -, à la proximité, au vivre et agir au milieu des habitants, préférant privilégier l'investigation, si possible spectaculaire et médiatisée, qui ne résout rien durablement, qui abandonne ensuite les habitants de quartiers entiers aux pires déboires, qui provoque à leur encontre troubles, menaces ainsi qu'amalgames injustes et dangereux.

L'investigation ponctuelle, voire répétée, est bien sûr nécessaire, mais elle ne dispense pas, bien au contraire, d'une présence permanente des forces de police dans certains quartiers, tard le soir et parfois vingt-quatre heures sur vingt-quatre, afin d'assurer la tranquillité, de faire reculer le sentiment de peur et la délinquance au quotidien.

Et quand la situation est devenue intenable, faute de prévention et d'anticipation, le Gouvernement en a été réduit à faire intervenir CRS et gendarmes mobiles dans un climat quasi guerrier. Hélas ! il était trop tard.

En outre, l'encadrement continu de certains quartiers par des unités de CRS, auxquelles ordre est donné de procéder à des contrôles d'identité répétés souvent ressentis comme des contrôles au faciès, accroît le sentiment d'exclusion et d'humiliation dans un corps social malade.

Monsieur le ministre, la police de proximité, qui insupporte votre collègue ministre de l'intérieur, avait commencé à rétablir un lien et un dialogue avec les jeunes. Mais par idée préconçue, par rigidité et dogmatisme, il l'a cassée. Ce projet de budget démontre qu'il entend persévérer.

Le souhait du Premier ministre de voir s'établir une police « de tranquillité publique », « en contact régulier avec la population, les commerçants, les familles, les gardiens d'immeubles et les responsables d'associations », restera donc lettre morte. Du moins le Premier ministre, lui, aura-t-il lu le récent rapport de la mission commune d'information du Sénat sur les quartiers en difficulté, s'intitulant Un nouveau pacte de solidarité pour les quartiers.

Le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, contrairement à son titre, est porteur d'un nouvel arsenal répressif. Agressif et sans nuance, il va creuser davantage le fossé entre la police et les pouvoirs publics, d'une part, les jeunes, d'autre part, les élus étant sommés de mettre en oeuvre une politique qu'ils désapprouvent très souvent.

Dans ce climat, la tâche des policiers se trouvera alourdie, les interventions sporadiques et soudaines ne pouvant compenser l'insuffisance des effectifs dans des secteurs où leur présence permanente serait si nécessaire. Ne manque-t-il pas de nombreux fonctionnaires dans le seul département de la Seine-Saint-Denis, pour ne citer que celui-là, où plusieurs communes très peuplées sont encore dépourvues de commissariat ?

En fait, le ministère de l'intérieur, dans des opérations coups-de-poing de plus en plus aléatoires et périlleuses, engage des jeunes fonctionnaires - gardiens de la paix et commissaires - là où il faudrait assurer la présence pérenne de policiers chevronnés, forts de leur expérience et d'une bonne dose d'autorité au meilleur sens du terme.

Mais comment fidéliser les jeunes policiers dans la région parisienne après leur temps d'apprentissage sur le terrain quand le ministère fait si peu pour leur logement, leur accession à la propriété, la mise à disposition de services sociaux indispensables ? Comment faire quand la prime « aux résultats exceptionnels » est souvent attribuée de façon obscure à 10 % des effectifs, quand il n'est toujours rien prévu pour le paiement des heures supplémentaires - elles sont seulement récupérées, et au bout de combien de temps ? -, quand les salaires des gardiens de la paix demeurent médiocres, la prime de risque faible et la fixation de l'âge de la retraite toujours en suspens ?

Bref, à l'angoisse des populations répond le découragement de beaucoup de policiers. Dans le même temps, le divorce se confirme entre les habitants de nos banlieues et la police, qui devrait leur apparaître comme leur police, tandis qu'un autre commence à s'esquisser entre la police et les pouvoirs publics dont vous avez la charge.

C'est pourquoi nous réclamons des effectifs mieux répartis et plus expérimentés. Nous demandons également que des perspectives de carrière valorisantes soient offertes aux jeunes.

Nous savons que la police ne peut réussir seule des missions de plus en plus difficiles. Une coordination doit s'établir sans tarder entre les différents acteurs institutionnels. Or, le ministre de l'intérieur, en dénonçant un prétendu manque de sévérité chez certains juges vis-à-vis des délinquants ou des lenteurs dues, comme on le sait, au manque de moyens des tribunaux, en opposant les institutions les unes aux autres, comme il l'a fait en septembre, affaiblit indistinctement l'autorité de l'État, qui doit former un tout.

Je veux dire un dernier mot de la situation que subissent certains immigrés.

Dans les zones d'attente et les centres de rétention administrative, là aussi, la politique du chiffre conduit trop souvent le Gouvernement à enfreindre la déontologie, le respect des droits de l'homme et le respect dû à la loi.

En outre, que dire du sort cruel réservé aux enfants scolarisés des familles de sans-papiers ? Ces dernières vivent dans l'angoisse d'une reconduite à la frontière, alors qu'à la veille des grandes vacances leur avait été promis l'examen de leur cas, promesse bientôt trahie par les quotas fixés par le ministre de l'intérieur.

Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre délégué à l'aménagement du territoire, faisant fonction de vice-ministre de l'intérieur, ...

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