Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 3 mars 2006 à 9h45
Égalité des chances — Article 10

Photo de Roland MuzeauRoland Muzeau :

L'article 10 pourrait procéder de la simple coordination, pour peu que l'on examine son caractère quelque peu limité. Il ne comporte qu'un alinéa, soit nettement moins que l'article 9 que nous venons d'examiner cette nuit, et il porte sur la question de la clause locale d'embauche.

Il s'agit tout simplement, dans l'esprit de cet article 10, d'étendre ces dispositions du paragraphe II de l'article 13 de la loi du 14 novembre 1996 relative à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville à la quinzaine de nouvelles zones franches urbaines que l'on s'apprêterait, par voie réglementaire, à créer.

À dire vrai, la clause locale d'embauche n'est pas la clause la plus difficile à respecter pour les entreprises implantées dans les ZFU, les zones franches urbaines.

Si l'on en croit le rapport de l'ONZUS, l'observatoire national des zones urbaines sensibles, 27 % des salariés recrutés en 2003 dans les établissements présents au 1er janvier 2002 étaient issus du quartier et 32 % dans les nouveaux établissements. On est donc extrêmement proche du taux de 33 % qui est aujourd'hui recherché.

Cela étant dit, la clause locale d'embauche pose d'autres questions. Nous pourrions nous satisfaire d'un dispositif tendant à permettre aux habitants des quartiers de tirer parti du relatif développement induit par la ZFU, parce qu'en première impression il devrait d'abord répondre à leur attente, mais nous avons aussi souligné que la qualité de l'emploi, notamment les niveaux de rémunération pratiqués, pouvaient de fait confiner les salariés concernés dans l'univers des bas salaires et l'absence de reconnaissance des qualifications.

Quand les trois quarts des rémunérations sont inférieures à un SMIC et demi, c'est là un enjeu majeur. D'ailleurs, dès 2002, ces problèmes étaient pointés par notre collègue Pierre André, qui, à propos de la clause d'embauche locale, alors fixée à 20 % des emplois, écrivait ce qui suit :

« Une clause destinée à favoriser l'emploi des habitants des quartiers défavorisés.

« L'article 12 de la loi du 14 novembre 1996 prévoit que lorsqu'un employeur a embauché deux salariés ouvrant droit à exonération, le nombre de salariés qui résident dans les ZFU doit être d'au moins 20 % de l'effectif employé. Cette clause ne s'applique donc pas aux très petites entreprises.

« D'aucuns étaient dubitatifs quant à la possibilité de respecter ce critère destiné à éviter que les habitants des quartiers ne soient exclus de l'accès à l'emploi, alors même qu'ils sont assignés à résidence dans ces grands ensembles.

« Une clause si bien respectée ...

« Toutes les statistiques montrent que le minimum de 20 % d'emplois locaux a non seulement été respecté, mais encore dépassé.

« Selon l'étude de la DARES, la part des salariés employés résidents dans les ZFU sur l'effectif total exonéré est, en moyenne, de 26 %, soit six points de plus que l'obligation légale. La même source note que fin 1999, 13 000 salariés des établissements situés en ZFU résident dans ces zones, contre 9 000 un an plus tôt. En août suivant, on considère qu'à la fin 2000, sur 54 000 salariés exonérés, environ 14 500 résident dans l'une des zones.

« Concrètement, le contrôle du respect de la loi suppose une analyse détaillée effectuée sur le terrain. Il résulte des chiffres communiqués à votre rapporteur que la part des emplois occupés par les habitants des quartiers est de 36 % à Marseille et à Strasbourg, 33 % à Amiens, 30 % à Meaux et 25 % à Garges-lès-Gonesse.

« Selon les données collectées à Meaux, il semble, de surcroît que les entreprises n'attendent pas d'avoir franchi le seuil fixé par la loi pour embaucher un résident de la ZFU et qu'elles réservent l'offre d'emploi à un résident à la première ou à la deuxième embauche, alors que la loi prévoit que la clause de 20 % joue à partir de trois emplois.

« On notera cependant que les difficultés rencontrées par les entreprises pour recruter du personnel salarié se sont trouvées renforcées par la clause de 20 % : certaines entreprises se trouvant à la merci du départ volontaire d'un salarié qui avait pour effet de leur faire perdre le droit à exonération, alors même qu'elles rencontraient de réelles difficultés pour pourvoir le poste vacant en embauchant un résident de la ZFU.

« Une clause si bien respectée qu'elle pose le problème de l'employabilité des chômeurs

« Le succès rencontré pour l'emploi de personnes qui résident dans la ZFU a sa contrepartie : les entreprises enregistrent désormais des difficultés pour recruter des salariés issus des quartiers sensibles. Il serait, en conséquence, souhaitable d'envisager de moduler la loi sur ce point en permettant, lorsque la notion de quartier périphérique bien individualisé est inopérante, par exemple dans les zones périurbaines d'Île-de-France où l'on ne distingue plus les limites des agglomérations, de recruter des personnes résidant dans d'autres quartiers sensibles.

« Au demeurant, les chômeurs qui résident dans les ZFU sont caractérisés par un très faible niveau de formation, à l'instar de ceux de la zone franche de Meaux, dont près de 70 % sont peu ou pas qualifiés, ce qui explique la difficulté tenant à faire baisser le chômage en ZFU au même rythme que celui observé dans le reste des agglomérations concernées.

« Les difficultés dans le recrutement des chômeurs se font partout sentir, à l'instar de la situation à Strasbourg où l'on souligne l'inadéquation de la qualification des chômeurs, tandis que d'une manière générale, les chefs d'entreprises estiment que les jeunes sont peu autonomes, s'adaptent assez mal aux contraintes liées au monde du travail et n'acceptent pas les niveaux de salaires de débutants. Une remarque analogue est faite par l'assemblée permanente des chambres de métiers, selon laquelle, les professionnels sont confrontés à des populations pas forcément motivées par les postes offerts : difficulté à se plier aux contraintes horaires et aux règles de l'entreprise, ce qui entraîne des salariés instables et peu motivés. Cette situation est rencontrée même lorsqu'il existe un centre de formation d'apprentis. L'existence d'une économie parallèle amplifie, sans aucun doute, les difficultés et détourne notamment les jeunes. »

L'opinion de l'assemblée permanente des chambres de métiers devrait, je crois, nous amener à nous interroger, mes chers collègues.

Ces remarques qui, dans les faits, ne sont produites qu'à partir du seul point de vue des employeurs montrent en fait les limites et les travers de la clause locale d'embauche.

S'il faut aider les personnes privées d'emploi dans les zones urbaines sensibles à trouver un emploi, ce ne peut être uniquement organisé autour de l'obligation faite aux entreprises tirant parti du statut dérogatoire de la ZFU pour s'implanter, sauf à favoriser, encore et toujours, hélas ! la production d'un grand nombre d'emplois sans qualification ni rémunération acceptable, facteur évident de ce que l'on appelle l'« assignation à résidence » et dont la conséquence immédiate est un turnover effroyable, de sorte que l'effet des dispositions pour favoriser l'emploi dans ces quartiers se trouve annihilé.

Notre questionnement sur l'extension du dispositif de ZFU se complète d'un questionnement sur l'extension de toutes ses composantes. C'est le sens de cet amendement.

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