Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’issue de nos longs débats, le projet de loi de réforme des collectivités territoriales tel que nous sommes maintenant appelés à le voter n’a pas dissipé la profonde inquiétude des membres du groupe RDSE ; loin s’en faut !
Je ne reviendrai que brièvement sur le déroulement de cette navette, qui a vu l’Assemblée nationale se saisir, avec l’accord enjoué du Gouvernement, des prérogatives constitutionnelles du Sénat.
Nous nous souvenons que, lors de la première lecture, ce même Gouvernement exprima son opposition aux amendements afférents au mode de scrutin, à la carte cantonale ou à la répartition des compétences. Ces amendements, nous disait-on alors, étaient hors sujet car ils étaient l’objet de futurs projets de loi déjà déposés.
Ce qui était impossible hier est subitement devenu possible, les arguments hier défavorables sombrant, par enchantement, dans l’oubli le jour suivant. C’est, à notre sens, un véritable affront fait à notre Haute Assemblée, qui illustre une méthode que nous réprouvons et dont nous avons pu constater l’utilisation avant même la rédaction de ce projet de loi par le Gouvernement.
En effet, faut-il rappeler comment le Sénat a été traité dès la publication des conclusions des travaux d’excellente facture de la mission sénatoriale présidée par M. Belot, qui reste notre repère ? Ce rapport contenait – et contient toujours, du reste – les propositions nécessaires à une révolution douce et consensuelle de notre organisation décentralisée. Il y avait là matière à faire du bon travail et à élaborer un bel ouvrage législatif pour engager une véritable réforme, une réforme qui aurait eu du sens.
Or, c’est ce qui manque cruellement au texte, ou du moins à ce qu’il en reste à l’heure actuelle. Car, au terme de cette deuxième lecture, que reste-t-il de ce projet de loi, si ce n’est un texte détricoté au fil de la discussion : un conseiller territorial sans mode d’élection et sans circonscription après des débats confinant presque à l’absurde, une répartition des compétences renvoyée aux calendes grecques. Bref, ce texte n’a plus aucun sens !
Loin du « big-bang » territorial voulu par le comité Balladur, ce projet de loi constitue selon nous une régression majeure de la décentralisation, qui nous ramènerait presque à la caporalisation des collectivités en vigueur avant 1982.
Messieurs les ministres, à l’évidence votre texte manifeste toute la défiance que vous nourrissez à l’égard de l’autonomie locale, de l’intelligence des territoires et de la démocratie de proximité. Il s’inscrit de fait dans le mouvement général d’appauvrissement des collectivités, illustré par la suppression de la taxe professionnelle mais aussi par la fermeture des services publics de proximité, notamment dans les cantons les plus ruraux.
Symbole de cette régression : le conseiller territorial, véritable hydre à deux têtes appelée à siéger dans deux assemblées délibérantes au risque avéré d’enfreindre le principe constitutionnel de non-tutelle d’une collectivité sur une autre, et pour lequel nous peinons toujours à appréhender les futures circonscriptions d’élection. Étrange dédoublement que celui de ce conseiller à double casquette qui devra à la fois arpenter son canton, au nom de la proximité, et développer une vision stratégique à l’échelle de la région ! Étrange cohabitation également que celle de présidents d’exécutif d’étiquettes opposées siégeant au sein d’une même assemblée ; la clarté et la simplification n’y gagneront certainement pas !
Même si vous ne l’avouez pas, votre projet de loi annonce les prémices de la mort des départements. Nous en voulons pour preuve la création de la métropole : celle-ci regroupera dans une même entité les bassins démographiques et les unités économiques les plus dynamiques, et concentrera de la sorte la part la plus significative des ressources fiscales destinées à financer les transferts de droit des compétences en provenance de la région et du département. De la sorte, la métropole viendra cannibaliser les départements réduits à gérer ce qu’ils peuvent avec des ressources manifestement amoindries. Voici donc la mort programmée et non assumée du département !
Sous prétexte de rationalisation et de simplification, ce projet de loi ne fait en réalité qu’aggraver la lourdeur de notre organisation administrative et remet l’État, par l’entremise du préfet, au cœur de la vie locale.
Je regrette ainsi que nos amendements qui tendaient à rééquilibrer le poids des communes au sein des intercommunalités aient été rejetés. C’est bien le signe d’une défiance manifeste à l’égard d’une gouvernance fondée sur le consensus et qui a pourtant fait ses preuves depuis de nombreuses années. Vous introduisez des clivages partisans là où ils n’ont pas lieu d’être !
Pour conclure, je voudrais rappeler que la majorité des associations d’élus locaux s’est prononcée en défaveur de ce texte ; c’est bien la marque du mécontentement grandissant qui bouillonne dans nos territoires, mécontentement que nous partageons et que nous constatons sur le terrain.
Pour autant, une minorité d’entre nous a décidé d’approuver ce texte, signe du pluralisme de notre groupe. Mais l’immense majorité des membres du groupe RDSE, parmi lesquels ceux qui se réclament de l’opposition, votera contre ce texte avec résolution et détermination, d’abord et avant tout pour combattre l’atteinte intolérable que porte ce projet de loi à la libre autonomie des collectivités territoriales, mais également pour manifester son profond désaccord quant à la forme et à la procédure employées, ainsi qu’aux très mauvaises manières faites à notre Haute Assemblée.