Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à me réjouir de l’organisation de ce débat en séance publique. Nos nouvelles pratiques parlementaires nous permettent ainsi de débattre tous ensemble des sujets de préoccupations qui ont inspiré les travaux de notre mission commune d’information, avant même que le rapport ne soit rendu public, ce qu’il sera demain.
Comme l’a indiqué Mme Le Texier, de nombreuses raisons justifiaient que le Sénat se penche sur la situation des jeunes. Nous avons aussi voulu contribuer, en amont, à la concertation que vous avez engagée, monsieur le haut- commissaire.
Enfin, nous jugeons indispensable que le regard de la société sur la jeunesse change car elle pâtit de l’image négative souvent véhiculée par les médias, notamment à travers la mise en avant d’épiphénomènes de violence qui ne concernent qu’une infime minorité. Cela ne doit pas faire oublier le message transmis par les représentants des radios très écoutées par les jeunes entendus par la mission.
Aux questions : « Quels sont les attentes et les besoins des jeunes d’après vous et comment les pouvoirs publics pourraient-ils s’adresser plus efficacement à eux ? », ils répondent que les jeunes ont besoin de sincérité, de proximité, de respect, mais aussi de repères et d’autorité leur donnant un cadre. Ils ont une forte envie d’explications les aidant à comprendre le monde dans lequel ils évoluent et celui qui les attend. Ils ont envie de dialoguer, mais il faut absolument éviter l’écueil du jeunisme !
C’est avec cette envie d’aider notre société à retisser les fils intergénérationnels, d’écouter, de dialoguer avec les jeunes et de fixer de nouveaux cadres pour une société plus positive et accueillante à leur égard que notre mission a conduit ses travaux.
Quelles sont nos propositions ? Sans être exhaustif, j’en évoquerai les principales.
Tout d’abord, pour renforcer l’efficacité de l’orientation, la mission préconise un ensemble cohérent de recommandations.
S’agissant des structures, et dans le prolongement de la création de la Délégation interministérielle à l’orientation, nous estimons souhaitable de créer un véritable service public de l’orientation et de généraliser les plateformes multiservices d’information régionales exerçant une fonction d’aiguillage vers les dispositifs existants.
En ce qui concerne la méthode, nous proposons de développer les démarches volontaristes de soutien à l’orientation et d’accompagnement des jeunes les plus en difficulté, y compris en les contactant à leur domicile, comme le font, par exemple, les Danois.
S’agissant des personnels, la mission estime qu’il convient de fonder la formation et le recrutement des conseillers d’orientation sur la connaissance concrète du monde du travail et d’organiser un recrutement au « tour extérieur » de nouveaux conseillers d’orientation ouvert à d’anciens professeurs ou à des personnes issues du monde de l’entreprise.
Enfin, mieux informer et sensibiliser les jeunes à l’égard des métiers en tension qui connaissent des difficultés de recrutement nous apparaît comme une mesure de bon sens.
En matière d’orientation, tout se joue en réalité dès le primaire. Même si notre mission ne devait pas évoquer les problèmes de l’enseignement, nous avons estimé nécessaire de faire un point sur ce sujet particulier et nous avons jugé essentiel de combattre les « décrochages » scolaires dès le plus jeune âge, notamment en dédoublant les cours d’apprentissage de la lecture en cours préparatoire.
De façon plus globale, on ne pourra réduire le traumatisme de l’orientation qu’en s’attaquant aux principaux défauts de notre « modèle méritocratique républicain », dont la rigidité explique le malaise de bien des jeunes.
Nous soulignons l’importance qui s’attache, tout d’abord, à reconnaître aux jeunes le droit à la différenciation des parcours, en développant les passerelles entre les différentes voies de formation, pour faciliter les réorientations et les reprises d’études.
Dans la même logique, nous recommandons de « semestrialiser » ou de « trimestrialiser » la durée des formations en lycée professionnel.
Il est en même temps essentiel de garantir à chaque jeune, en particulier à celui qui s’engage dans une formation professionnelle courte, une possibilité ultérieure de reprise d’études.
Enfin, pour mettre un terme aux sorties du système éducatif sans aucun diplôme et en finir avec la logique actuelle du « tout ou rien », la mission appelle très solennellement à évaluer et à identifier les compétences ainsi que les acquis scolaires de tous les élèves et à leur délivrer une certification ou une attestation. Il faut valoriser non seulement les savoirs, mais aussi les savoir-faire et les savoir-être.
