Comme l'a fait remarquer notre collègue Jean-Pierre Sueur, nous abordons ici, avec l'article 12, ce que l'on peut appeler une véritable mascarade législative. La situation prêterait à sourire si le sujet n'était pas aussi grave.
Je le sais, monsieur le ministre, je manque singulièrement de subtilité, comme vous me l'avez rappelé très amicalement tout à l'heure, mais j'ai tendance à me perdre au milieu de cet imbroglio procédural. Si j'ai bien compris, nous discutons d'un article d'habilitation portant sur la réforme de l'hospitalisation sans consentement, qui a été adopté le 23 novembre dernier à l'Assemblée nationale.
Dans cet article d'habilitation figure l'amélioration des procédures administratives, le rôle des autorités locales ainsi que le suivi de ces mesures, via la création d'un fichier informatique.
Ces mesures s'ajoutent à celles qui sont contenues dans les articles 18 à 24 du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance adopté en première lecture par les députés le 5 décembre - soit postérieurement à l'adoption de l'article 12 par les députés -, texte qui reviendra en discussion au Sénat à partir du 9 janvier prochain, donc après notre débat d'aujourd'hui et seulement pour les dispositions qui n'ont pas été adoptées en termes identiques.
J'ai entendu - M. Jean-Pierre Sueur vient de le rappeler, et cela figure dans le rapport de la commission - que vous souhaitiez revenir sur les dispositions relatives à l'hospitalisation sans consentement en commission mixte paritaire. Je l'avoue franchement, j'ai un peu de mal à suivre : si d'aventure notre assemblée votait ces articles conformes, alors ils ne feraient pas l'objet d'un examen en commission mixte paritaire !
Et si, parallèlement à l'adoption du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, le texte de l'ordonnance est publié - cette situation est possible, puisque vous vous êtes donnés deux mois pour ce faire -, quel serait alors le texte applicable en cas de divergence ?
De deux choses l'une. Ou bien vous me dites, monsieur le ministre, que ce sera nécessairement la même rédaction, l'ordonnance ne pouvant défaire ce qui a été adopté - ou au moins discuté - par le Parlement, et, dans ce cas, à quoi sert-il que nous débattions ici et où est la concertation si tout est déjà ficelé d'avance ? Ou bien il y aura un imbroglio juridique tout à fait déplorable, situation à laquelle nous ne serons pas en mesure de faire face.
Il n'est pas sérieux de procéder ainsi quand on affiche une volonté de concertation avec les professionnels. Et l'on sait combien il est nécessaire de rechercher le consensus sur un sujet aussi sensible. Déjà, on peut constater que les chiffres diffèrent selon les acteurs : le rapport de l'Inspection générale de l'administration, l'IGA, de l'Inspection de la gendarmerie nationale, l'IGN, et de l'Inspection générale de la police nationale, l'IGPN, couramment cité, fait état d'une progression de l'hospitalisation sans consentement, alors que la Haute autorité de santé considère quant à elle, dans son récent rapport, que l'on a plutôt affaire à une stabilisation. Il faudrait sans doute être déjà en mesure d'y voir clair sur les chiffres...
Ensuite, avec l'article d'habilitation, vous élargissez la réflexion, ce qui est a priori une bonne chose, en y intégrant notamment l'accès aux soins. Mais, faute d'avoir retiré les articles relatifs à cette question dans le cadre du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, l'ordonnance qui en sortira sera inévitablement entachée de ce « vice congénital » qui est d'avoir abordé la psychiatrie sous l'angle sécuritaire !
Telle n'était pourtant pas la vocation de la loi de 1990, qui se voulait une loi sanitaire et non pas une loi de police, comme vous voudriez nous le faire croire. Elle visait, je le rappelle, à faciliter l'accès aux soins et à préserver les droits de la personne, en limitant strictement l'atteinte à ces droits.
Certes, le système a besoin d'une réforme et je me permettrai ici de citer à nouveau le rapport de 2005 de l'Inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, et de l'Inspection générale des services judiciaires, l'IGSJ, - souvent ignoré par l'actuelle majorité -, qui insiste sur la nécessité de sécuriser les procédures du point de vue des droits du malade, et principalement le droit à l'information et le droit au recours, mais aussi de renforcer le rôle souvent bien formel des commissions d'hospitalisation. On pourrait également parler du manque de moyens de la psychiatrie ! Le débat serait long et intéressant.
Vous voulez, nous dites-vous, une « vraie » réforme de la loi de 1990 : apportez-nous-en donc la preuve en retirant cet article. Entre des amendements dans le cadre d'une loi de sécurité et le dessaisissement du Parlement via le vote d'un article d'habilitation, une autre voie existe : la proposition de loi ! Ce serait un premier pas vers une réforme « ouverte » et concertée, que vous prétendez appeler de vos voeux.
C'est en tout cas la voie que nous souhaitons, qui respecte les droits du Parlement. C'est la raison pour laquelle nous vous proposons, mes chers collègues, de supprimer l'article 12.