Intervention de Roselyne Bachelot-Narquin

Réunion du 24 mars 2010 à 14h30
Interdiction du bisphénol a — Adoption d'une proposition de loi

Roselyne Bachelot-Narquin, ministre :

Les conséquences qu’emportent ces signaux d’alerte sur la santé humaine ne sont donc pas avérées à ce stade, d’autant que le métabolisme du bisphénol A est extrêmement différent chez le rat et chez l’homme.

Par ailleurs, selon les données de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, le biberon n’est qu’une des sources d’exposition des nourrissons au bisphénol A, la source la plus importante étant le lait, qu’il soit maternel, par le biais de l’exposition des femmes aux produits alimentaires en contact avec du BPA, ou maternisé, par le biais du bisphénol A utilisé notamment pour assurer l’étanchéité des boîtes contenant la poudre de lait.

Ainsi, non seulement l’interdiction des biberons contenant du bisphénol A ne réduirait que très partiellement l’exposition à cette molécule, mais surtout nous n’avons aucun élément tangible permettant d’affirmer que cette exposition constitue un risque sanitaire réel pour la population.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il convient, au sujet de toute mesure d’interdiction concernant ce produit, de longuement peser les bénéfices et les risques, et ce pour plusieurs raisons.

Première raison, il existe un risque de contentieux à l’échelon européen, mais également international. En effet, la mise en jeu de la clause de sauvegarde, permettant à un État membre de l’Union européenne de suspendre ou de restreindre provisoirement l’utilisation sur son territoire d’un matériau destiné à entrer en contact avec des denrées alimentaires, implique que le danger pour la santé humaine soit démontré. Or l’AFSSA parle de signaux d’alerte, et non de risques avérés, et recommande d’acquérir des données. Cela n’est pas suffisant pour constituer une motivation circonstanciée d’interdiction de substances légalement autorisées à l’échelon européen. Toute interdiction, fût-elle de niveau législatif, encourt donc un risque très élevé d’annulation en cas de recours contentieux.

La deuxième raison, à mon sens beaucoup plus importante, est l’inconnue qui pèse sur les substituts des produits contenant du bisphénol A, en dehors des biberons en verre, comme M. le rapporteur l’a excellemment souligné. L’évaluation de l’innocuité de ces substituts est en effet beaucoup moins avancée que celle du bisphénol A. Il ne faudrait donc pas, pour reprendre l’expression utilisée par M. Dériot, que le remède soit pire que le mal, si tant est d’ailleurs que ce mal existe.

Dans les mois et les années à venir, nos connaissances sur les perturbateurs endocriniens vont progresser, et je fais accélérer les programmes de recherche dans ce domaine.

Elles progresseront d’abord sur le plan national. En mai 2010, l’INSERM rendra ses conclusions concernant l’ensemble des perturbateurs endocriniens, dont le BPA. En outre, l’AFSSA réalise une étude d’imprégnation en bisphénol A dans la population française. Les premiers résultats concernant les femmes enceintes seront disponibles dans trois mois, et la totalité des résultats sur un panel représentatif de la population le seront dans un délai de dix-huit à vingt-quatre mois.

Nos connaissances vont également rapidement progresser à l’échelon international. Ainsi, l’Autorité européenne de sécurité des aliments rendra un nouvel avis en mai 2010. L’étude de la FDA, susceptible de permettre une certaine extrapolation des données recueillies chez le rat à l’homme en termes de pharmacocinétique, devrait être disponible au printemps 2010. Qui plus est, l’Organisation mondiale de la santé réunira ses experts sur ce thème en octobre prochain. Les résultats des études de toxicité chez les rongeurs de la FDA devraient être disponibles en 2012.

Chacun l’aura donc bien compris : sur cette question sensible, il est indispensable de fonder nos décisions sur des éléments objectifs, ce qui suppose de se donner un peu de temps pour réunir ces derniers.

Appliquer le principe de précaution, dont je me réclame pour avoir moi-même préparé la Charte de l’environnement lorsque j’étais ministre de l’écologie, ce n’est pas prendre des décisions d’interdiction à la moindre alerte ; c’est au contraire entourer de telles décisions des précautions nécessaires pour garantir que ce sont les bonnes.

En l’espèce, c’est au nom du principe de précaution qu’il ne faut pas interdire l’usage du BPA immédiatement, puisque les données concernant l’innocuité de ses substituts sont rares et que ces derniers pourraient être plus toxiques que le bisphénol A.

J’entends donc prendre pleinement les précautions nécessaires. Ainsi, j’ai déjà indiqué ma volonté d’élargir et d’accélérer les études en cours sur les effets réels du bisphénol A et des produits qui pourraient lui être substitués.

En outre, mes services étudient actuellement la possibilité de modifier par voie réglementaire, sur la base de l’article R. 1342-3 du code de la santé publique, la limite autorisée de migration spécifique du bisphénol A dans les aliments, actuellement fixée à 0, 6 milligramme par kilogramme d’aliment.

Comme l’a demandé M. Dériot, je souhaite également diffuser largement auprès de nos concitoyens des recommandations permettant de minimiser l’exposition quotidienne au BPA par le biais des aliments.

D’abord, il faut éviter le chauffage des contenants en plastique, qui augmente la migration du bisphénol A du contenant vers le contenu. N’utilisons pas, pour le chauffage au four à micro-ondes, de récipients en plastique non prévus pour cet usage. Ne faisons pas chauffer nos aliments et nos boissons dans des récipients, y compris des biberons, en polycarbonate. Ne versons pas de boissons ou d’aliments très chauds dans les récipients, y compris les biberons, en polycarbonate.

Ensuite, il est préférable de ne pas employer de biberons en polycarbonate déjà utilisés depuis longtemps, qui présentent des rayures sur la surface ou une opacification de leur matière. En cas d’inquiétude sur l’utilisation de biberons en polycarbonate, des substituts, notamment en verre, sont disponibles dans le commerce. Il n’est pas recommandé de modifier l’utilisation des préparations ou des aliments pour nourrissons, car les bénéfices d’une alimentation équilibrée sont beaucoup plus importants que le risque potentiel lié à l’exposition au bisphénol A.

Sur cette question du BPA, nous ne saurions donc nous laisser guider par la précipitation ou l’improvisation.

Aucun pays au monde – je dis bien aucun, malgré certaines affirmations réitérées – n’a pris de mesure d’interdiction. Si cette réalité ne constitue pas, j’en conviens, une garantie absolue, elle doit cependant nous inciter à réfléchir à deux fois avant d’interdire. Actuellement, nous avons plus de questions que de réponses. Non seulement les réponses dont nous disposons sont de nature à nous rassurer, mais ma priorité consiste à en obtenir davantage avant de décider. C’est pourquoi je juge, compte tenu de l’état actuel de nos connaissances, que cette proposition de loi est sans doute, monsieur Collin, disproportionnée par rapport au risque.

J’ai toute confiance dans la sagesse, la lucidité et la hauteur de vues de la Haute Assemblée, qui saura se donner le temps de mener sa réflexion à partir d’éléments concrets et déterminants dont nous disposerons dans quelques mois.

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