L’éducation est en effet la clé de voûte. Beaucoup se joue à l’école, où se forgent les apprentissages fondamentaux. Aussi faut-il garantir à tous les enfants la poursuite d’études dans des conditions optimales, avec une attention particulière pour les acquis au cours préparatoire.
Sachant que, depuis des années, 20 % d’une classe d’âge sort du système éducatif sans diplôme ni qualification, et un taux de chômage chroniquement élevé, il faut poser les vraies questions.
Regardons les choses en face ! Malgré un budget qui a augmenté de 23 % en dix ans, les enquêtes internationales nous placent légèrement au-dessous de la moyenne, très loin derrière la Finlande, qui est en tête. La réussite des jeunes n’est donc pas, comme nous l’entendons trop souvent, uniquement une question de moyens.
Notre système éducatif, avouons-le, est souvent bridé par des conservatismes. Il faut avoir de l’aptitude scolaire une approche moins académique, plus souple, plus complète, et reconnaissant à l’élève un droit à l’erreur. La grande mission de l’école est de veiller à ce que soient acquis non seulement les savoirs définis par le socle commun des connaissances, mais également le savoir-faire – l’acquis d’une technique particulière – et le savoir-être – la relation à soi et aux autres.
À l’école, comme au sein de l’entreprise, des administrations, dans le monde du sport, des arts et de la culture, il faut promouvoir les talents, faire bénéficier la collectivité de la diversité des intelligences et des sensibilités. Mais la France souffre d’un système de hiérarchisation des formes d’intelligence qui privilégie l’intelligence abstraite.
Des jeunes de mon département, épanouis aujourd’hui dans une formation professionnelle agricole, ont tous dénoncé la pression qu’ils ont subie lors de leur orientation de la part des professeurs, qui, au vu de leurs résultats, les encourageaient à poursuivre dans la filière générale.
Les filières courtes, l’enseignement professionnel et l’apprentissage, bien que prometteurs sur le marché du travail, continuent de pâtir d’une mauvaise image. Le travail de revalorisation effectué depuis quelques années est à poursuivre absolument, tant auprès des familles que des enseignants eux-mêmes, ainsi que la réflexion sur une réforme des lycées inchangés depuis 1975.
J’en viens à une autre question, celle de l’orientation et de son organisation, que ce soit à l’école ou à l’université.
La multiplication des structures et des interlocuteurs, le manque de lisibilité, sont autant de difficultés qui font que les jeunes ont du mal à s’y retrouver. Résultat : près de 60 % d’entre eux ne terminent pas les études qu’ils ont commencées à l’université !
Et que dire de l’orientation fondée sur des stéréotypes dont les filles sont les premières victimes ? À elles les études littéraires ou paramédicales ; à eux les études scientifiques et techniques ! Le service public de l’orientation préconisé dans le rapport de mission, garant de la connaissance concrète du monde du travail, s’avère donc indispensable.
Les difficultés d’orientation sont accrues par le décalage existant entre la représentation que les jeunes se font du monde du travail et la réalité de celui-ci. Cela implique de généraliser les stages réguliers et obligatoires tout au long de la scolarité et de la formation. Car il faut savoir qu’un étudiant en sciences humaines peut passer cinq années sur les bancs de la faculté sans jamais être obligé de faire des stages !
Le rapprochement entre l’entreprise, d’une part, l’école et l’université, d’autre part, est donc indispensable. On l’a dit, ces deux univers sont trop cloisonnés, et toutes les auditions nous l’ont confirmé.
C’est donc une véritable révolution culturelle qui doit s’accomplir, tant du côté des enseignants que de celui des employeurs. En effet, ces derniers ont, eux aussi, un rôle à jouer ; cela fait partie de leur responsabilité sociale.
En matière d’éducation, on observe une méfiance générale envers toute démarche pragmatique, à laquelle on préfère trop souvent les grands principes. Mais les bons sentiments transformés en slogan – « 80% de réussite au bac » – ainsi que le rêve du collège unique ont fait, nous l’avons vu, la preuve de leur échec.
Il faut bien l’avouer, la phobie générale à l’égard de toute orientation précoce, voire de toute orientation et de toute sélection ont conduit des jeunes dans des impasses. Pourquoi laisser des dizaines de milliers d’étudiants s’engouffrer dans des filières qui ne conduisent nulle part ?
En dehors de certaines d’entre elles – médecine, droit ou encore pharmacie –, les filières universitaires longues offrent trop peu de débouchés par rapport au nombre d’étudiants. Ces derniers sont donc confrontés à une concurrence très forte. Cela veut dire, chaque année, 80 000 jeunes quittant l’université sans avoir obtenu de diplôme.
La loi relative aux libertés et responsabilités des universités, ou loi LRU, a été une première étape dans la réforme de l’enseignement supérieur ; cette réforme, il faut la poursuivre. À cet égard, des chantiers ont été ouverts, portant notamment sur l’insertion professionnelle, les bourses et le logement étudiant.
Le deuxième point que je souhaiterais aborder concerne la question de l’insertion professionnelle, qui revêt une acuité particulière en ces temps de crise où le chômage des jeunes atteint des sommets.
L’insertion des jeunes dans l’emploi est devenue incertaine, lente et chaotique ; elle subit davantage les fluctuations de la conjoncture. Cela fait trente ans que la question préoccupe les gouvernements. Depuis 1977, date à laquelle, je le rappelle, le taux de chômage des moins de vingt-cinq ans était de 11, 3 %, contre 5, 3 % pour les autres catégories, bien des mesures incitant les entreprises à prendre des jeunes en échange d’exonérations de charges se sont succédé, sous différentes appellations. Hélas ! ces politiques n’ont pas toujours eu le succès escompté.
