Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fonction publique est aujourd'hui au coeur de nos débats, puisque juste après le projet de loi relatif à la fonction publique territoriale, nous examinons à présent le projet relatif à la modernisation de la fonction publique.
Nous nous sommes opposés à ce projet hier, car il se situe dans une logique de poursuite du démantèlement du statut et des services publics.
Du point de vue gouvernemental, moderniser la fonction publique signifie, sous couvert de la rendre plus efficace, l'application pure et simple des principes de bonne gestion du secteur privé en gommant progressivement la spécificité et la qualité des services publics.
Nous en avons une illustration avec la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, l'introduction des primes à la performance ou encore les suppressions drastiques du nombre de postes depuis 2003.
Modernisation rime ici avec précarité des agents, pour lesquels une véritable revalorisation du point d'indice se fait toujours attendre, remise en cause du statut ou encore rupture d'égalité entre les usagers.
Vous envisagez même, monsieur le ministre, de supprimer la notation pour les fonctionnaires au printemps 2007.
Cette décision est lourde de conséquences. Départager des agents pour un avancement, une promotion ou une mutation doit se faire sur des éléments impartiaux, et non pas sur l'intime conviction d'un supérieur hiérarchique et sur des appréciations qui ne peuvent être comparées entre elles lors de l'entretien.
Supprimer la notation va nécessairement entraîner le soupçon de l'arbitraire concernant les décisions prises par l'autorité hiérarchique.
Il est d'ailleurs intéressant d'établir un parallèle entre l'introduction de la prime à la performance dans la fonction publique et la suppression de la notation.
Outre le fait que dans les deux cas les relations de travail risquent fort de se dégrader, c'est l'arbitraire et les pratiques discrétionnaires qui, de plus en plus, vont devenir la règle dans l'avancement de carrière des fonctionnaires.
Le Gouvernement, comme il s'y emploie depuis cinq ans dans le privé, favorise l'individualisation des relations entre les agents et leur autorité hiérarchique.
Le statut n'est plus, dans ce cas précis, la norme de référence. Ne plus avoir une telle référence est inquiétant lorsqu'il s'agit de l'organisation administrative de l'État et des services publics. De surcroît, c'est encore une fois aller à l'encontre de l'opinion des Français.
J'ai eu l'occasion de le citer dans mon intervention sur la fonction publique territoriale, mais il ressort clairement du sondage commandé à l'Institut CSA par la fédération syndicale unitaire, la FSU, que la grande majorité des sondés portent un regard positif sur la fonction publique et ses agents.
Toujours est-il qu'ils prennent le contre-pied des positions du Gouvernement et sont 67 % à penser que les métiers de la fonction publique sont « plutôt défavorisés » et 57 % à estimer que les agents « n'ont pas les moyens d'accomplir leurs missions ».
Contrairement aux clichés, la fonction publique bénéficie donc d'une bonne image chez les Français.
Le contexte dans lequel nous abordons ce projet de loi est un élément à prendre en compte.
Je procéderai maintenant à l'analyse du texte en m'efforçant d'en souligner les aspects les plus critiquables.
Le droit individuel à la formation, qui s'apparente à celui des fonctionnaires territoriaux, que le Sénat vient d'adopter, présente cependant quelques différences.
Les fonctionnaires auront droit à une « formation professionnelle tout au long de la vie », pour reprendre les termes de la loi du 4 mai 2004.
Mais, alors que pour les fonctionnaires territoriaux la durée de ce DIF est clairement fixée par la loi à vingt heures, durée que nous jugeons par ailleurs très insuffisante, l'article 3 du projet de loi reste muet sur cette durée et nous renvoie à un décret en Conseil d'État. Même la loi du 4 mai 2004 fixe expressément la durée du DIF. Pourquoi un tel silence dans le projet de loi ?
Le décret serait chargé de préciser les conditions d'exercice du DIF, notamment les conditions dans lesquelles ce droit pourrait s'exercer - en dehors du temps de travail - les modalités de compensation applicables dans ce cas, ainsi que les conditions dans lesquelles les droits acquis pourraient se cumuler sur plusieurs années et être utilisés en cas de changement d'affectation.
Comme dans le cadre de la fonction publique territoriale, le problème de l'exercice du DIF en dehors du temps de travail se pose à la lecture du dispositif.
Il en est de même concernant la prise en compte de l'expérience professionnelle de l'agent, d'une part, pour le recrutement et, d'autre part, pour la promotion interne. Le dispositif prévu aux articles 5 et 6 n'augure rien de bon sur le maintien du concours comme garantie de l'égalité de recrutement des agents.
Une fois de plus, cette disposition se place dans une logique bien précise, celle-là même qui motive la prime à la performance, qui fait l'apologie du mérite et dénature la nature de mission du fonctionnariat.
Nous sommes plus que favorables au droit à la formation pour les agents publics. Mais nous ne pourrons soutenir une réforme qui prévoit dans les faits une restriction de ce droit, qui porte en elle l'individualisation des recrutements et des carrières et remet en cause le principe même du concours et de l'égalité de traitement. Ce droit personnel est si restreint qu'il risque fort de devenir caduc.
De manière générale, ce texte entend remodeler totalement les concepts de gestion des carrières, d'avancement, de changement de corps ou de grade.
Le projet de loi modifie aussi les règles de mise à disposition. Une partie des conditions la permettant sont supprimées afin de l'assouplir. L'obligation de publicité des arrêtés de convention de mise à disposition est même supprimée.
Le risque existe donc que se multiplient les mises à disposition de complaisance, notamment s'il est possible, comme le prévoit l'article 7, de mettre des fonctionnaires à disposition auprès d'organismes contribuant à la mise en oeuvre d'une politique de l'État, des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics.
Cette rédaction floue et suffisamment imprécise pour que nous en demandions la suppression est d'autant plus surprenante que l'Inspection générale des finances a révélé dans un rapport de novembre 2004 que le dispositif actuel des mises à disposition donne lieu à des dérives. Vous l'avez vous-même évoqué tout à l'heure, monsieur le ministre. Vous en faites une analyse, mais j'ai bien peur que votre conclusion soit mauvaise.
Des associations en ont bénéficié, alors que leur raison sociale était éloignée de l'intérêt général. Mais rien dans la rédaction de l'article 3 n'empêchera de telles dérives.
La frontière entre le public et le privé est de plus en plus perméable. Y a-t-il une disposition de ce texte qui ne traduise l'envie du Gouvernement de faire fonctionner l'administration selon les règles de gestion d'entreprise ?
Cette convergence d'intérêts contradictoires ne peut se faire qu'au détriment de la reconnaissance et de la valorisation des spécificités du secteur public.
Mais c'est sans doute dans ce même esprit qu'il nous est proposé d'assouplir les règles de déontologie ou encore celles du cumul d'activités.
Le « nouveau dispositif de contrôle de déontologie relatif à l'exercice d'une activité privée » vise ni plus ni moins à soustraire le contrôle du juge et à protéger du délit de prise illégale d'intérêt les agents ayant reçu un avis de compatibilité de la commission de déontologie.
S'agissant du cumul d'activités, il est surprenant d'affirmer à la fois que les fonctionnaires doivent consacrer l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées et d'élargir quelques paragraphes plus loin les possibilités de déroger à ce principe.
Le problème est d'autant plus aigu pour les agents et les non-titulaires occupant un emploi à temps non complet ou dont la durée est inférieure ou égale à la durée légale ou réglementaire du travail.
C'est bien de précarité que nous parlons, puisqu'il s'agit des agents et des non-titulaires à temps partiel, et trop souvent, l'avez-vous dit, ce ne sont pas des temps partiels choisis.
Au lieu de proposer un plan ambitieux de résorption de la précarité, vous autorisez ces personnes à cumuler leur emploi public avec une activité privée lucrative.
Ce faisant, vous déplacez le problème, vous n'apportez pas de solution. La grille des salaires est anormalement basse et sa revalorisation serait urgente. La question du développement du temps partiel en dehors de tout statut précis n'est en rien résolue.
Permettez-moi, avant de conclure, d'évoquer la remise en cause du mi-temps thérapeutique, introduite à l'Assemblée nationale sur l'initiative du Gouvernement.
Les modifications consistent à remplacer le terme « mi-temps thérapeutique » par ceux de « temps partiel thérapeutique ». Ce temps partiel pourra bien évidemment être supérieur à un mi-temps, donc plus de 50 % du temps travaillé.