Intervention de Yvon Collin

Réunion du 24 mars 2010 à 14h30
Interdiction du bisphénol a — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Yvon CollinYvon Collin :

La première, menée à partir de cellules extraites du placenta de la mère, a permis d’établir que le bisphénol A est capable de traverser aisément le placenta pour se retrouver dans l’organisme du fœtus et qu’il serait responsable de problèmes de croissance de celui-ci, de naissances prématurées, mais aussi de fausses couches.

La seconde étude, menée auprès de 249 femmes enceintes, a mis en évidence les effets du bisphénol A chez les enfants qui y ont été exposés en phase prénatale. Les résultats de cette étude montrent en effet que les filles les plus exposées au bisphénol A au stade fœtal étaient plus susceptibles d’avoir un comportement agressif et hyperactif à l’âge de deux ans.

Plus récemment, le professeur Patrick Fénichel, endocrinologue au centre hospitalier universitaire de Nice, a réalisé des dosages dans le sang du cordon ombilical d’une centaine de bébés et trouvé du bisphénol A dans 90 % des échantillons.

Enfin, je rappelle que le bisphénol A possède une structure proche de celle du distilbène, produit qui, administré aux femmes enceintes dans les années soixante et soixante-dix, a été à l’origine de nombreuses malformations.

Ce sont toutes ces raisons qui nous ont poussés, plusieurs de mes collègues du RDSE et moi-même, à déposer, en juillet dernier, cette proposition de loi visant à interdire le bisphénol A dans la fabrication des plastiques alimentaires, et pas seulement dans celle des biberons.

D’ailleurs, je tiens à souligner, particulièrement à l’adresse de M. le rapporteur, que le bisphénol A est un perturbateur endocrinien, présent dans notre environnement depuis quelques décennies, qui peut toucher tous les nouveau- nés, qu’ils soient nourris au biberon ou pas. Aussi l’interdiction des biberons à base de bisphénol A n’est-elle pas suffisante pour protéger les bébés.

Par conséquent, madame la ministre, il faut agir vite, sans attendre nécessairement d’avoir une preuve scientifique. Lorsque ces enfants arriveront à l’âge adulte, il sera sans doute trop tard. Il s’agit d’une mesure de santé publique prioritaire. Les doutes sérieux que nous avons aujourd’hui doivent nous convaincre de prendre nos responsabilités, et ce en application du principe de précaution.

C’est le fondement même de ce principe, contenu dans la Charte de l’environnement, laquelle a valeur constitutionnelle depuis 2005 : responsabiliser l’individu à défaut d’anticiper et de prévenir des risques qui restent impossibles à vérifier dans le présent, mais dont la réalisation future est susceptible d’entraîner un préjudice sérieux et généralisé.

En effet, l’absence de certitudes ne doit pas retarder l’adoption de mesures visant à prévenir un risque de dommages graves, parfois irréversibles. Dans le cas du bisphénol A, les preuves ne manquent pas.

Considéré par certains comme un frein à l’innovation, le principe de précaution définit l’attitude que doit observer toute personne qui prend une décision concernant une activité dont on peut raisonnablement supposer qu’elle comporte un danger grave pour la santé ou la sécurité des générations actuelles ou futures, ou pour l’environnement.

Cela va à l’encontre d’un développement irréfléchi. De nombreux drames humains se sont produits du fait de la non-application ou de l’inexistence du principe de précaution. Si ce dernier avait été respecté, les tragédies du sang contaminé et de l’hormone de croissance n’auraient pas eu lieu.

Il en va de même pour l’amiante, dont l’usage en France n’a été interdit qu’en 1997, au prix d’un combat très rude contre les industriels du secteur, bien que ses dangers aient été reconnus dès 1906. Pendant des décennies, en dépit de tout ce que l’on savait de la toxicité de l’amiante, on a continué à en mettre partout. Pourtant, au début du siècle, on enregistrait déjà un grand nombre de décès parmi les travailleurs de l’industrie de l’amiante. Les dégâts provoqués sur la santé ont été soigneusement étudiés et dénoncés dès les années soixante, en particulier aux États-Unis, de telle sorte que ni les industriels concernés ni les pouvoirs publics ne pouvaient les ignorer.

Cette catastrophe sanitaire aurait pu – aurait dû – être évitée. Mais ni les industriels, ni les pouvoirs publics, ni les institutions de prévention n’ont joué le rôle de veille sanitaire qui aurait dû être le leur. Chacun supporte la responsabilité de ce scandale de l’air contaminé. Encore aujourd’hui, ce poison tue dix personnes chaque jour en France, et 100 000 personnes mourront à cause de l’amiante d’ici à quinze ans. Personne n’est à l’abri de ce fléau.

Pour toutes ces raisons, nous n’avons pas le droit de faire preuve d’attentisme, de rester les bras croisés face à un nouveau fléau sanitaire.

S’agissant du bisphénol A, il est intéressant de noter que les instances de sécurité sanitaires, que ce soit aux États-Unis, au Canada, au Japon, dans l’Union européenne ou en France, ont d’abord toutes conclu à l’absence de risque pour les consommateurs, y compris les nourrissons.

Mais, dès avril 2008, le Canada a annoncé sa volonté de classer ce produit comme substance toxique pour la santé humaine et nuisible à l’environnement. Le ministre de la santé canadien a en effet déclaré qu’il valait mieux jouer la sécurité que d’avoir des regrets. Les pouvoirs publics ont jugé, dans le cadre de leur obligation de gérer les risques, qu’il était préférable d’interdire le BPA, même si les données scientifiques ne l’imposaient pas.

Madame la ministre, voilà tout juste un an, en réponse à des députés qui réclamaient l’application du principe de précaution, vous aviez déclaré, lors d’une séance à l’Assemblée nationale, que des études « fiables concluaient en l’état actuel de la science à l’innocuité du bisphénol A ». Vous faisiez référence à l’étude menée en novembre 2008 par l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, qui évaluait les estimations d’exposition à moins de 30 % de la dose journalière tolérable.

Pourtant, à cette époque, il existait près de 670 études internationales répertoriées, qui, dans leur grande majorité, ne laissaient plus aucun doute quant aux effets toxiques de cette substance chimique. Madame la ministre, pourquoi ne pas avoir pris en considération l’ensemble de ces études ?

Quand les agences sanitaires affirment qu’il n’y a pas de preuve avérée s’agissant de l’homme, est-ce une raison pour attendre et ne rien faire, alors qu’il existe de multiples preuves chez l’animal ? D’autant que ce qui est mauvais pour l’animal ne peut, me semble-t-il, être bon pour l’homme ! Ne faut-il agir qu’à partir du moment où l’on a une certitude, au risque d’aboutir à une catastrophe sanitaire ?

Il est pourtant de votre responsabilité – et de la nôtre aussi – de prendre des mesures de protection sans attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. C’est un devoir envers nos concitoyens et les générations futures. Nous devrions toujours accorder la primauté aux prévisions pessimistes. C’est là l’humilité de la sagesse. Il s’agit non pas de contrer le progrès médical ou technologique, mais de l’encadrer en adoptant des mesures de précaution. Nous devons être les gardiens de l’humanité et exiger le risque « zéro » en matière sanitaire.

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