Intervention de Josiane Mathon-Poinat

Réunion du 25 octobre 2005 à 21h30
Traitement de la récidive des infractions pénales — Exception d'irrecevabilité

Photo de Josiane Mathon-PoinatJosiane Mathon-Poinat :

Les réactions ne se sont d'ailleurs pas fait attendre et, ce qui est rarissime, le président du Conseil constitutionnel, pourtant proche de la majorité, a lui-même tenu à rappeler : « Le respect de la Constitution est non un risque mais un devoir. »

Il a donc fallu trouver une astuce sémantique pour échapper à la censure constitutionnelle. Ainsi, le port du bracelet électronique ne serait plus une peine mais une mesure de sûreté, applicable dans le cadre des remises de peine. C'est ainsi qu'il fait son apparition dans les mesures de « surveillance judiciaire ».

Le dispositif est, pour la Chancellerie, imparable. Grâce aux réductions de peine, un détenu peut être libéré quelques années avant le terme de sa peine initialement prononcée. Or, avec ce nouveau dispositif de surveillance judiciaire, il pourrait être astreint par le juge de l'application des peines au port du bracelet électronique, mais uniquement pendant la durée égale aux remises de peine.

Pour justifier le fait que ce bracelet serait une mesure de sûreté, vous rangez l'obligation de le porter au même niveau que d'autres obligations, qui sont effectivement des mesures de sûreté, comme, par exemple : répondre aux convocations du juge de l'application des peines ou du travailleur social désigné ; prévenir le travailleur social de ses changements d'emploi ; se soumettre à des mesures d'examen médical, de traitement ou de soins, même sous le régime de l'hospitalisation ; ne pas se livrer à l'activité professionnelle dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise ; ne pas fréquenter les débits de boissons ; s'abstenir de paraître en tout lieu ou toute catégorie de lieux spécialement désignés, et notamment les lieux accueillant habituellement des mineurs.

A la lecture de ces diverses mesures de sûreté, l'argument selon lequel le placement sous surveillance électronique n'en serait qu'une nouvelle ne tient pas. Et ce n'est pas le simple fait de nommer, à l'article 7 comme à l'article 8, de nouveaux titre et sous-section du code pénal et de procédure pénale « Du placement sous surveillance électronique mobile à titre de mesure de sûreté » qui peut vous exonérer des règles de droit.

Les mesures de sûreté que j'ai énumérées sont, certes, contraignantes, mais vous ne pourrez pas sérieusement prétendre qu'elles le sont autant que le port du bracelet électronique.

Dans le dispositif présenté aujourd'hui, la contrainte physique est bien plus grande. La personne sera surveillée en permanence. Elle pourra être soumise à d'autres obligations, comme celles qui découlent du suivi socio-judiciaire, par exemple. Sa liberté d'aller et venir est ici fortement compromise.

Vous envisagez de pouvoir cumuler suivi socio-judiciaire et placement sous surveillance électronique. Mais le suivi socio-judiciaire est lui-même assimilé à une peine qui, comme l'a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 2 septembre 2004, ne peut être prononcée que pour des infractions commises après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 1998.

Le principe de non-rétroactivité déborde même le domaine strictement pénal, car il s'étend à tout texte prévoyant ou accentuant une répression. Il s'applique, par exemple, à la période de sûreté, alors qu'il s'agit d'une mesure relative à l'exécution de la peine et non d'une peine en elle-même, comme l'a admis le Conseil constitutionnel dans sa décision du 3 septembre 1986.

Le port du bracelet électronique, cela ne fait aucun doute pour nous, est bien une peine. Mais, apparemment, cela ne fait également aucun doute pour Georges Fenech, qui l'écrit très clairement dans son rapport :

« Force est de constater que le placement sous surveillance électronique mobile constitue une mesure fortement restrictive de la liberté d'aller et venir. Il a en outre un impact sur la vie de famille et de ce fait présente le caractère d'une peine, non seulement au regard des principes du droit français, mais également au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme.

« Il résulte de la plupart des auditions réalisées par la mission que le placement sous surveillance électronique mobile, bien qu'ayant un aspect préventif, ne peut pas être conçu comme une simple mesure de sûreté et qu'il doit être clairement rattaché à la notion de peine ».

Par conséquent, plusieurs dispositions de cette proposition de loi sont manifestement inconstitutionnelles.

En vertu de l'article 16, la surveillance judiciaire prévue à l'article 5 bis serait d'application immédiate. Etant donné qu'elle peut comprendre une obligation de porter le bracelet électronique et que cette mesure est assimilée à une peine, cette application immédiate est contraire au principe de non-rétroactivité de la loi pénale répressive.

Le même constat peut être fait à la lecture du nouvel article 131-36-9 du code pénal, puisque la juridiction qui prononce un suivi socio-judiciaire pourrait également ordonner le placement sous surveillance électronique mobile, alors que cette peine n'était pas encourue lors de la condamnation.

Enfin, l'article 8 bis A prévoit, dans son premier alinéa, que la personne faisant l'objet d'une libération conditionnelle peut être soumise aux obligations du suivi socio-judiciaire si elle a été condamnée pour un crime ou un délit pour lequel cette mesure était encourue. Dans son second alinéa, il prévoit que cette personne pourrait alors être placée sous surveillance électronique mobile. Mais c'est tout simplement impossible puisqu'il est clair dans le texte que cette peine n'était pas encourue au moment de la condamnation. A moins que l'article 8 bis A, ou tout du moins son second alinéa, ne puisse pas être d'application immédiate, mais alors, là encore, le principe de non rétroactivité n'a pas été respecté.

Bref, nous récusons le principe du bracelet électronique mobile tant sur le fond que sur la forme. Nous le jugeons inefficace en matière de lutte contre la récidive. A nos yeux, le recours à des dispositifs techniques de surveillance ne peut remplacer un réel accompagnement et un suivi humain. Et la situation est pire encore si le délinquant est un mineur.

Ensuite, on nous propose l'application immédiate de ce dispositif, ce qui n'est pas conforme à la Constitution, je pense l'avoir amplement démontré.

En conclusion, je ne peux que dresser un sombre portrait du texte qui nous est proposé aujourd'hui.

En effet, la présente proposition de loi ouvre la voie à une justice automatique. Si le Gouvernement a décidé, fort opportunément, de ne pas accepter les propositions de l'actuel ministre de l'intérieur en matière de peines planchers, il n'en reste pas moins que ce texte favorise une certaine automaticité des sanctions. J'en veux pour preuve l'incarcération immédiate et obligatoire des récidivistes ou encore la limitation de la possibilité offerte au juge de prononcer des sursis avec mise à l'épreuve.

Ensuite, cette proposition de loi laisse planer l'illusion qu'un enfermement toujours plus long est un moyen de lutter efficacement contre la récidive. Ainsi, le texte qui est issu des travaux de l'Assemblée nationale a-t-il été considérablement durci : allongement des périodes de sûreté et du temps d'épreuve de la libération conditionnelle ou encore impossibilité d'accorder une libération conditionnelle à un condamné récidiviste parent d'un enfant de moins de dix ans.

Toutes les études démontrent que l'emprisonnement, long et sans accompagnement, est désocialisant et facteur de récidive. Dès lors, la question se pose de savoir si le Gouvernement souhaite réellement lutter contre la récidive.

Mais il est vrai que donner aux services d'insertion et de probation les moyens d'accompagner les détenus pendant et après leur détention, mettre l'accent sur la réinsertion et sur tout ce qui peut effectivement avoir des effets positifs sur la prévention de la récidive, est beaucoup moins médiatique que ce texte.

C'est pourquoi nous soumettons au Sénat cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

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