Intervention de Gérard Dériot

Réunion du 24 mars 2010 à 14h30
Interdiction du bisphénol a — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Gérard DériotGérard Dériot, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le bisphénol A est un composé chimique synthétisé dès la fin du xixe siècle et présent depuis plus de quarante ans dans de nombreux produits, y compris dans notre vie quotidienne. Constituant de base du polycarbonate et des résines époxydes, il est notamment utilisé en contact alimentaire dans les biberons, les bouteilles, les canettes, les fûts ou les boîtes de conserve.

Le BPA est fabriqué, commercialisé et contrôlé dans le respect des règles sanitaires en vigueur, particulièrement prudentielles dans l’Union européenne. L’ensemble des agences sanitaires l’ont ainsi évalué et l’Autorité européenne de sécurité des aliments a fixé une « dose journalière admissible » de 0, 05 milligramme par kilogramme de poids corporel.

Pourtant, certaines études scientifiques remettent aujourd’hui en cause la pertinence de l’approche toxicologique classique adoptée jusqu’alors. En effet, le BPA fait partie d’une famille de molécules très variées, les perturbateurs endocriniens, qui sont reconnues par le corps humain comme des hormones naturelles et influent en conséquence sur le système hormonal, soit en mimant certains effets, soit en bloquant certains récepteurs hormonaux. De ce fait, ils ont des incidences potentielles, encore mal mesurées, sur la reproduction, le développement des cancers hormono-dépendants, le métabolisme ou le comportement. Ils pourraient même avoir des effets, à dose faible voire très faible, en se surajoutant aux hormones naturelles.

Dans ces conditions, on peut légitimement se demander si l’approche toxicologique classique, tendant à définir une dose journalière tolérable, reste adaptée. Est-il toujours pertinent de fixer cette dose plafond pour refléter l’incidence sanitaire de ces perturbateurs endocriniens ?

La réponse est encore incertaine et, dans ce nouveau contexte scientifique, toutes les agences sanitaires ont rapidement réagi et abouti à des conclusions similaires. Pour sa part, l’AFSSA a rendu un nouvel avis sur le BPA en janvier dernier. Elle y évoque des « signaux d’alerte » et des « effets subtils sur le comportement », mais elle précise également que « la méthodologie des nouvelles études ne permet pas d’interprétation formelle des données qui remettrait en cause les précédentes évaluations du risque sanitaire ». Elle annonce enfin qu’elle souhaite définir rapidement une nouvelle méthodologie.

À l’échelon international, l’autorité européenne rendra un nouvel avis en mai prochain et plusieurs rencontres d’experts sont programmées courant 2010.

C’est dans ce contexte que nous examinons la proposition de loi tendant à interdire l’usage de tout plastique alimentaire contenant du BPA que vient de nous présenter M. Yvon Collin.

Que faut-il en penser ?

Tout d’abord, sur le plan technique, la rédaction de cette proposition de loi soulève quelques difficultés juridiques, notamment en termes de compatibilité avec le droit international et communautaire, d’autant qu’un dispositif du même ordre existe déjà dans le code de la consommation : le Gouvernement peut, par arrêté, suspendre la mise sur le marché d’un produit, procéder à son retrait ou le détruire « en cas de danger grave ou immédiat ».

Pour autant, il semble légitime que le Parlement prenne position sur cette question qui inquiète nos concitoyens. Toutefois, il aurait peut-être été préférable d’utiliser la voie nouvelle, ouverte par la dernière révision constitutionnelle, d’une résolution, plus adaptée au sujet, car non normative.

Sur le fond, j’observe que le champ d’application de la proposition de loi – l’interdiction totale des plastiques alimentaires contenant du BPA – est extrêmement vaste, ce qui pose trois séries de questions.

Premièrement, par quel produit remplacer à court terme le BPA, dont l’usage est très fréquent ? Des difficultés d’approvisionnement pourraient en effet créer des troubles non négligeables pour les consommateurs.

Deuxièmement, ces produits de substitution ont-ils été eux-mêmes suffisamment évalués ? Il ne s’agirait pas que le remède soit pire que le mal !

Troisièmement, une interdiction aussi générale excéderait, dans les faits, les données des études scientifiques qui la sous-tendent, lesquelles ont identifié deux facteurs de risque déterminants : le chauffage intense du produit, qui favoriserait la dissémination du BPA dans les aliments, et la vulnérabilité des bébés, dont le système hormonal est encore immature.

Dans son avis du 2 mars dernier, l’AFSSA indique d’ailleurs qu’une période critique d’exposition correspond à celle du développement des systèmes nerveux et reproducteur, c’est-à-dire in utero, via la femme enceinte, et jusqu’à l’âge de trois ans.

C’est pourquoi, au vu de l’ensemble de ces éléments, la commission des affaires sociales s’est déclarée défavorable à l’adoption en l’état de ce texte. Elle a considéré qu’il était nécessaire de pouvoir prendre en compte précisément les derniers éléments scientifiques et a, en conséquence, déposé un amendement visant à suspendre la commercialisation de biberons contenant du bisphénol A, jusqu’à ce que l’AFSSA se prononce en fonction de la nouvelle méthodologie qu’elle prépare.

Si nous votions cet amendement, la France serait le premier pays au monde à prendre une telle mesure, puisque le Canada, contrairement à ce que l’on entend ici ou là, n’a pas encore appliqué l’interdiction, que les autorités fédérales ont pourtant annoncée depuis presque deux ans.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion