Mme Jarraud-Vergnolle, qui a dû rentrer précipitamment dans les Pyrénées-Atlantiques, m’a demandé de la suppléer, ce que je fais volontiers.
Madame la secrétaire d'État, je vais aller droit au but en m’en tenant aux points les plus importants, bien qu’ils ne soient pas les seuls à susciter une inquiétude profonde au sein des associations concernées, chez les personnels et parmi de nombreux élus, autrement dit de quasiment tout le monde à part vous, quant au sort que ce projet de loi réserve au secteur médico-social.
Aussi loin que remonte le serment d’Hippocrate, les médecins ont toujours dû concilier leur pratique avec une exigence de solidarité.
L’hôpital, traditionnel lieu d’accueil des pauvres et des personnes les plus vulnérables, s’est départi peu à peu de ses missions sociales, ce que l’on peut déplorer, pour se concentrer sur sa technicité et sa rentabilité.
De fait, le personnel hospitalier n’a plus le temps d’apporter une réponse d’accompagnement médico-social à cette population. Et tous regrettent de ne plus pouvoir réintégrer la dimension éthique et humaine à leur profession. « L’égalité des soins ne suffit pas à rendre une décision médicale juste si elle n’est pas ressentie comme telle par l’intéressé » insiste Véronique Fournier, responsable du Centre d’éthique clinique.
Il était donc urgent d’articuler le sanitaire et le social afin que puissent se construire des parcours qualitativement adaptés aux besoins de ce public.
Mais, en dépit de l’unanimité qui règne quant à la nécessité d’un décloisonnement entre le sanitaire et le médico-social, la confusion que vous insufflez prive ce secteur de la souplesse qui le caractérise et lui donne tout son sens, puisqu’elle lui permet de s’inscrire dans un champ non limité aux soins et couvrant également la notion d’accompagnement ; cette confusion le prive également, et c’est tout aussi grave, de sa capacité d’innovation.
Pourtant, plusieurs rapports avaient émis des préconisations tout à fait intéressantes : le rapport Ritter de janvier 2008 soulignait que l’un des enjeux de la création des agences régionales de santé était la recomposition de l’offre hospitalière au profit du médico-social, et le rapport Larcher d’avril 2008 recommandait d’organiser la prise en charge multidimensionnelle des personnes fragiles.
La vision purement gestionnaire et non paritaire que traduit votre projet de loi est tout de même bien étriquée.
D’une part, elle cause la perte de l’identité et de la vocation propre du médico-social. À l’instar des professionnels de santé, les travailleurs sociaux s’interrogent sur le sens et la portée de leurs pratiques.
Cette tendance à la confusion est aggravée par l’assimilation systématique des personnes bénéficiaires à des patients, alors que les personnes âgées, les personnes handicapées, les personnes en réinsertion ne sont pas des patients. Cette confusion est renforcée par l’extension des compétences des ARS aux établissements et services d’aide par le travail, les ESAT, qui, eux, sont financés par l’État et non par l’assurance maladie.
D’autre part, l’instauration d’une nouvelle procédure d’autorisation des établissements par appel à projet, la généralisation des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens sont autant d’exemples qui attestent d’une méconnaissance notoire de la valeur ajoutée incontestable qu’apporte au sanitaire le volet médico-social, tel que nous le pratiquons, avant que vous ne le démontiez en vous focalisant sur le soin et l’écrasement de son coût.
En outre, la fin de l’opposabilité des conventions collectives agréées et la suppression des procédures budgétaires contradictoires n’ont-elles pas seulement pour vocation de « responsabiliser les gestionnaires dans le cadre des ressources qui leur sont imparties », comme l’indiquait M. Vasselle lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 ? Alors que ce secteur s’oblige à salarier des personnels formés, qualifiés, travaillant souvent dans des conditions difficiles, jour et nuit, usés physiquement et psychologiquement, vous souhaitez bloquer leur déroulement de carrière !
Enfin, la tentation de procéder à des transferts de dépenses entre le sanitaire et le médico-social sans tenir compte du fait que les personnels diffèrent par leur nombre autant que par leur formation et leur coût pose immanquablement la question de l’absence de transferts de moyens et de ressources pour le financement de ces personnels.
Jusqu’à quel niveau les conseils généraux vont-ils devoir contribuer ? Quelles garanties et quelles compensations peuvent être raisonnablement mises en avant pour nous convaincre qu’il ne s’agit pas là d’une astuce budgétaire ?
Pour toutes ces raisons, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite que, lors de l’examen des amendements tendant à restaurer la notion même de médico-social, nous puissions veiller à ce que ce volet – qui fait la spécificité et la réputation de notre approche, au même titre que certains de nos voisins européens en pointe sur ces sujets – ne soit pas le parent pauvre de ce projet de loi. §