Intervention de Robert Badinter

Réunion du 25 octobre 2005 à 21h30
Traitement de la récidive des infractions pénales — Article 1er bis

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, je tiens à vous dire mon immense perplexité.

Je suis absolument partisan d'une justice européenne, mais tel n'est pas ici le problème. Par cet article, je crains que nous ne nous jetions dans des difficultés juridiques dont vous ne mesurez pas totalement l'étendue.

Nous travaillons actuellement sur un projet de directive-cadre concernant la question de l'uniformisation des casiers judiciaires au sein de l'Union européenne. Lorsque ce sera fait, il n'y aura plus de problème. Toutefois, si vous n'attendez pas, nous allons nous trouver dans une situation extraordinaire. En effet, pour respecter la loi relative à la récidive, le magistrat français devra apprécier ce qu'est exactement l'infraction en droit étranger. Il devra voir s'il se trouve en présence d'une infraction dont les éléments constitutifs sont identiques au droit français. Il devra ensuite savoir si cette infraction est considérée ou non à l'étranger comme facteur de récidive, s'en inspirer pour décider de l'application de la peine et entraîner par là même le contrôle obligatoire de la Cour de cassation sur l'analyse qu'il aura faite.

Or, à la vérité, nous nous accordons à dire, monsieur le garde des sceaux, qu'il serait souhaitable que les magistrats disposent d'une information pour savoir à qui ils ont affaire et tiennent compte, dans le prononcé de la condamnation, du passé judiciaire étranger de la personne qu'ils ont à juger.

Toutefois, je ne suis pas certain qu'il faille nous lancer dans le contrôle juridique de la mise en oeuvre de la récidive selon la loi étrangère pour en tirer une conséquence obligatoire en droit français. A vouloir à tout prix pourchasser le récidiviste, on risque de courir au désastre judiciaire.

Il est souhaitable que le parquet veille à avoir le maximum d'informations, car il ne sera pas facile d'en obtenir dans certains Etats de l'Union européenne, qui devront faire des efforts en la matière. Toutefois, considérant l'état d'avancement de la construction de l'Union européenne, il n'est pas souhaitable, à mon sens, de vouloir en tirer, devant les juridictions françaises, des conséquences juridiques obligatoires, car cela revient tout de même à entraîner une aggravation très forte de la sanction.

La prudence commande de ne pas aller aussi loin ; il faut, au contraire, attendre au moins l'unification des casiers judiciaires européens. Je rappelle d'ailleurs que certains Etats d'Europe ne reconnaissent pas à l'heure actuelle la contumace. La question est alors de savoir si l'on prendra en compte ou non une telle décision.

Je considère que cet article présente vraiment d'immenses difficultés comparé à son avantage que j'estime être, pour ma part, nul, car les magistrats apprécieront, je le sais, la personnalité plus ou moins dangereuse de celui qu'ils auront à juger au regard des renseignements dont ils disposeront.

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