Intervention de Laurent Béteille

Réunion du 24 mars 2010 à 14h30
Garde à vue — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Laurent BéteilleLaurent Béteille :

… soit une augmentation extrêmement importante. Je précise que les gardes à vue de courte durée représentent environ les trois quarts du total.

Nous pouvons nous interroger sur l’effet de certains critères qui, comme d’autres orateurs l’ont rappelé à cette tribune, visent à évaluer l’efficacité des services de police en fonction du nombre des gardes à vue. Ont-ils suscité davantage ces mesures ? Qualifie-t-on désormais de gardes à vue certaines présences au commissariat qui, autrefois, étaient passées sous silence ? Je l’ignore. Quoi qu'il en soit, le nombre de gardes à vue que je citais à l’instant est anormal, et nous devons nous interroger à ce sujet.

L’article unique de la proposition de loi de notre collègue Jacques Mézard et de certains autres membres du groupe du RDSE permet à la personne mise en cause, quand elle en fait la demande, y compris sur commission d’office si c’est nécessaire, d’être immédiatement assistée par un avocat et entendue en la présence de celui-ci lors de la première audition, dont il est précisé qu’elle sera différée jusqu’à l’arrivée du défenseur.

Tout d'abord, je ne suis pas persuadé que cette mesure permettrait de réduire le nombre des gardes à vue en tant que telles. En revanche, elle risque plutôt d’entraîner leur prolongation ! Quelle que soit son efficacité, elle doit donc s’intégrer dans un mécanisme plus complet, susceptible de réduire le nombre des gardes à vue, ce qui n’est pas le cas, me semble-t-il, de la présente proposition de loi.

En outre, ce dispositif ne prévoit pas que l’avocat disposera aussitôt du dossier de son client, et cela en raison de difficultés matérielles. Nous touchons là, me semble-t-il, au problème fondamental de la présence de l’avocat au cours de la garde à vue, qui, à mon avis, est moins lié aux contraintes de l’horloge qu’aux possibilités d’action de l’avocat.

Lorsque j’exerçais cette profession – je remercie d'ailleurs Pierre Fauchon d’avoir souligné que ceux qui se trouvaient dans ce cas, et nous sommes plusieurs ici, étaient les mieux placés pour donner leur avis sur ces questions –, il m’est arrivé d’être appelé à une heure impossible de la nuit, de devoir me rendre à soixante-dix kilomètres de mon domicile et de voir la personne placée en garde à vue s’éveiller difficilement à mon arrivée pour me demander ce que je pouvais faire pour elle et ce que contenait son dossier. Elle s’imaginait pouvoir être un tant soit peu défendue, mais telle n’était pas la réalité !

Je l’interrogeais pour savoir si la garde à vue s’était déroulée dans les conditions légales, mais, au fond, mon rôle était non pas celui d’un avocat, mais plutôt celui d’une assistante sociale « améliorée », et encore ai-je un doute quant à ce dernier qualificatif !

Le dispositif dont je faisais l’expérience il y a encore dix ans était donc véritablement insatisfaisant et il faut reconnaître que, malgré quelques avancées, il l’est resté ! Pour l’améliorer, car tel est le problème que nous avons à résoudre, nous devons certes prévoir que l’avocat puisse être présent beaucoup plus tôt, mais surtout – ce point me semble essentiel – faire en sorte qu’il dispose des procès-verbaux, qu’il sache de quoi il est question et qu’il puisse concourir utilement à l’œuvre de justice, au bénéfice de son client.

Il est vrai qu’un problème de déontologie se pose, comme certains orateurs l’ont souligné. Nous ne l’ignorons pas, et nous devons être vigilants sur ce point.

Je suis convaincu que les barreaux le sont également et ont pris des précautions en la matière, lesquelles doivent peut-être être réaffirmées pour faire en sorte que tout se passe conformément à ce que nous sommes en droit d’attendre.

Mais, d’un autre côté, dans un certain nombre de domaines comme celui de la criminalité organisée, il est également vrai qu’il nous faut être prudents quand nous faisons évoluer notre législation.

À l’instar de certains de mes collègues, j’estime donc que la réflexion doit être non seulement approfondie mais aussi complète. Notre collègue Jean-Pierre Michel a indiqué tout à l'heure que la réforme à venir justifiait plus encore l’adoption des dispositions qui nous sont ici proposées. Mais il faut être cohérent et mener concomitamment les deux réflexions : quitte à revoir les dispositions relatives à la garde à vue, autant le faire à l’occasion de l’examen du futur projet de loi, car nous risquons sinon de voter aujourd'hui des dispositions qui seront en décalage avec le droit de demain.

Je rejoins la position exprimée tout à l'heure par M. le rapporteur : il nous faut vraiment avoir cette réflexion d’ensemble. Certes, il est urgent d’agir, mais pas dans n’importe quelles conditions. La méthode qui nous est proposée par notre excellent rapporteur est la bonne.

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