Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 27 mai 2009 à 14h30
Débat sur les travaux de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes — Point de vue de la mission

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier, présidente de la mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes :

Autant que la quantité de ces auditions et la qualité des intervenants véritablement impliqués dans leurs actions, ce qui a fait, à mes yeux au moins, l’intérêt du travail de cette mission, c’est bien l’esprit d’ouverture dont tous les membres ont su faire preuve.

Je ne vous dirai pas que nous sommes venus sans a priori – nous en avons tous –, mais il me semble que les membres de cette mission ont su les dépasser au gré des nécessités, afin de comprendre en profondeur les défaillances de notre système.

La mission a également effectué deux déplacements en province, le premier en milieu rural, à Bayeux, le second, en milieu urbain et en « banlieue », à Lyon et à Saint-Fons. S’il y a des problématiques transversales, les difficultés qu’affrontent nos jeunes ne sont pas les mêmes pour celui qui vit dans une tour, proche d’un centre d’activités, ou dans un secteur géographique plus dépeuplé.

Dès le début, malgré leur ampleur et leur complexité, nous avons choisi de traiter les thèmes qui nous semblaient centraux – formation, orientation, emploi et accès à l’emploi, ressources et autonomie financière, logement, santé, citoyenneté... – et, même si certains thèmes se sont peu à peu imposés, nous avons tenté de nous y tenir jusqu’au bout, sans très bien y parvenir. Les questions relatives à l’accès à la culture, au sport, et même à la santé, auraient mérité que nous nous y intéressions d’avantage, ce que nous n’avons pu faire, faute de temps. Il en est de même pour la difficile question de l’autonomie financière.

Aussi, les membres de la mission ont convenu de se réunir dans les semaines à venir pour aboutir à la fin du mois de juin au second tome de notre rapport, comprenant les auditions que nous avons réalisées, les débats de ce jour. Ce second tome s’intéressera également aux propositions du Livre vert de la « commission Hirsch ».

J’en viens maintenant au cœur de ce qui nous occupe aujourd’hui, à savoir les principaux constats auxquels est parvenue la mission.

L’amélioration de l’orientation est une priorité. Les membres de la mission sont unanimes sur ce point, d’autant que c’est une des premières préoccupations exprimées par les jeunes. En effet, la quasi-totalité des personnes auditionnées a dénoncé l’illisibilité des structures d’orientation et la persistance d’un paradoxe français entre la coexistence des 8 500 points d’information recensés sur le territoire, qui manifestent l’ampleur des moyens consacrés à l’orientation, et la permanence d’un sentiment général de déficit de « signalisation » des parcours de formation ou d’insertion professionnelle.

Parce que c’est là un élément déterminant, nous nous sommes demandé pourquoi l’orientation était trop souvent vécue, en France, comme un traumatisme. Contrairement à ce qui se passe dans les pays scandinaves, notre système exerce une très forte « pression » sur les jeunes ; il ne leur reconnaît pas suffisamment le droit au positionnement progressif des trajectoires.

Dans l’enseignement scolaire, l’orientation apparaît, dès le plus jeune âge, comme une cascade d’exclusions successives fondées sur des critères contestables. On a trop tendance à trier les élèves en fonction de leurs seuls résultats scolaires dans les savoirs abstraits, ce qui mine peu à peu l’estime de soi de nombreux jeunes, leur fait porter un regard négatif sur eux-mêmes, les conduit au découragement

Il faut noter encore la persistance des déterminismes sociaux, puisque l’origine sociale et les diplômes des parents continuent de peser lourdement sur l’orientation des jeunes.

En outre, de fortes disparités territoriales, une rigidité de l’offre de formation professionnelle, une orientation des élèves de la filière professionnelle largement irréversible à défaut de réelles passerelles, minent notre système.

En résumé, notre schéma d’orientation fonctionne mal et, pire, il ne laisse aucune possibilité de seconde chance. Dans la mesure où 20 % des jeunes, soit environ 150 000 personnes, sortent chaque année du système scolaire sans diplôme, nous pouvons dire – et je cite le rapport de la mission – que « notre modèle méritocratique républicain marque le pas ». Nous nous prononçons clairement pour la création d’un service public de l’orientation avec l’embauche de personnels dédiés.

Par ailleurs, la nécessité d’accentuer le rapprochement entre l’école et le monde du travail a fait l’objet du plus grand consensus au sein de notre mission.

Les possibilités de stages demeurent aujourd’hui limitées, et tant qu’elles ne seront pas organisées par les établissements sur le principe de « bourses aux stages », elles continueront de reproduire les inégalités sociales liées au milieu d’origine, puisque l’obtention d’un stage dépend aujourd’hui avant tout du réseau familial, quand il y en a un…

Plus profondément, toute la difficulté est d’insuffler dans le système éducatif et dans le monde professionnel une véritable « culture du stage » ainsi que de combattre les cloisonnements qui handicapent l’insertion des jeunes.

