Entre 1998 et 2004, les fameux accords de « coopération commerciale », c'est-à-dire les marges arrière, ont donné lieu à des versements par les fournisseurs de la grande distribution qui ont progressé, en valeur, de plus de 80 % alors que, dans la même période, les tarifs des prix facturés par les fournisseurs variaient d'à peine 20 % et que leur chiffre d'affaires « net-net », c'est-à-dire ce qu'ils facturent à la grande distribution, déduction faite de ces marges arrière, ne progressait que de 5 % ? Telles sont les pratiques.
Dans ce processus implacable, vient un moment où ceux qui produisent cherchent leur salut dans l'exil. Comment se fait-il que toute relance de la consommation se solde, depuis quelques mois, par un déficit croissant de notre balance commerciale ? Entre l'enclume de nos réglementations, des charges sociales, des contraintes environnementales, de notre droit de la concurrence, et le marteau des prix, l'espace pour produire s'étiole. Je veux vous y rendre attentif, monsieur le ministre, et constater avec vous que la prohibition des ententes ne s'exerce pas de la même façon selon qu'il s'agit de ceux qui produisent ou de ceux qui distribuent.
Dans une économie largement mondialisée, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, n'est compétente qu'en France. Mieux vaut donc, lorsqu'on produit, s'entendre hors du territoire national.
La limitation des taux des marges arrière à 20 % est-elle la solution ? C'est sans doute une solution de très court terme.
A cet égard, monsieur le ministre, qu'entendez-vous faire à propos de cette nouvelle et étrange pratique de plusieurs grandes enseignes qui consiste à conclure des accords internationaux en vue de percevoir en Suisse une redevance, payée par leurs fournisseurs, calculée sur 1 % à 2 % du montant de leurs approvisionnements destinés à la consommation en France ? Il est permis de penser que le montant de cette « ponction » s'est situé entre 500 millions et 600 millions d'euros en 2004. Qu'en serait-il, mes chers collègues, si toutes les enseignes se laissaient aller à cette pratique ? J'espère que les précisions que ne manquera pas d'apporter notre débat éclaireront ce qu'il faut entendre par « contrat de coopération commerciale ».
Au demeurant, j'exprime des craintes sur le plafonnement législatif des marges arrière. Il faut, en cette matière, privilégier la transparence et nous interroger sur le sort de cette évaporation de 500 millions à 600 millions d'euros de revenus dont l'impact, en termes d'impôt sur les sociétés, n'est pas neutre.
Enfin, sans mésestimer la portée de l'exercice auquel nous nous livrons, mes chers collègues, nous devons nous demander si nous disposons des bons moyens pour faire respecter les principes que nous transcrivons dans nos lois. Autrement dit, monsieur le ministre, aurez-vous la capacité de contrôler les opérations qui se dénouent dans d'autres pays que le nôtre ? Imaginons une « coopérative de distribution européenne » dont le siège social est établi en Italie, en Allemagne ou au Luxembourg. Quelles seraient alors les prérogatives et les capacités d'action de la DGCCRF ? Il convient donc de s'extraire du champ national lorsque nous légiférons en cette matière et de s'investir avec opiniâtreté dans la gouvernance économique de l'Union européenne, quelles que soient les circonstances.
Nos travaux ne sauraient en aucune façon laisser place à la présomption d'illusionnisme, monsieur le ministre. Votre agenda européen sera chargé, et je vous encourage à passer beaucoup de temps à Bruxelles sur ces questions pour que les beaux principes que nous énonçons ici se vérifient dans la réalité.
Si nous voulons gagner la bataille de l'emploi, nous devons impérativement rééquilibrer les forces en présence et combattre effectivement tous les abus de positions dominantes.
Les amendements que je présenterai avec les membres de mon groupe, MM. Jean Boyer et Claude Biwer notamment, sur le titre VI, intitulé « modernisation des relations commerciales », visent précisément à redonner à ceux qui produisent et créent des emplois un espace de liberté et d'espoir de réussite, et à leur éviter la confiscation de leurs espérances au moment où ils passent dans la « chambre secrète » des centrales d'achat.
Le problème, monsieur le ministre, ce ne sont pas les mètres carrés ; lorsqu'on en est aux mètres carrés, les jeux sont faits pour les petites et moyennes entreprises. Ce qui compte, c'est la concentration des centrales d'achat et l'abus de position dominante.
En outre, les pouvoirs publics ne peuvent se montrer fatalistes face aux crises que traversent certaines filières autres que celle de l'agriculture. La défense des consommateurs ne peut avoir pour conséquence l'exclusion de ceux qui produisent des biens et des services. Cessons de tout attendre des entreprises. Elles se doivent d'être créatives, innovantes, compétitives. La solidarité, quant à elle, est bien la responsabilité de l'Etat. Veillons à ce que les plus puissants n'écrasent pas les plus petits. Permettons à ces derniers, lorsqu'ils sont employeurs, de vivre et de prospérer dans une compétition devenue internationale. Ne les décourageons pas lorsqu'ils s'entendent pour la bonne cause, celle de la croissance et de l'emploi. C'est à cette condition que nous contribuerons au progrès économique et à la cohésion sociale.
J'espère, monsieur le ministre, que le Gouvernement se montrera attentif à nos amendements et, sous réserve des quelques modifications que nous souhaitons, nous soutiendrons bien sûr ce projet de loi.