Intervention de Hugues Portelli

Réunion du 21 décembre 2006 à 9h30
Modernisation de la fonction publique — Adoption d'un projet de loi

Photo de Hugues PortelliHugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le projet de loi de modernisation de la fonction publique, qui a été adopté, en première lecture, le 28 juin dernier par l'Assemblée nationale, a pour objet de mettre en oeuvre les accords portant sur l'action sociale et l'évolution statutaire dans la fonction publique conclus par le Gouvernement et les partenaires sociaux, notamment la CFDT, l'UNSA et la CFTC.

Nombre des dispositions relatives notamment à la formation professionnelle et à la reconnaissance des acquis de l'expérience professionnelle sont identiques à celles qui figurent dans le projet de loi relatif à la fonction publique territoriale, que le Sénat a adopté la nuit dernière en deuxième lecture.

La fonction publique française évolue, sûrement plus dans les comportements des individus qui la composent que dans l'idée que continuent de s'en faire ceux qui la représentent ou que dans le droit qui la règlemente.

C'est peut-être ce qui explique que le droit de la fonction publique progresse lentement et procède de manière insensible, par touches successives, souvent sous la pression, de facteurs extérieurs ou d'accords ponctuels entre les acteurs concernés, et non par de grandes réformes qui bousculeraient la culture de ce corps hétérogène et dont le nombre global continue de progresser, même si les effectifs de la fonction publique d'État tendent à diminuer depuis quelques années.

L'administration, qui est la plus importante du monde occidental, semble se transformer très lentement, surtout si on la compare aux fonctions publiques de tous les pays voisins, notamment ceux de l'Union européenne, lesquelles changent radicalement depuis quelques décennies, y compris sous l'égide de majorités et de gouvernements de gauche.

La réduction de la fonction publique sous statut aux seuls domaines régaliens, le passage du statut à la convention collective, la gestion des agents publics par des autorités administratives indépendantes, l'alignement sur le droit privé du travail sont autant de formes de mutation en Italie, en Allemagne, au Royaume-Uni, dans les pays scandinaves ou encore en Espagne.

L'évolution qui s'est produite en France ces dernières années montre qu'un mouvement de réforme se dessine et a même commencé. Officiellement, nous sommes toujours sous l'emprise du statut de la fonction publique, dont je vous rappelle, sans vouloir polémiquer, que les deux auteurs en ont été Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste et alors vice-président du Conseil chargé notamment de la fonction publique, en 1946, et Anicet Le Pors, ministre communiste chargé de la fonction publique de 1981 à 1984.

Cette continuité, qui est absolument sans équivalent dans les pays démocratiques du monde occidental, ne peut que traduire une certaine conception de l'administration, dont la logique statutaire est déclinée jusqu'à l'extrême. Ainsi, d'une part, la promotion à l'ancienneté et l'égalitarisme des traitements rend l'évaluation au mérite difficile et, d'autre part, la protection contre l'arbitraire hiérarchique, qui est une bonne idée, rend la révocation quasiment impossible.

Dans la pratique, cette conception est aujourd'hui devenue inapplicable, car elle se heurte à la nécessité d'avoir une gestion plus efficace des services publics, à la volonté de l'Union européenne d'avoir une approche globale du droit du travail qui dépasse la division entre le public et le privé et, enfin, au redimensionnement de l'État sur ses fonctions régaliennes traditionnelles. C'est ainsi que le législateur a été obligé, en 1983 et 1984, de modifier les textes en vigueur.

Cette situation est notamment due à l'évolution contractuelle du droit. J'entends par là non pas la disparition fatale du statut, mais une évolution des mentalités.

Les agents eux-mêmes demandent d'ailleurs davantage de mobilité au sein de leur administration, entre les différentes administrations, entre le secteur public et le secteur privé. Les règles statutaires doivent donc immanquablement être moins rigides, afin de permettre à chaque individu de pouvoir négocier sa mobilité.

Par ailleurs, la contractualisation personnelle du statut se double d'une demande de dialogue social qui conduit à la renaissance, on l'a vu cette année, des accords collectifs qui ont été signés entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, et nous devons nous en féliciter.

En outre, le recours à la contractualisation collective est renforcé par l'application du droit européen, sous forme de directives, et le Parlement est souvent appelé à transposer dans notre droit interne des conventions collectives passées, à l'échelle européenne, entre les partenaires sociaux.

Aujourd'hui, le droit européen pèse de plus en plus sur notre droit du travail, car les normes européennes ont une valeur supérieure au droit national. Le droit du travail devient supérieur au droit de la fonction publique et s'impose à lui alors qu'il ne le pénétrait jusqu'à présent que par doses homéopathiques via la jurisprudence du Conseil d'État.

Comme M. le ministre l'a souligné, n'oublions pas non plus de mentionner l'influence de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, car les administrations sont obligées de raisonner à partir d'autres critères, en mettant notamment l'accent sur l'efficacité, la performance et l'évaluation des agents. Mais nous reviendrons, au cours de l'examen du texte, sur les effets entraînés par la LOLF.

Ainsi, le droit statutaire de la fonction publique devient progressivement un droit public du travail qui se développe au sein et aux marges du vieux droit statutaire, dont tous les spécialistes du droit administratif reconnaissent, parfois à regret, qu'il a aujourd'hui épuisé sa capacité de développement.

Sous l'influence du droit européen, du droit général du travail, des nouveaux modes de gestion publique, de la cohabitation durable de deux catégories d'agents, statutaires et contractuels et dans un contexte de redistribution des rôles entre les différents niveaux d'administrations publiques et de recentrage des missions de l'État, la fonction publique traverse une mutation dont elle sortira renouvelée et plus forte si ces réformes réussissent, et il faut qu'elles réussissent !

La fonction publique est le fruit de l'histoire nationale de chaque État. Il n'est pas sérieux de vouloir l'évaluer à l'aune d'un modèle unique, qu'il soit européen ou libéral. Les mutations qu'elle connaît ont pour objectif non pas de la détruire ou de la diluer, mais de moderniser sa gestion, de démocratiser son fonctionnement et de rendre plus efficace l'exercice de ses missions.

Le projet de loi de modernisation de la fonction publique doit donc être lu et évalué dans le cadre de ce processus, un processus qui n'est qu'à ses débuts.

J'en viens maintenant plus particulièrement au contenu de ce projet de loi.

Le projet de loi de modernisation de la fonction publique comprenait vingt-six articles lors de son dépôt. Il en compte aujourd'hui quarante-deux, à l'issue de son examen en première lecture par l'Assemblée nationale. Nous pouvons craindre le pire au terme de la première lecture par le Sénat !

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