Évidemment, nous nous sommes également penchés sur la nécessaire valorisation des filières en alternance, qu’elles soient sous statut scolaire ou sous contrat d’apprentissage. Leur « segmentation » complique l’orientation et soulève des interrogations sur la nécessité de mutualiser les moyens de formation, notamment en zone rurale.

Il est vrai que le taux d’accession à l’emploi des jeunes issus de l’alternance sous contrat est plus élevé. Mais avant de miser sur le « tout apprentissage », comme souhaite le faire le Président de la République, il serait bon de se demander, surtout en ce moment, quelle sera la capacité d’accueil des entreprises françaises ? Comment renforcer l’attractivité des lycées professionnels ? Ou encore, comment décloisonner les différentes voies de formation par alternance ?

J’en viens au volet relatif à l’emploi des jeunes.

Dans ce domaine, je l’ai dit au début de mon intervention, le constat est alarmant : à la fin de l’année 2008, plus d’un jeune sur cinq était au chômage et l’augmentation constatée était de 34 % sur un an, notamment parce qu’un grand nombre de contrats précaires n’ont pas été renouvelés. La France est mal placée dans ce domaine car le taux de chômage des jeunes est supérieur de sept points à la moyenne de l’OCDE. Les jeunes de banlieue sont confrontés à des problèmes encore plus graves : dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, c’est-à-dire les banlieues, le taux de chômage est d’environ 40 %.

Pour sortir du chômage, les jeunes sont souvent contraints d’accepter des emplois précaires. La proportion de contrats d’intérim ou de contrats à durée déterminée chez les 16-25 ans est ainsi deux fois supérieure à la moyenne nationale. Un grand nombre de jeunes alternent contrats courts, stages, périodes de chômage et retours en formation avant de se stabiliser. Il s’écoule donc en moyenne six à sept ans entre le moment où un jeune achève ses études et celui où il décroche un contrat à durée indéterminée. Six ou sept ans, c’est un long parcours du combattant, inacceptable pour nous.

Les raisons de ce constat sont sans doute multiples. La mission en a fait émerger plusieurs parmi lesquelles le concept de « culture d’entreprise ».

Il n’est pas normal que ceux qui s’occupent d’éducation, de formation et d’orientation n’aient aucune notion de la « culture d’entreprise ». Ces deux mondes doivent apprendre à se rencontrer et à échanger.

Il n’est pas normal que les entreprises soient, elles aussi, atteintes de la « diplômite » aiguë, ne valorisant que le diplôme ou le parcours de formation sans faute, au détriment du savoir-faire, du savoir-être et du parcours personnel du candidat, valorisé au contraire de façon intéressante dans les pays du nord de l’Europe.

Il n’est pas non plus normal que nombre d’entreprises s’autorisent à proposer à un jeune diplômé un stage plutôt qu’un contrat de travail. Nous évoquons là un changement de paradigme qui amènerait nos entreprises à se sentir concernées par l’entrée des jeunes dans la vie professionnelle.

Nous nous sommes aussi préoccupés des ressources financières des jeunes et de la question plus générale de leur autonomie.

Plusieurs sociologues auditionnés par la mission ont souligné le décalage croissant entre une aspiration à l’indépendance personnelle plus précoce des jeunes et une autonomie financière rendue plus tardive par l’allongement de la durée des études et la précarisation des emplois.

À défaut de consensus tant sur le concept d’autonomie même que sur les moyens d’y arriver, les aides publiques aux jeunes sont toutefois plus que jamais nécessaires pour remédier à l’inégalité des chances et pour les aider à s’insérer dans une société où les nouveaux entrants sont structurellement désavantagés, notamment en raison des caractéristiques du marché du travail ou du marché du logement. En d’autres termes, les jeunes sont victimes d’inégalités criantes et ils ont besoin d’une solidarité intergénérationnelle organisée et mutualisée.

Pour répondre aux difficultés des jeunes, des dispositifs différenciés ont été mis en place selon qu’ils poursuivent ou non un cursus de formation.

Pour les étudiants, si des bourses sont versées à environ 525 000 d’entre eux, leurs montants limités ne suffisent pas à répondre à la problématique de l’autonomie.

Pour les jeunes inactifs non étudiants, la situation est encore pire puisque les seules aides existantes consistent en l’addition de dispositifs ponctuels et peu diffusés tels le contrat d’insertion dans la vie sociale, le CIVIS, 366 euros par an en moyenne, ou le contrat d’autonomie, 300 euros pendant six mois. Pourquoi un tel vide ? La France est l’un des trois seuls pays de l’OCDE qui exclut les moins de 25 ans des minima sociaux. C’est bien une dimension centrale des politiques en faveur des jeunes qu’il faudra envisager de front à court terme.

