Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 25 octobre 2005 à 21h30
Traitement de la récidive des infractions pénales — Demande de renvoi à la commission

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

...et le rapporteur a d'ailleurs fait un excellent travail, et je l'en remercie.

Je suis pourtant convaincue que toute politique pénale, notamment en ce qui concerne un sujet aussi complexe et grave que la récidive, doit être élaborée en tenant compte de tous les éléments scientifiques et statistiques indispensables.

Cette politique doit être la plus raisonnée, la plus pondérée possible ; on se doit d'en débattre le plus possible.

Une politique pénale de prévention de la récidive doit exclure toute instrumentalisation polémique, toute inflation populiste et toute surenchère démagogique.

Traiter de la récidive suppose qu'un débat d'envergure nationale soit lancé.

Tout le monde doit être entendu : les victimes et leurs familles, les magistrats, les avocats, les membres de l'administration pénitentiaire, les médecins et les psychologues, les scientifiques, les associations et les ONG qui oeuvrent dans le domaine judiciaire et pénitentiaire et les condamnés, oui, éventuellement aussi les condamnés.

Traiter de la récidive suppose qu'on lance un vrai débat national dans lequel soient abordées des questions de fond.

Comment mieux prendre en compte la victime dans le processus pénal ? Quelles sont les missions dévolues à la prison ? Parmi ces missions, comment peut-on renforcer la mission de réinsertion ? Comment recueille-t-on des données scientifiques fiables quant à la récidive ? Quels sont les moyens dévolus à la justice et à l'administration pénitentiaire ? Quelle évaluation a-t-elle été faite de la mise en oeuvre de la première mesure de surveillance électronique fixe, instaurée par la loi de 1997 ? Quel est le bilan de la mise en oeuvre du suivi socio-judiciaire instauré par la loi de 1998 ? Doit-on faire évoluer la notion même de peine ? Quel sens donner alors à la peine ? Quels moyens consacre-t-on aux peines alternatives ? Jusqu'où doit-on utiliser l'évolution technique pour surveiller, contrôler, sanctionner ? Malheureusement, à l'heure où nous abordons ce sujet pourtant important, il nous est impossible de répondre à toutes ces questions.

Nous ne discernons aucune cohérence crédible dans les chiffres annoncés. Pour certains, comme M. le garde des sceaux, la proportion de personnes détenues pour délits ou crimes sexuels s'élèverait à 40 % et le taux de récidive criminelle, sur cinq ans, atteindrait 2, 5 %. Une étude du ministère de la justice, effectuée par des universitaires pour la direction de l'administration pénitentiaire, estime au contraire que la proportion de détenus condamnés pour délits ou crimes sexuels serait de 20 % et le taux de récidive de moins de 1 %. Qui dit vrai ? Qui instrumentalise les chiffres pour accroître la peur, comme si la gravité du problème ne suffisait pas ?

Reste que ce 1 %, qui « devrait récidiver » dans les cinq ans, représente un défi pour l'appareil judiciaire et pour l'ensemble de notre société, d'autant qu'un seul récidiviste peut faire nombre de victimes, l'actualité l'a prouvé. Je vous l'accorde, même ce 1 % est inacceptable.

Compte tenu de cette bataille de chiffres, il me semble important de retourner en commission pour savoir exactement où nous en sommes. Selon le garde des sceaux, même les rapports des commissions font état de chiffres qui sont faux ! Par conséquent, il serait temps, et même urgent, de reprendre ce travail. Nous ne pouvons pas faire l'économie de plus de précisions, car nous n'avons pas le droit de jouer avec les peurs. Nous ne pouvons pas légiférer uniquement sur l'émotion des victimes.

Ce Gouvernement - et pas seulement M. Sarkozy, qui en constitue l'avant-garde médiatico-politique - joue du populisme sur l'ensemble des sujets et à tous les niveaux de la vie des Français. Ainsi, malheureusement, c'est par populisme pénal qu'on refuse de lancer ce débat d'envergure nationale, pour ne pas entendre les vraies réponses à de vraies questions !

