L’avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale que vous avez soumis à la concertation, madame le ministre d’État, et dont vous avez rappelé qu’il était accessible à tous et à tout moment, notamment sur Internet, subordonne le placement en garde à vue à l’existence d’une infraction d’une certaine gravité. Le recours à la garde à vue serait limité aux crimes et délits passibles d’une peine d’emprisonnement. Cette exigence permettrait sans doute d’éviter les dérives que nous avons soulignées précédemment.
Permettez-moi de faire un bref rappel de l’état actuel de notre droit en la matière.
Les dispositions des articles 63 et suivants du code de procédure pénale définissent et organisent la garde à vue et ses conditions.
Il est ainsi prévu que « toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction » peut être placée en garde à vue par un officier de police judiciaire « pour les nécessités de l’enquête ». La durée de cette privation de liberté est de vingt-quatre heures maximum, renouvelable une fois avec l’accord écrit du procureur de la République. Des cas spécifiques de prolongation sont prévus pour les infractions de criminalité organisée, ainsi que pour tout risque sérieux et imminent d’une action terroriste. Vous avez eu raison de dire, madame le ministre d’État, que ces dernières situations constituaient des cas spécifiques auxquels devait s’appliquer une règle spécifique.
En contrepartie de cette privation de liberté, la personne gardée à vue dispose de différents droits. Elle se voit informée de la nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, de ses droits et de la durée de la garde à vue. En outre, elle peut faire valoir son droit de prévenir une personne par téléphone de son placement en garde à vue et demander à s’entretenir avec un avocat dès le début de la procédure.
À travers l’évolution de sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l’homme a précisé les conditions de représentation par un avocat de la personne placée en garde à vue et a condamné, dans des arrêts récents, plusieurs États membres.
Comme vous l’avez rappelé, madame le ministre d’État, « la Convention européenne des droits de l’homme est d’application directe, sa jurisprudence ne s’impose qu’aux États parties à l’affaire jugée ». Vous avez également souligné à l’instant encore, du haut de cette tribune, que la France, ayant déjà prévu la présence de l’avocat lors de la garde à vue dans les conditions du droit positif, s’était sans doute mise à l’abri d’un reproche de la Cour européenne des droits de l’homme. Cela ne doit pas nous empêcher de faire évoluer notre droit s’agissant des conditions d’intervention de l’avocat à ce stade de l’enquête de police ou de gendarmerie.
Il semble raisonnable, comme vous l’avez dit, de ne pas attendre une condamnation éventuelle pour réformer notre droit, bien que cette perspective semble aujourd’hui s’éloigner.
De plus, au regard du nombre de propositions de loi déposées sur le bureau de chaque assemblée, une réforme semble particulièrement nécessaire et urgente. Nous nous réjouissons de votre détermination en la matière, madame le ministre d’État, lorsque vous affirmez que « l’amélioration des conditions de garde à vue est une priorité dans le cadre de la future réforme de la procédure pénale », une réforme que vous allez présenter et porter.
Le groupe UMP appelle votre attention sur son souhait que la garde à vue soit réformée en priorité à l’occasion de l’examen de la réforme, plus vaste, de la procédure pénale.
Le texte qui nous est aujourd’hui soumis prévoit, dans son article unique, l’assistance immédiate d’un avocat pour les personnes placées en garde à vue. Il préconise, plus particulièrement, la présence de l’avocat dès le début de la mesure de privation de liberté lorsque la personne concernée le demande. Ensuite, lors des interrogatoires, cette présence devient obligatoire, sauf renonciation expresse de l’intéressé.
Parallèlement, le comité de réflexion présidé par M. Philippe Léger préconise dans son rapport le maintien du dispositif actuel, avec un nouvel entretien à la douzième heure, un accès aux procès-verbaux d’audition et une présence aux interrogatoires à partir de la vingt-quatrième heure. S’inspirant de cette préconisation, l’avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale prévoit un deuxième entretien à la douzième heure et, au-delà de la vingt-quatrième heure, la possibilité pour l’avocat, qui aura eu accès aux comptes rendus des interrogatoires déjà menés, d’assister la personne durant toute la durée de la prolongation, lui permettant ainsi de « faire des observations et poser des questions ».
La présente proposition de loi va donc bien au-delà des conclusions du comité de réflexion présidé par M. Léger et de l’avant-projet de loi lui-même quant aux prérogatives conférées à l’avocat, en proposant que celui-ci ait immédiatement accès au dossier.
Cependant, pour des raisons d’ordre matériel dont il importe de tenir compte, l’accès immédiat au dossier nous paraît difficilement envisageable. Nous rejoignons pleinement la position de notre rapporteur, François Zocchetto, qui a souligné qu’ « en cas d’interpellation, particulièrement dans une enquête de flagrance, le dossier est constitué matériellement au cours de la garde à vue, l’ensemble des procès-verbaux étant rédigés et rassemblés uniquement à la fin de la mesure ». Prenant en compte ces difficultés, l’avant-projet de loi prévoit que l’avocat pourra recevoir une copie des procès-verbaux des interrogatoires, une fois ceux-ci réalisés. Cela va dans le bon sens.
C’est pour appréhender de manière globale cette réforme qu’une mission parlementaire, coprésidée par nos collègues Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel, sera mise en place. Il convient donc de souligner que, sur ce sujet aussi, une large consultation est aujourd’hui organisée, au sein et en dehors du Sénat. Il paraît donc judicieux de renvoyer ce texte à la commission, afin d’avoir une vue globale de ce sujet complexe tant sur le fond que sur la forme, notamment s’agissant des conditions matérielles d’exercice de leur mission par les avocats.
On nous a assez reproché de saucissonner les textes, notamment à l’occasion de la récente réforme des collectivités territoriales. Que l’on ne vienne pas nous reprocher, aujourd’hui, de vouloir intégrer ce texte à une réforme plus vaste ! Nous pourrons ainsi avoir une vision plus fine, plus générale et plus cohérente de l’ensemble de ces sujets en tout point essentiels sur le plan de la procédure pénale, puisqu’ils touchent aux libertés individuelles !