Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, en participant à cette mission commune d’information, nous souhaitions favoriser l’émergence de nouvelles politiques publiques pour répondre enfin à l’ensemble des problèmes des jeunes de notre pays, dont la situation sociale n’a cessé de se dégrader depuis trente ans et qui, pour nombre d’entre eux, subissent une stigmatisation permanente.
Depuis de nombreuses années, les jeunes sont plutôt oubliés par l’action publique. Pourtant, la situation qui est faite à notre jeunesse, nous la connaissons tous !
Les problèmes qui enflamment régulièrement nos villes nous montrent la désespérance de beaucoup de jeunes. Tenter d’y remédier suppose des réformes touchant tous les compartiments de leur vie, en vue de les accompagner sur le chemin de l’autonomie. Ces réformes doivent être aussi audacieuses qu’ambitieuses : l’heure n’est plus aux petits ajustements qui, au nom du pragmatisme prévalant ces derniers temps, permettent au mieux de maintenir entre deux eaux les populations qui se noient, mais ne les autorisent jamais à rejoindre la rive d’une existence apaisée.
Aussi demandons-nous des engagements forts de la nation, inscrits dans la durée, assortis d’importants moyens et qui instituent de nouveaux droits pour tous les jeunes. C’est une vraie mobilisation qu’il faut déclarer, monsieur le haut-commissaire. La jeunesse doit devenir une cause nationale !
Voilà pourquoi je vous proposais, dès notre première rencontre, d’inscrire vos projets et les travaux de notre mission commune d’information dans la perspective d’une loi d’orientation pour un engagement national en faveur de l’autonomie des jeunes, loi que nous appelons de nos vœux. Pour l’instant, vous n’avez pas souscrit à cette demande.
Nous ne pouvons, dès lors, que regretter que notre mission commune d’information se soit bornée à n’examiner que certains aspects des problèmes posés, et seulement à partir des pistes ouvertes par vos déclarations, monsieur le haut-commissaire. En ne proposant que des adaptations aux politiques actuelles, notre mission commune d’information se contente de continuer dans des voies qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité.
C’est pourquoi nous considérons que, malgré la pertinence de l’approche choisie pour notre étude, fondée sur des auditions et des débats, de très nombreux aspects ne sont pas abordés dans le rapport et que de très nombreuses pistes, bien qu’elles aient été ouvertes, ont été insuffisamment explorées.
Si nous approuvons évidemment certaines des propositions, d’autres nous semblent trop timides et d’autres encore, dangereuses.
Nous regrettons, tout particulièrement, que l’ensemble des questions d’éducation ne soient pas traitées dans leur globalité, alors qu’elles sont au cœur des problèmes rencontrés.
Nous ne pouvons pas non plus nous satisfaire d’un ensemble de propositions qui ne visent qu’à rapprocher le monde de l’entreprise et celui l’enseignement. Sans nier, bien sûr, la nécessité d’une telle relation, non plus que caractère indispensable d’une revalorisation des filières professionnelles, nous estimons que le fait de privilégier cette seule piste de réflexion ouvre la voie à un assujettissement renforcé de notre système éducatif au monde de l’entreprise.
De plus, cette perspective ignore l’objectif fondamental qui devrait être celui de notre service public d’enseignement, à savoir la transmission des connaissances et l’épanouissement de toutes les capacités. Par le fait même, elle nous en éloigne toujours plus. C’est cette action éducative qu’il nous faut pourtant renforcer, à rebours des politiques actuelles de restriction des moyens et de suppression de postes.
Nous pourrions alors repenser les contenus et la pédagogie pour parvenir à la réussite de tous, dans le cadre d’un projet éducatif global passant par l’accompagnement, le soutien et la valorisation de chacun.
En ce qui concerne l’insertion et l’emploi, nous savons tous que les jeunes sont les premières victimes de notre système économique, qui privilégie les dividendes au détriment de l’emploi et de l’innovation.
C’est donc par des mesures réelles de revalorisation du travail, par des investissements authentiquement productifs et par la reconnaissance de tous les diplômes que notre jeunesse trouvera la voie de l’emploi.
Cependant, les jeunes se trouvent confrontés à une série de problèmes spécifiques qu’il nous faut résoudre.
Depuis trente ans, de façon insidieuse, l’idée que le travail des jeunes possède une moindre valeur s’est répandue dans notre société, se légitimant elle-même au fil des « mesurettes » qui se sont succédé. On en finirait par s’interroger sur leur capacité à exercer convenablement une activité professionnelle, alors que leur niveau de formation s’est élevé !