Le rapprochement du monde éducatif et du monde professionnel est une sorte de « serpent de mer » : au fil du temps, nous sommes passés de l’incantation à l’affichage de principes ; pour parfaire leur mise en œuvre, la mission propose plusieurs mesures concrètes.
Pour rendre les stages des jeunes plus accessibles et plus formateurs, nous souhaitons que les établissements d’enseignement scolaire et universitaire organisent des « bourses de stages », afin de favoriser l’égalité des chances et, pour ce faire, d’intensifier les partenariats avec les employeurs et le service public de l’emploi.
Nous préconisons de labelliser et de valoriser les entreprises et les collectivités publiques qui se mobilisent pour accueillir des stagiaires et proposent un accompagnement de qualité. Nous proposons aussi d’insuffler la « culture du stage » au sein des entreprises, dans l’intérêt bien compris de développement du vivier de recrutement de leur entreprise.
La mission commune d’information recommande aussi de rendre obligatoires, pour l’ensemble des enseignants et des personnels d’orientation, des stages d’immersion en entreprise, dans le secteur public ou dans l’enseignement professionnel, et d’encourager l’intégration des professionnels de terrain dans l’enseignement secondaire, en tant que conférenciers, référents, représentants au sein du conseil d’administration ou formateurs.
Constatant que le développement de la formation en alternance est l’un des moyens les plus efficaces pour favoriser l’accès des jeunes à l’emploi, la mission commune d’information estime nécessaire d’encourager l’entreprise à devenir plus « formatrice » sans, pour autant, se limiter à s’acquitter de prélèvements destinés à financer des organismes de formation.
Souscrivant ainsi au principe qui a guidé l’annonce, par le Président de la République, d’un plan de soutien à l’alternance sous contrat, chiffré à 1, 3 milliard d’euros, la mission commune d’information a identifié, sur le terrain, quelques mesures complémentaires utiles.
Elle appelle ainsi à veiller à ce que les incitations à la signature de nouveaux contrats de professionnalisation puissent bénéficier aux jeunes non diplômés. Elle demande également de sécuriser le financement des centres de formation d’apprentis, les CFA, en simplifiant et en recentrant sur sa fonction essentielle le système d’affectation de la taxe d’apprentissage. Par ailleurs, elle estime légitime d’améliorer le statut des apprentis en alignant les avantages conférés par la carte d’apprenti sur ceux de la carte d’étudiant ou en fusionnant les deux documents.
Au-delà de ces mesures de soutien conjoncturel, la mission commune d’information préconise de poursuivre deux combats difficiles, mais exaltants.
Tout d’abord, nous proposons la constitution de pôles d’excellence à partir de certaines formations professionnelles existantes et la création de grandes écoles professionnelles accessibles aux bacheliers professionnels ou technologiques, afin de renforcer l’image et l’attractivité de cette filière.
Plus fondamentalement, la mission commune d’information milite pour le décloisonnement des voies d’alternance et la mutualisation de leurs moyens pédagogiques et financiers.
Dans cette logique, elle recommande la constitution de campus de formation intégrant l’hébergement des jeunes et remplissant une fonction de « brassage social » susceptible d’abolir les frontières entre le monde scolaire ou universitaire et le monde du travail.
La mission commune d’information préconise de porter le nombre des écoles de la deuxième chance à une centaine, avec au moins un site-école par département, et de mettre en place un internat dans les départements ruraux ou les plus défavorisés.
En outre, nous proposons d’explorer plusieurs pistes pour améliorer l’insertion professionnelle des jeunes.
Tout d’abord, le service public de l’emploi doit accompagner les jeunes. Il nous paraît essentiel de renforcer sa coordination avec l’éducation nationale, afin que les jeunes qui quittent le système scolaire sans formation bénéficient, dans les meilleurs délais, d’un suivi assuré notamment par les missions locales.
Les missions locales jouent un rôle irremplaçable au service des jeunes, et nous proposons de les renforcer, notamment en rapprochant leur réseau de celui des points d’information jeunesse.
