Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 25 octobre 2005 à 21h30
Traitement de la récidive des infractions pénales — Question préalable

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, pour les auteurs originels de la présente proposition de loi, tous ceux qui doutent de l'efficacité de leurs remèdes simples sont de « belles âmes », autant dire les complices des violeurs et des assassins, prêts à sacrifier femmes et enfants pour un accroc fait aux principes du droit ou à la Constitution. Ne souhaitant pas plus leur laisser le monopole du coeur que celui du souci de l'efficacité, c'est de ce dernier point de vue que je me placerai dans cette intervention.

La première condition de l'efficacité d'une politique, c'est la continuité. A cet égard, on a vu mieux ! On nous demande en effet d'adopter aujourd'hui le contraire de ce que le Parlement a voté voilà un an.

En mars 2004, la loi Perben 2 fixait la règle d'or de l'exécution des peines : favoriser « l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive ». Elle précisait que « l'individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter ainsi une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire ». Or le coeur de la présente proposition de loi, c'est l'emprisonnement et la surveillance généralisés.

Il convient de se demander si les présupposés qui sont à l'origine de ce changement des principes résistent à une confrontation avec les faits ?

Premier présupposé : il y a des solutions générales à la récidive, phénomène générique.

Or les formes et, probablement, les mécanismes déclencheurs de la récidive sont très divers. Quel rapport peut-on établir entre la récidive massive de jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans condamnés pour vol avec violence et celle de criminels de sang, dont le taux de récidive est de l'ordre de 0, 5 %, ou encore celle des délinquants sexuels, chez qui le taux de récidive est de 1 % pour les crimes ? D'ailleurs, parler de délinquance sexuelle en général a-t-il un sens ? Des spécialistes tels que Xavier Lameyre en doutent.

Cela explique, monsieur le garde des sceaux, les difficultés que vous éprouvez avec les chiffres.

Qui est visé par votre texte ? Les récidivistes en général, et parmi eux les plus dangereux, ou seulement les délinquants sexuels, qui ne sont pas, tant s'en faut, tous dangereux ? A moins que vous ne visiez-vous que certains d'entre eux ? On s'y perd, et vous aussi, visiblement !

Le 27 septembre 2005, vous déclariez : « Ce sont 600 à 800 détenus qui, une fois dehors, pourraient commettre un nouveau crime sexuel. » De méchants examinateurs ayant ramené le résultat de vos calculs à une quarantaine de détenus, vous reteniez le chiffre de 70 devant l'Assemblée nationale : 40 ? 800 ? Ou encore 6 000, chiffre qu'a évoqué Hervé Morin devant l'Assemblée nationale ? De qui parle-t-on ? Selon la réponse, on change la nature du problème et des solutions à lui apporter. A problèmes différents, solutions différentes !

Deuxième présupposé : la solution générale, c'est l'alourdissement systématique des peines et la limitation des possibilités laissées au juge de les aménager.

Peu importe que la durée moyenne de la détention ait déjà quasiment doublé en vingt ans, que les récidivistes soient déjà condamnés, en moyenne, deux fois plus lourdement que les primo-délinquants, que le viol soit désormais autant, sinon plus, sanctionné que l'homicide, que les prisons soient surpeuplées, violentes et dans un état qui n'est pas à l'honneur de la France : incarcérer toujours plus, voilà la solution !

Qu'importe que, selon toutes les études, même pour les condamnations les plus lourdes, les taux de récidive soient plus faibles en cas de libération conditionnelle qu'en cas de sortie en fin de peine, lorsque la peine est aménagée que lorsqu'elle ne l'est pas.

Allonger le temps d'exécution des peines en prison, c'est réduire d'autant les possibilités d'aménagement et d'individualisation, donc augmenter le risque de récidive.

Les propagandistes de la proposition de loi l'ignorent si peu que leur discours reprend abondamment ce thème, sans en tirer, évidemment, aucune conséquence.

Voir du laxisme dans l'aménagement des peines, qui est d'ailleurs refusé par de nombreux condamnés, est un contresens. Rigidifier un peu plus le régime de cet aménagement, comme le fait le texte, ce n'est pas protéger la société, c'est la rendre encore plus vulnérable.

Que les mécanismes de réductions de peine créent des problèmes, c'est une évidence. Mais, plutôt que d'apporter un début de solution, le texte ajoute de nouvelles difficultés. Qu'en est-il, en effet ?