Dans cette course effrénée à la démagogie et à l'instrumentalisation des drames, M. le garde des sceaux, supposé oeuvrer à la garantie de nos libertés et de nos droits fondamentaux, est allé jusqu'à appeler au viol de notre loi la plus fondamentale : la Constitution, en mettant au défi les parlementaires, afin qu'ils n'utilisent pas leur droit de saisine du Conseil constitutionnel. Pourtant, tout le monde le sait, non seulement ce principe de non-rétroactivité est constitutionnel, mais il s'inscrit dans l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Cette question va bien au-delà de la récidive elle-même : elle touche à l'essence même de notre justice et de notre démocratie. C'est l'une des raisons pour lesquelles je demande le renvoi de ce texte à la commission.

Il conviendrait de mettre en oeuvre les meilleures conditions, afin de rétablir quelques vérités aux yeux des Français.

Tout d'abord, contrairement à ce que l'on voudrait faire croire, le régime existant appliqué aux récidivistes en France est beaucoup plus sévère que partout ailleurs en Europe. Qu'il s'agisse du prononcé de la peine, de la détention avant, pendant ou après le procès, des conditions de libération et des mesures de contrôle, après la libération, les détenus qualifiés de récidivistes sont traités beaucoup plus strictement que les autres condamnés.

Ensuite, à la différence de tout ce qui a été avancé par le Gouvernement, les cas de récidive, notamment les plus violents, concernent un très petit nombre de personnes et la récidive est globalement en sensible recul en France.

C'est justement parce que le traitement actuel de la récidive est déjà des plus sévères et que - les données existantes le démontrent - le nombre de récidivistes est restreint, voire en recul, que nous ne pouvons pas, comme vous l'avez fait, monsieur le garde des sceaux, accuser les juges de laxisme judiciaire !

Contrairement à ce que tente de faire croire M. Sarkozy en jetant les juges en pâture lorsqu'il s'empare de chaque nouveau drame de violences ou de meurtres, ces derniers appliquent la loi, ce qui n'est pas encore interdit dans notre pays !

Toutefois, dans le champ d'application de la loi, et exclusivement dans ce champ préalablement défini, les juges disposent d'une certaine liberté.

Cette liberté se fonde notamment sur des principes tels que l'individualisation des peines, la liberté pour principe et la détention pour exception, ainsi que la réinsertion du condamné comme corollaire à la condamnation-réparation.

La liberté des juges permet de tenter de prendre en compte la spécificité du parcours de chaque prévenu, sa personnalité, et de prononcer la peine la plus juste, à la fois pour la victime, pour sa famille, pour la société et pour le condamné lui-même, tout cela alors que les magistrats sont de plus en plus démunis en termes de moyens humains et financiers.

Que valent les beaux discours sur la lutte contre la récidive lorsque les tribunaux ne disposent pas assez de juges, d'assistants de justice ou de greffiers, de salles convenables et sécurisées, d'ordinateurs et tout simplement de temps, notamment pour consulter le casier judiciaire du prévenu avant le prononcé de la peine ?

Ces discours cachent à peine la volonté du Gouvernement d'automatiser les peines ! Puisque les juges appliquent la loi, le Gouvernement la change, la transforme, la dévoie de son rôle premier de « sanction - réparation » pour un rôle de « sanction-vengeance ». Mais la justice, ce n'est pas la vengeance !

Dans ce système que l'on nous propose, la larme à l'oeil et les mains avidement posées sur les bulletins de vote des électeurs du Front national, tout est fait pour que les juges, nouveaux « supergreffiers », ne soient plus là que pour enregistrer des peines plancher qui ne veulent pas dire leur nom.

Dans une stratégie réfléchie d'offensive contre nos libertés et nos droits fondamentaux, il convient, d'une part, de ne pas oublier les atteintes portées aux droits de la défense, en particulier aux avocats par les lois Perben, et, d'autre part, de vous alerter sur le danger du renversement des principes subit actuellement par notre justice et par notre droit. La liberté, qui était la règle, devient l'exception, et la privation de liberté, qui était l'exception, deviendra la règle !

Oui, c'est l'équilibre que nous devons rechercher car, malheureusement, nous avons encore du mal à le trouver.

Les ministres changent, mais la politique du « tout - répressif » reste.

Dois-je vous rappeler que la justice suppose la quête d'un équilibre ?

D'abord un équilibre entre les droits de la victime et ceux du condamné, et c'est la prise en compte de ces deux types de droits qui alimente les droits et les garanties pour la société tout entière.

Ensuite un équilibre entre la sanction et la réparation, réparation pour la victime qui induit la réparation pour la société, laquelle induit une possibilité de réparation pour le condamné lui-même.

L'une des autres vérités que le Gouvernement tente de cacher aux Français, c'est que cette quête d'équilibre relatif caractérise le régime actuel du traitement de la récidive des infractions pénales.

A la répression, la loi du 17 juin 1998 a apporté une mesure de renforcement à la prévention : le suivi socio-judiciaire. Cette mesure a pour objet d'appréhender de manière globale la question de la récidive en amont, c'est-à-dire dès l'apparition du risque, et non pas uniquement lorsque ce risque s'est concrétisé.

Grâce à cette disposition, à sa sortie de prison, le condamné n'est pas livré à lui-même. Il peut bénéficier du suivi d'une série de professionnels du monde judiciaire, social et médical, qui vont, pour lui et avec lui tout d'abord, mais également pour ses victimes et le reste de la société, travailler pour sa réinsertion sociale et professionnelle.

Le suivi socio-judiciaire, qui est, comme le rappelle la Cour de cassation, une « peine complémentaire », suppose également la mise en oeuvre des mesures de contrôle et de surveillance.

En effet, le condamné doit répondre aux convocations du juge ou du travailleur social, se soumettre à des visites, prévenir de ses changements d'adresse, suivre des soins, voire une psychothérapie. S'il ne respecte pas cette série d'obligations, il peut se voir placer de nouveau en détention.

La loi de 1998 instaurant le suivi socio-judiciaire est l'exemple d'une mesure intelligente, qui a commencé à démontrer son efficacité pour l'intérêt général comme pour les intérêts particuliers des victimes et des condamnés.

Mais le Gouvernement n'a rien fait pour résorber les obstacles qui empêchent une meilleure mise en oeuvre de ce suivi socio-judiciaire. Il s'agit pourtant, je le rappelle, d'une mesure progressive dont le rayonnement optimal n'a pas encore été atteint. Le nombre de suivis socio-judiciaires prononcés par les tribunaux reste encore très limité. Il n'était que de 795 en 2003 ; il n'est que de 426 au 1er janvier 2005.

Alors que nous devons aujourd'hui légiférer afin de trouver une solution pour lutter contre la récidive, ce sur quoi tout le monde peut être d'accord, le Gouvernement s'est refusé à mettre en oeuvre l'évaluation de cette disposition. Pourquoi ? Parce qu'il aurait peut-être fallu reconnaître le manque de moyens !

Tous les magistrats rencontrés nous ont confirmé les résultats positifs d'une telle mesure. Pourquoi n'avons-nous pas pu étudier son renforcement par plus de moyens ? Voilà ce que nous aurions dû également faire en commission !

Ce Gouvernement n'a rien fait pour pallier l'absence considérable de moyens financiers, laquelle rend l'absence de moyens humains encore plus inacceptable ! Il se contente de mettre à mort non seulement les mesures de suivi socio-judiciaires, mais aussi tout un pan de la politique pénale en France. Cette mise à mort s'illustre notamment à travers la mesure phare de cette proposition de loi qu'est le placement sous surveillance électronique mobile.

Le bracelet électronique mobile n'est pas, comme certains ont pu le dire, une fausse bonne idée. C'est tout simplement un concept dangereux pour les victimes, dangereux pour les condamnés, dangereux aussi pour notre justice et notre démocratie.

Oui, cette mesure est dangereuse pour les victimes, car vous l'avez présentée comme « la » solution miracle, alors qu'il est reconnu que ce GPS pénitentiaire ne peut, à lui seul, empêcher la récidive.

Le fait d'avoir un GPS au pied et un radio-émetteur à la taille n'empêchera pas certains de commettre des crimes ou des délits, notamment ceux qui sont animés par des pulsions d'autant plus incontrôlables que la justice manque de moyens pour suivre ces individus sur le plan psychologique lorsqu'ils sont hors des murs de la prison.

Au mieux, et seulement si le système fonctionne correctement, cette mesure aidera la police à appréhender les prévenus. Dans ce cas, assumez ce dispositif pour ce qu'il est, à savoir une mesure de police, et non une mesure de justice, et discutons-en à ce niveau-là !