La difficulté à être embauché s’explique également par différentes raisons, qui parfois se cumulent : le manque de diplôme – même si les diplômes ne constituent plus un rempart contre le chômage, contrairement à ce qui se passait dans les années soixante-dix –, l’inadéquation entre la formation et le marché du travail, mais aussi le manque d’expérience. Cela confirme l’absolue nécessité des stages et des immersions régulières, qui permettent aux jeunes non seulement de mieux s’orienter, mais encore d’acquérir la fameuse première expérience.
Les mutations du marché du travail et des métiers doivent, par ailleurs, être mieux anticipées. Parfois, on ne peut être que frappé par l’inadéquation entre les offres et les demandes d’emploi.
Ceux qui, par bonheur, ont réussi à franchir le cap de l’embauche sont confrontés à une deuxième difficulté, celle des contrats précaires – CDD, intérim, temps partiel –, qui ne leur permettent pas de vivre correctement, de devenir pleinement autonomes et ainsi de pouvoir se projeter dans l’avenir.
Un certain nombre de jeunes vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Le revenu de solidarité active, mis en place à partir du 1er juin, ne concerne pas les jeunes qui vivent des ruptures dans leur parcours professionnel. On peut le regretter.
Au sein de la mission commune d’information, l’idée d’instaurer une « allocation jeune » a été émise. S’il convient, selon nous, de distinguer ce qui est souhaitable de ce qui est possible, cette question de l’autonomie financière des jeunes mérite d’être approfondie.
Le troisième et dernier point que j’aborderai concerne le risque qu’il y a à voir grandir, dans la jeunesse, compte tenu des difficultés qu’elle rencontre, le repli sur soi et le sentiment d’inutilité. Plus que jamais, dans un monde où l’individualisme se développe et fragilise la cohésion sociale, la vie associative, qui ouvre aussi à la vie citoyenne, de même que les pratiques sportives et culturelles pour tous – mais en particulier pour les jeunes – doivent être facilitées.
On ne saurait trop le répéter : de l’école à l’université, dès le plus jeune âge, la pratique d’activités physiques et la sensibilisation aux arts et à la culture participent de l’équilibre et de l’épanouissement des individus.
Rendre les musées et les théâtres gratuits, comme le propose notre mission commune d’information, serait certes une mesure intéressante, mais elle suppose, pour être pleinement bénéfique, qu’en amont dans la vie des jeunes on se soit attaché, à travers des dispositifs appropriés, à les familiariser à la culture, à éveiller leur goût et leur curiosité.
Ainsi, l’effort doit porter non seulement sur l’école, mais aussi sur l’université, où, à la différence de ce que l’on constate dans d’autres pays, l’offre reste malheureusement disparate et insuffisante. À cet égard, j’ai souhaité qu’une étude sur les pratiques culturelles à l’université soit réalisée dans le cadre de notre mission commune d’information, car la culture est, comme le sport, un outil de socialisation indispensable au moment où l’on construit sa personnalité et où l’on doit s’ouvrir au monde et aux autres.
Aujourd’hui, les jeunes vivent la culture essentiellement sur le Net ; elle n’est plus forcément associée à un lieu – théâtre, musée ou cinéma – ou à des supports réels, comme les livres ou les disques. D’ici à quelques années, ces nouveaux comportements seront ceux de quasiment toute la population. Territoires réels et territoires virtuels de la culture sont désormais intrinsèquement liés. Aussi, à côté des industries culturelles, les pouvoirs publics doivent s’emparer de ces champs nouveaux, car, si la culture c’est la création, la découverte, l’innovation, c’est aussi la transmission de nos patrimoines et de nos valeurs. Or il convient d’assurer cette transmission.
On a déjà eu l’occasion de le dire lors de précédents débats : il faut veiller à ce que les nouveaux supports de diffusion de la culture disposent d’une offre riche et « multi-supports » de qualité.
Pour finir, je souhaiterais dire quelques mots sur le rôle des collectivités territoriales, que notre Haute Assemblée a notamment pour mission de représenter. Si la jeunesse doit être abordée de façon transversale au niveau de l’État, il doit en aller de même au niveau local : elle mériterait de se voir dédier une délégation à part entière dans les collectivités.
Par ailleurs, celles-ci, comme les entreprises, doivent veiller à accueillir les jeunes. Comme au niveau central, une mobilisation de tous les acteurs concernés sur nos territoires est indispensable. Or il n’existe actuellement aucune réelle coordination des politiques liées à la jeunesse. Il n’y a que des instances qui, le plus souvent, travaillent parallèlement : les services de la ville, les associations, les instances de l’éducation nationale, les parents, les entreprises, le milieu associatif. Qui, mieux que le maire, peut fédérer tous ces acteurs ? Il rencontre en effet au quotidien ses jeunes administrés.
L’objectif, quel que soit le niveau d’intervention, est d’extirper les racines de l’échec en trouvant pour chacun le parcours qui le mènera à la réussite et en l’aidant à trouver sa voie d’accès à l’autonomie.
La jeunesse constitue la force de demain. C’est donc un investissement incontournable, qui concerne, rappelons-le, 8, 2 millions de nos concitoyens dont nous avons la responsabilité. Gardons toujours à l’esprit que, selon le mot d’un de nos illustres prédécesseurs, Victor Hugo, « la jeunesse est le sourire de l’avenir ».