Au fil du temps, sous la pression de la surpopulation carcérale, les réductions de peine, de possibilité sont devenues un dû, de moyen d'individualisation un automatisme, de moyen éducatif une possible sanction, d'outil de l'application des peines un instrument de gestion des prisons. La loi Perben 2 n'a fait que théoriser une pratique imposée par l'état calamiteux des prisons françaises.

Désormais, dès son incarcération, le condamné voit calculer officiellement son temps de détention, sauf mauvaise conduite. C'est ce temps que prendront en compte le procureur, dans ses réquisitions, les juges et les jurés : c'est le monde à l'envers et l'on comprend que le public ne comprenne pas !

Comme l'écrit le président de l'Association nationale des juges de l'application des peines, dans le numéro de mars 2005 de Actualité juridique Pénal, « en pratique, les services de l'application des peines doivent parfois se livrer à une véritable course contre le temps pour aménager un emprisonnement que décrets de grâce, crédits de peine et réductions supplémentaires de peines viennent rapidement rogner ».

Le présent texte, au lieu de s'attaquer à cette difficulté, par exemple en donnant plus de place aux crédits de peine supplémentaires accordés au titre de l'article 721-1 du code de procédure pénale, les seuls à caractère vraiment éducatif, se contente de rogner sur les crédits automatiques des récidivistes.

Troisième présupposé : le processus psychologique au terme duquel un individu renonce à la délinquance est différent chez un primo-délinquant et chez un récidiviste. Inutile et dangereux, donc, de laisser au second les mêmes chances de s'amender qu'au premier !

Pourtant, cela ne correspond pas à l'expérience des professionnels : l'exception, c'est non pas le condamné qui évolue, mais celui qui n'évolue pas. Définir une politique de lutte contre la récidive à partir de l'exception, c'est la condamner à l'inefficacité.

Quatrième présupposé : la délinquance, comme les choix économiques de la vieille théorie libérale, procède d'un arbitrage rationnel des avantages et des coûts. Comme le souligne le ministre de l'intérieur, en charge de la justice : il faut que les récidivistes « comprennent que le risque qu'ils prennent n'en vaut pas la chandelle ».

Si ce principe s'applique à certaines formes de délinquance, c'est loin d'être le cas de la majorité, notamment de celles qui procèdent de la misère économique ou morale, de l'absence de maîtrise pulsionnelle.

D'ailleurs, si le « délinquant standard » se livrait à ce calcul, c'est non pas la dernière version du code pénal qu'il consulterait avant de passer à l'acte, mais les statistiques des affaires élucidées, lesquelles lui donneraient une idée des chances, non négligeables d'ailleurs, qu'il a de ne pas se faire prendre. Globalement, le taux d'élucidation des crimes et délits est de l'ordre de 30 %, ce qui nous place en queue du peloton européen. Lorsqu'on connaît la signification de ces chiffres, on n'est pas vraiment rassuré par le taux d'élucidation, supérieur à 75%, des homicides et des viols.

En conjecturant que, tout compte fait, la chance de passer à travers les mailles du filet est de l'ordre d'une sur deux plutôt que de trois sur quatre, je pense approcher de la réalité.

On se prend dès lors à penser que l'efficacité dans la lutte contre la récidive des crimes et délits, les plus légers comme les plus graves, passe plus par l'amélioration du taux d'élucidation réelle des affaires que par l'alourdissement des peines.

Cinquième présupposé : la peine idéale n'a pas de fin. Comment expliquer autrement l'occultation du fait que toute peine, aussi longue soit-elle, aura une fin ?

On ne l'avoue pas mais le modèle de la peine, c'est la surveillance à perpétuité. Un pays a porté ce modèle à sa perfection : les USA. C'est dans ce pays, qui détient le record mondial de l'incarcération avec 1 prisonnier pour 140 habitants - mieux que la Chine et la Russie ! - que l'on va chercher des leçons de lutte contre la délinquance.

C'est dans l'Etat de Floride qui pour 13 millions d'habitants compte plus de prisonniers que la France, qui rétablit la loi du Far West en autorisant à tirer le premier, que nous allons chercher nos modèles de lutte contre la récidive. Peut-être demain y prendrons-nous des modèles de fraude électorale ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion