Intervention de Odette Herviaux

Réunion du 13 juillet 2010 à 14h30
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixte paritaire

Photo de Odette HerviauxOdette Herviaux :

Nous avons donc joué notre rôle d’opposition constructive en déposant de nombreux amendements et en argumentant sur notre vision de l’agriculture de demain pour la France et pour l’Europe, et ce dans l’intérêt de tous et, surtout, des plus fragiles de nos concitoyens.

Globalement, nous n’avons cessé de plaider pour un encadrement par les pouvoirs publics des dispositifs proposés dans le projet de loi, mais la conclusion est malheureusement sans appel : l’État assumera de moins en moins ses missions de régulation et d’accompagnement du secteur agricole.

Nous n’avons cessé de marteler la nécessité d’avoir des services de l’État en capacité d’accompagner les producteurs sur tous les territoires. Mais la Révision générale des politiques publiques, d’abord, le plan de rigueur, ensuite, s’appliqueront dans ce secteur comme dans d’autres et les coupes tomberont peut-être sans beaucoup de discernement, comme le montre, par exemple, l’objectif de rationalisation des services déconcentrés garantissant la sécurité de la chaîne alimentaire, alors même qu’il s’agit de l’un des objectifs principaux de la première partie du projet de loi.

C’est donc désormais aux professionnels d’assumer des missions d’intérêt général.

Le sacro-saint principe de laisser faire le marché revient sous couvert d’une pseudo-régulation fondée sur une contractualisation que je qualifierai de minimaliste. Plus adaptée à un modèle concentré et entrepreneurial, cette dernière ne transformera qu’à la marge les rapports de domination entre distributeurs et producteurs, risquant de conduire à la disparition de la diversité des pratiques et des productions et affaiblissant de façon irréversible non seulement sa fonction territoriale, mais aussi ses fonctions sociales et environnementales.

Cela est d’autant plus vrai que le Gouvernement a refusé la remise en cause de la loi de modernisation de l’économie et son principe de libre négociabilité des prix, comme nous le demandions.

Ainsi, les avancées souhaitées ou obtenues par le Sénat ont toutes été sévèrement encadrées afin de réduire leur portée : l’interdiction de la pratique de reprise des invendus adoptée par le Sénat a été limitée, l’observatoire des prix et des marges n’a pas été doté d’un dispositif d’alerte, et la suppression des remises, rabais et ristournes prévue pour les fruits et légumes n’a pas pu être étendue à tous les produits agricoles périssables.

La majorité s’est, par ailleurs, obstinée à refuser d’inscrire dans la loi la nécessité d’accords sur des critères de prix couvrant au moins les coûts de production agricole. Sans cette précision, les producteurs se verront imposer par leurs acheteurs des prix trop bas pour assurer la pérennité de leur exploitation.

Cela est d’autant plus regrettable que la réduction programmée des moyens publics consacrés à l’agriculture et à la pêche ne fera qu’accentuer l’échec prévisible de cette politique d’incitation.

En effet, à quoi sert-il d’afficher une volonté de réguler les relations commerciales s’il n’y a plus de moyens humains pour contrôler celles-ci ? Pourquoi promettre des outils de gestion quand il n’existe aucun moyen de les mettre en œuvre et de les évaluer dans de bonnes conditions sur le terrain ?

Dans ce cadre, les interprofessions voient leur rôle considérablement renforcé, ce qui constitue selon nous une mesure adaptée ; nous réclamons une telle disposition depuis un certain temps. Les interprofessions se voient aussi confier – mais par défaut – d’importantes missions d’intérêt général comme l’adaptation de l’offre à la demande ou le renforcement de la sécurité alimentaire.

Cependant, alors même que ces missions devraient être assumées par l’État, le Gouvernement et la majorité ont à nouveau refusé systématiquement les amendements que nous avions présentés et qui visaient pourtant uniquement à sécuriser le fonctionnement de ces interprofessions et à améliorer leur légitimité.

La généralisation du recul de la puissance publique s’observe également dans le domaine de la gestion des risques, notamment forestiers, dont la privatisation paraît très avancée. Ainsi, il est créé un compte épargne d’assurance pour la forêt, mais celui-ci exonérerait à moyen terme l’État de toute prise en charge des mesures de nettoyage et de reconstitution des peuplements forestiers sinistrés par des tempêtes, ce que nous ne pouvons que regretter.

La majorité a rendu obligatoire la délégation aux chambres départementales d’agriculture de la mission d’information collective et individuelle sur les questions d’installation en agriculture, ce qui se faisait déjà, mais sur la base du volontariat. Pour notre part, nous resterons extrêmement vigilants sur la pérennisation et le devenir des ADASEA, les associations départementales pour l’amélioration des structures des exploitations agricoles, qui assument une mission de service public d’accompagnement des candidats à l’installation et à la transmission des exploitations.

Enfin, monsieur le ministre, en contradiction flagrante avec les promesses du Grenelle et les engagements affichés de la France en matière environnementale, vous avez dû tenter de trouver une porte de sortie à ce que souhaitaient certains à l’Assemblée nationale : un assouplissement des règles applicables aux regroupements ou modernisations d’exploitations d’élevage porcin, qui devraient normalement rester soumises à la procédure d’autorisation des installations classées.

Autant je comprends que l’on puisse souhaiter réduire les délais de procédure ou d’instruction et simplifier certaines tracasseries administratives, autant je ne saisis que difficilement les véritables motivations de ceux qui ont voulu rejouer la « guerre du porc ».

Je n’ose bien sûr pas imaginer qu’il puisse ne s’agir que de pures visées électoralistes. Au-delà des conséquences environnementales évidentes, je m’interroge donc sur les conséquences économiques d’une telle décision…

Contrairement à notre collègue Jean Boyer, qui est intervenu sur le sujet il y a quelques instants, je suis pour ma part inquiète : ne faut-il pas voir dans le flou artistique de termes tels que « effets notables » sur l’environnement ou augmentation « sensible » de la production, la préparation ou le premier pas vers une véritable délocalisation de la production porcine en question vers des zones françaises en déprise ? Je pense par exemple aux territoires où les producteurs laitiers très disséminés et loin des bassins de production ne seront plus collectés. Là, on pourrait peut-être en effet plus facilement installer des porcheries industrielles ; je ne vous ferai pas l’injure de mentionner ce qui s’est passé en Espagne, mais n’oublions pas les exemples que nous avons dans ce domaine… Une telle délocalisation se ferait bien entendu au détriment d’une région comme celle dont je suis l’élue, la Bretagne, qui, avec ses sous-bassins versants hydrographiques prioritaires, ses bassins versants en contentieux et ceux des algues vertes, ne pourra absolument pas se permettre d’appliquer une réglementation nationale plus laxiste.

À terme, adopter une telle disposition revient donc à condamner les exploitations porcines bretonnes, qui, je le rappelle, sont essentiellement de taille moyenne. Certains se réjouiront peut-être de ces disparitions. Ce n’est pas mon cas, car je reste persuadée que, quelles que soient les productions, on peut allier respect de l’environnement et exigence économique.

D’autres solutions sont possibles et les seuils n’expliquent pas à eux seuls les distorsions de concurrence : seule une harmonisation sociale européenne et une application exigeante des règles sanitaires et environnementales sur les produits agricoles et alimentaires importés permettront la véritable concurrence non faussée si chère à l’Europe.

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