Le bracelet électronique mobile est également dangereux pour les condamnés, car il s'agit avant tout d'une peine, une peine complémentaire peut-être, mais certainement pas une mesure de sûreté ! Notre travail en commission n'a d'ailleurs pu confirmer votre vision, monsieur le garde des sceaux. Voilà une raison de plus pour revenir sur ce débat.

Ce bracelet électronique mobile constitue donc une double peine pour le condamné : une peine au-delà de la peine, au-delà des murs de la prison, une peine qui peut aller jusqu'à dix ans et qui, contrairement à tout ce qui est dit par le Gouvernement, n'empêchera pas de stigmatiser les condamnés.

En effet, dans notre société de plus en plus sécurisée, où des portiques de sécurité sont installés partout - dans les mairies, les écoles, les centres de recherche d'emploi, les magasins, les gares, les aéroports - et où il faut même parfois se déshabiller pour passer, les condamnés porteurs de ce bracelet seront tout de suite stigmatisés par d'éventuels employeurs, par des collègues, par des voisins, ou par le reste de la population.

Ce bracelet est également dangereux pour notre justice, non seulement parce qu'il consacre une américanisation de notre système, mais aussi parce qu'il remet en cause l'équilibre entre répression et prévention.

Enfin, il est surtout dangereux parce qu'il va parasiter une très grande partie du budget de la justice, budget déjà insuffisant. Même adoptée, cette mesure ne pourra être appliquée, faute de crédits.

Comme pour les chiffres sur la récidive, M. le garde des sceaux nous a orchestré, pour la mise en oeuvre de ce bracelet, une danse des prix, qui vont de 11 euros à plus de 60 euros par détenu ! La commission n'a pu obtenir une évaluation financière sérieuse. Nous devons retourner en commission pour obtenir des chiffres cohérents et un véritable budget !

Il n'est pas nécessaire de se laisser entraîner dans cette fausse polémique pour dire que la mise en oeuvre de ce bracelet coûtera. Oui, elle coûtera ! M. Hervé Morin, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, a estimé son coût à 153 millions d'euros par an, soit 2, 5 % du budget actuel de la justice.

Cette somme exorbitante va vicier une partie du fonctionnement de la justice tout entière, qui a pourtant besoin de plus de moyens pour les mesures de réinsertion et de plus de moyens humains, comme les juges de l'application des peines et les agents de suivi et de probation. Monsieur le garde des sceaux, tout à l'heure vous nous demandiez des chiffres : il manque aujourd'hui à la justice 800 agents de probation.

Enfin, la logique de ce bracelet est dangereuse pour la démocratie française. En effet, cette politique pénale suppose une pratique pénale qui aboutit à la violation, lente mais continue, de nos libertés et droits fondamentaux les plus essentiels.

A cela, il convient d'ajouter qu'au-delà du débat sur la mise en oeuvre de ce bracelet nous devons nous demander s'il est éthique de l'utiliser.

Tous les défenseurs de ce système rétorquent continuellement qu'il ne faut pas avoir peur de ce qui n'est qu'un moyen technique comme les autres pour juguler la délinquance. Or ce n'est pas vrai. Le bracelet électronique mobile n'est pas un simple moyen technique. Avec cette mesure, le Gouvernement réalise le tour de force : rétablir à la fois la flétrissure, la relégation et la tutelle pénale.

Mais, surtout, devons-nous continuellement céder à la tentation technologique, avec notamment pour objectif d'atteindre une société parfaite ? Que ferons-nous lorsque la science et la technique nous donneront la possibilité d'implanter des puces dans le corps des personnes afin de suivre non seulement leurs déplacements, mais également leurs taux d'adrénaline, d'endorphine ou encore de testostérone ? Franchirons-nous alors le pas et accepterons-nous tous ensemble, en adoptant une loi, de basculer dans une société où triompherait le règne d'un certain « fascisme technologique » ?

La réponse des Verts est claire, ferme et définitive : c'est non !

Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons pas faire l'économie d'un véritable débat de fond, d'un véritable examen des chiffres, du budget. C'est pourquoi je demande le renvoi à la commission de la proposition de loi.

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