Il me semble important de rappeler ici que le préambule de la Constitution prévoit le droit pour chacun à des moyens convenables d’existence. Il faudra bien avancer sur cette difficile question de l’autonomie financière des jeunes. La mission entend donc poursuivre ses travaux sur ce point pendant le mois de juin.

L’accès au logement constitue également un élément clé de l’accès à l’autonomie des jeunes. En effet, 57 % des 16-25 ans vivent encore chez leurs parents et force est de constater que l’offre de logements adaptée aux jeunes est très largement insuffisante, comme l’offre générale d’ailleurs.

Le parc du CROUS – centre régional des œuvres universitaires et scolaires – n’offre que 157 000 logements pour 2, 3 millions d’étudiants.

Les foyers de jeunes travailleurs ne disposent que de 40 000 places pour loger les quelque 600 000 jeunes en formation en alternance et près de 800 000 jeunes travailleurs en situation précaire.

Le parc social présente l’inconvénient de n’offrir que très peu de logements de petite taille, avec des délais d’attente compris entre six et vingt-quatre mois dans certaines zones tendues, peu compatibles avec la mobilité des jeunes.

Enfin, alors que 58 % des jeunes sont locataires dans le parc privé, l’accès à un logement s’apparente de nouveau à un « véritable parcours du combattant » s’ils ne bénéficient pas de l’aide de leurs parents.

Enfin, mes chers collègues, pour terminer sur une note plus personnelle, je voudrais partager avec vous deux ou trois impressions qui m’ont le plus marquée au cours de cette mission.

Que ce soit lors des auditions ou lors des déplacements sur le terrain en province, à Bayeux et à Saint-Fons, j’ai été frappée, pour tout dire impressionnée, par l’implication de nos interlocuteurs.

Les professionnels que nous avons rencontrés sont motivés, innovants, créatifs, ayant tous mené une réflexion approfondie sur leur action et conscients de l’importance des enjeux. Les jeunes que nous avons rencontrés, qu’ils soient étudiants, travailleurs ou en recherche d’emploi, malgré des parcours très différents, étaient manifestement avides d’être entendus, pressés de témoigner, et, bien souvent, si elles étaient empreintes d’une certaine désillusion, leurs analyses étaient éclairantes et étonnantes de maturité.

À Bayeux, nous avons rencontré au Pôle emploi une douzaine de jeunes regroupés pour un bilan sur leur recherche d’emploi déjà ancienne.

Pour la plupart sans qualification, avec des histoires de vie difficiles et une série d’échecs scolaires, précisément victimes de ce système d’exclusion par l’échec que j’évoquais précédemment, ces jeunes nous ont dit comment ils persévèrent, s’acharnent même, pour tenter de s’en sortir.

Nous avons tous été vraiment remués par cette rencontre. Nous avions face à nous une France qui se lève tôt pour essayer désespérément de trouver sa place dans la société.

Enfin, concernant les 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système sans formation, je tiens à dire à quel point j’ai été frappée par le nombre de professionnels qui nous ont expliqué qu’avant même de penser formation ou emploi, il s’agissait de les « réparer », de les persuader qu’ils étaient capables de réussir quelque chose.

Lorsque ces propos sont tenus par des associations d’éducation populaire ou des missions locales, ce regard, cette approche sont considérés comme normaux ; mais ces mêmes propos sont tenus par le représentant de l’Établissement public d’insertion de la défense, l’EPIDE, un militaire de carrière, qui raconte : « Quand un jeune arrive chez nous, il nous dit “je suis une merde” et notre premier travail va consister à lui permettre de réussir enfin quelque chose. » Lorsqu’on entend cela, on se dit qu’il est grand temps d’agir.

Le rapport de la mission n’a pas été adopté par l’ensemble des membres, mais tous nous refusons qu’un jeune sorte du système scolaire sans aucune reconnaissance d’un savoir-faire ou d’un savoir-être ; nous refusons que des jeunes diplômés mettent presque dix ans à stabiliser leur vie professionnelle, donc leur vie personnelle ; nous refusons qu’un jeune ait à choisir entre se loger et manger.

C’est cette ambition qui nous a fédérés et je terminerai en disant à chaque membre de la mission, ainsi qu’aux collaborateurs qui nous ont assistés, que j’ai vécu à l’occasion de cette étude deux mois passionnants, et je ne doute pas que notre travail sera encore enrichi par les échanges que nous aurons aujourd’hui.

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