Ainsi, notre société impose aux jeunes une véritable course d’obstacles, leur fait subir un insupportable « bizutage » social en les contraignant, pendant des années, aux petits boulots, à de multiples compléments de formation ou d’adaptation à l’emploi, à des stages et autres contrats spécifiques peu rémunérés ; elle leur réserve également les emplois précaires.
Dès lors, toute mesure allant à l’encontre des règles favorisant la flexibilité et la baisse du coût du travail renforcerait l’insertion professionnelle des jeunes.
Quant aux aides et primes diverses en faveur des entreprises, qui se sont développées au cours des dernières décennies, elles n’ont pas permis d’endiguer le chômage massif et la précarisation des jeunes. Elles doivent donc être réorientées vers le soutien à des formations réellement qualifiantes, à l’insertion et aux véritables emplois en CDI et à temps plein. Dans ce cadre, l’ensemble des pouvoirs publics doivent être mobilisés.
Pour les jeunes éloignés de la formation et de l’emploi, il faut renforcer les politiques publiques d’accompagnement en faveur de leur insertion sociale et professionnelle par un suivi plus personnalisé et inscrit dans la durée.
Plus généralement, nous soutenons certaines propositions de notre mission commune d’information visant à améliorer les conditions de vie de la jeunesse, telle l’attribution d’un dixième mois de bourse, mais nous regrettons qu’elles se bornent à envisager de refondre l’ensemble des dispositifs d’aides, sans proposer d’aller résolument vers la création d’un revenu pour l’autonomie des jeunes, proposition que nous portons avec force pour accompagner leurs efforts de formation, d’insertion et de recherche d’emploi.
Nous le regrettons d’autant plus que, loin de promouvoir cette solidarité active, notre mission commune d’information propose d’endetter les jeunes avant même qu’ils ne disposent d’un revenu !
Certes, notre proposition d’un revenu d’autonomie nécessite la mobilisation d’importants moyens financiers. Nous en avons d’ailleurs discuté lors de notre dernière réunion. Qu’il me soit cependant permis de rappeler ici que gouverner, c’est faire des choix. Pour exonérer d’impôts les plus riches, vous avez trouvé des moyens considérables ! Et je ne parle pas seulement du bouclier fiscal ; j’ai aussi en tête, évidemment, toutes les niches fiscales, qui représentent plusieurs dizaines de milliards. Il suffirait d’en réduire le nombre pour mettre en place cette allocation.
Du reste, ces sommes attribuées aux jeunes viendraient non pas augmenter les capitaux spéculatifs qui nous font tant de mal, mais enrichir notre économie. C’est donc un investissement durable que nous proposons.
Cette question du pouvoir d’achat est essentielle au regard de l’autonomie que doivent acquérir les jeunes. Elle est à la base de bon nombre des difficultés qu’ils rencontrent dans le domaine du logement, de la santé, de l’accès à la culture et aux loisirs ; elle conditionne aussi leurs possibilités de déplacements et de détente.
C’est pourquoi nous soutenons toutes les mesures tendant à améliorer la situation dans ces domaines, notamment par l’institution de droits nouveaux, dont la mise en œuvre doit reposer sur la mobilisation non seulement des collectivités locales, mais aussi des pouvoirs publics, notamment en matière de logement et de transport.
Pour ce qui concerne la citoyenneté, nous ne pouvons nous satisfaire des propositions qui sont mises en avant. Nous considérons que de nouvelles étapes doivent être franchies pour permettre l’expression des jeunes, favoriser leur prise de responsabilité, valoriser leur rôle dans notre société et faire en sorte que leurs droits soient mieux respectés.
Enfin, à propos de la création d’un éventuel service civique, nous sommes, pour notre part, favorables à un service national de solidarité largement ouvert à tous les jeunes. Ses missions et ses conditions d’exercice, mais aussi sa rémunération devront être attractives, afin que des dizaines de milliers de jeunes fassent le choix de s’y engager, ce qui permettrait, à terme, de le généraliser.
Mes chers collègues, après ces remarques, ces critiques et ces contre-propositions, vous ne serez pas étonnés que, tout en saluant le travail réalisé par cette mission, en particulier par sa présidente et son rapporteur, entourés de fonctionnaires des commissions, dont je tiens à saluer la compétence, notre groupe ne soit pas favorable à ses conclusions.
Nous restons cependant disponibles pour engager de vraies réformes, qui transformeraient, enfin, la vie de la jeunesse de notre pays !