Le travail des missions locales doit bien sûr être évalué, car les résultats sont inévitablement contrastés dans un réseau qui compte près de 500 structures. Selon nous, cette évaluation doit être fondée sur les résultats obtenus en matière d’insertion professionnelle des jeunes plutôt que sur une approche quantitative conduisant à dénombrer le nombre d’entretiens ayant eu lieu au cours d’une année.
Le travail des missions locales doit être complété par celui des autres opérateurs, Pôle emploi bien sûr, mais aussi les associations spécialisées et les opérateurs privés, qui ont été récemment mis à contribution pour lancer le contrat d’autonomie.
Les expériences de mise en relation directe des employeurs et des demandeurs d’emploi devraient être multipliées dans la mesure où elles permettent souvent de lever les préjugés qui peuvent exister de part et d’autre.
Nos déplacements sur le terrain nous ont également permis de mesurer à quel point les problèmes de mobilité peuvent faire obstacle à l’insertion professionnelle de nombreux demandeurs d’emploi. Les actions menées en ce domaine doivent donc être encore amplifiées, notamment pour faciliter l’accès au permis de conduire des jeunes les plus en difficulté.
Ensuite, il convient de généraliser la pratique des stages dans toutes les filières de formation tant pour les élèves du secondaire qui en ont besoin pour affiner leurs choix d’orientation qu’au niveau de la licence, afin que chaque étudiant ait un minimum d’expérience professionnelle au moment de l’obtention de son diplôme.
Parallèlement, nous proposons de compléter la réglementation applicable pour lutter contre la pratique des stages hors cursus, qui conduit des jeunes à s’inscrire fictivement à l’université pour obtenir une convention de stage. De plus, il est indispensable que les établissements d’enseignement s’investissent davantage dans la recherche et l’organisation de l’offre de stages.
Pour les jeunes les plus éloignés de l’emploi, des dispositifs spécifiques doivent être mobilisés. Il faut faire preuve de pragmatisme en la matière et recourir à tous les outils disponibles, y compris les contrats aidés dans le secteur non marchand. Mon expérience d’élu local, que partagent d’ailleurs nombre de participants à cette mission, m’a convaincu qu’il est possible d’accueillir un jeune dans une collectivité territoriale, de le former et de le réinsérer ensuite dans le secteur privé où il pourra valoriser ses compétences acquises.
De ce point de vue, la proposition du Président de la République de financer, cette année, 30 000 contrats aidés supplémentaires dans le secteur non marchand et 50 000 autres dans le secteur marchand, en privilégiant les secteurs porteurs, nous paraît aller dans le bon sens. Je rappelle que ces contrats s’ajoutent aux 300 000 contrats déjà prévus dans le budget de 2009. Ils devraient permettre d’atténuer l’effet de la crise sur l’insertion professionnelle des jeunes qui sortiront du système scolaire en cours d’année.
La mission commune d’information estime que les nombreux dispositifs d’aides aux jeunes mis en place et réformés au fil des années sont trop épars, et sans doute globalement insuffisants. Or l’autonomie des jeunes doit être accrue, non pas dans une logique d’assistanat, mais dans l’objectif de garantir l’accès de tous à une formation, puis à un emploi.
Dans ce contexte, nous avons décidé de ne pas statuer sur ce sujet et nous nous donnons encore un mois pour formuler des propositions précises. Toutefois, nous n’écartons aucune piste.
Deux modèles ont notamment retenu notre attention.
Il s’agit tout d’abord des pays d’Europe du Nord, où existent des droits de tirage pour le financement des périodes de formation, financés par une combinaison de bourses et de prêts ; notre rapport présente ces dispositifs en annexe.
Ensuite, l’idée de dotations en capital pour les jeunes, évoquée notamment par M. Luc Ferry devant la mission et analysée dans un récent rapport du Centre d’analyse stratégique, est également séduisante. De tels systèmes existent, par exemple, au Royaume-Uni et au Canada.
Ces modèles ne sont évidemment pas totalement transposables, ni exempts de défauts. Leur mise en place nécessiterait des expérimentations préalables ; il nous faut donc y réfléchir pour le moyen terme.
En tout état de cause, la solution proposée sera coûteuse. C’est ainsi que je propose, à titre personnel et de manière exceptionnelle en cette période de crise, de réduire la portée du bouclier fiscal pour faire participer ses bénéficiaires à l’effort en direction de notre jeunesse.