Intervention de Yannick Botrel

Réunion du 13 juillet 2010 à 14h30
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixte paritaire

Photo de Yannick BotrelYannick Botrel :

Monsieur le ministre, lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche par notre assemblée, nous vous avons dit qu’il s’agissait selon nous d’une loi de circonstance destinée à apporter une réponse ponctuelle à la crise agricole, et non de l’aboutissement d’une réflexion de fond sur un grand sujet, qui concerne tous nos territoires et mériterait un grand projet.

Bien entendu, l’urgence de la situation implique que les agriculteurs aient le sentiment d’être écoutés et compris. Mais, au-delà de l’immédiat, ils attendent aussi que leur soient indiquées clairement quelles seront les perspectives et les conditions dans lesquelles ils exerceront leur métier demain.

À plusieurs reprises, monsieur le ministre, vous nous avez dit les différences, et peut-être même les divergences d’approche sur ce sujet à l’échelon européen. Il serait illusoire, c’est vrai, de songer que nous pourrions nous abstraire du contexte communautaire parce qu’il s’agit de notre marché et aussi parce qu’il s’agit du cadre qui définit les règles de fonctionnement des marchés agricoles.

C’est une raison supplémentaire d’affirmer les principes qui doivent gouverner l’agriculture, en particulier l’équité de traitement des producteurs en Europe, la régulation des productions et la garantie d’un revenu décent. La défense de ces principes doit conduire l’action de la France en Europe et de l’Europe elle-même.

Or, en dépit d’une crise qui dure, qui s’éternise, nous n’avons le sentiment ni de voir les choses avancer ni d’assister à une prise de conscience suivie de décisions.

L’Europe, qui s’est ralliée au dogme libéral, paraît avoir rompu avec une politique agricole qui a été un des moteurs de sa construction. Sar doute faut-il chercher là les causes de la crise en même temps que les motivations de ce projet de loi.

Un des principaux fils conducteurs de ce dernier, monsieur le ministre, est la compétitivité. Plusieurs des mesures phares qu’il contient en témoignent.

Oui, notre agriculture doit pouvoir se comparer, en termes de compétitivité, à celles des autres pays de l’Union, mais cela ne doit pas s’inscrire dans une course sans fin, dans une concurrence effrénée qui serait l’alpha et l’oméga des politiques agricoles nationales et communautaires. À ce compte, de même que sur le marché mondial, on peut toujours trouver un producteur sur lequel s’aligner au plus bas, on trouvera toujours des productions européennes moins chères que celles des voisins.

Cette mise en concurrence, nous en connaissons les effets : diminution constante du nombre des agriculteurs avec, en corollaire, une concentration toujours plus importante des productions ; des agriculteurs devenus les variables d’ajustement des politiques économiques et d’équilibre des marchés. C’est le modèle que nous refusons !

Il ne s’agit pas pour autant de tout remettre en cause dans ce projet de loi que vous avez porté et défendu devant nous mais d’en dire les limites.

Ainsi, la contractualisation permet, dans son principe, de clarifier les relations entre producteurs et industriels ou transformateurs, et, à ce titre, elle se justifie pleinement.

Convenez cependant, monsieur le ministre, que la contractualisation existe déjà, et depuis longtemps dans certaines productions. Convenez également qu’elle n’a ni apporté de solutions à tous les problèmes ni complètement sécurisé les producteurs.

Or on ne peut que constater que la contractualisation, telle qu’elle découlera de cette LMAP, comportera des lacunes.

Si les contrats ne prennent pas en compte les coûts de production, qui empêchera un acheteur de garantir une meilleure rémunération à un producteur lui assurant la livraison d’un gros volume qu’à un petit producteur économiquement moins intéressant ?

S’agissant des interprofessions et des groupements de producteurs, nous avons bien saisi que ce ne seront pas les lieux de la prise en compte du pluralisme syndical, un pluralisme qui n’est pas vraiment la caractéristique des instances de l’agriculture française…

Certes, monsieur le ministre, vous nous avez indiqué votre souci de recevoir et d’écouter les représentants des diverses sensibilités, ce dont on peut vous donner acte, mais vous ne pouvez ignorer l’excessive concentration des pouvoirs et des représentations au sein des instances institutionnelles et économiques de la profession, non plus que les passerelles entre elles.

À la faveur de la crise, les agriculteurs se sont exprimés pour voir cesser cette curieuse singularité. Nos propositions sur ce point ont été vite écartées, et le texte ne permet finalement aucune avancée à cet égard. C’est regrettable et, selon nous, c’est une faute.

L’Observatoire des marges et des prix, s’il est pertinent dans son principe, va jouer un rôle limité. Pourtant, nous savons bien que la question est sensible : il est manifestement nécessaire d’établir un moyen de connaître la répartition des marges au sein de chaque filière.

L’an dernier, à pareille époque, nous étions au cœur des manifestations, tendues et même parfois violentes, des producteurs de lait : ils étaient bien placés pour savoir qu’ils ne gagnaient plus leur vie. Mais les autres segments de la filière, à les entendre, ne se considéraient guère responsables de cette situation. Dans le même temps, le consommateur ne constatait pas de baisse des prix dans le commerce. D’où l’intérêt de l’institution de cet Observatoire des marges et des prix.

Néanmoins, nous restons, là encore, au milieu du gué, car il aurait fallu que soit prévue une procédure d’intervention accompagnée de mesures plus contraignantes. À défaut, demeurera la situation que nous connaissons d’un rapport de force absolument déséquilibré, défavorable à la production agricole, exacerbé par l’asymétrie des forces en présence, avec de cinq à sept centrales d’achat face à de nombreux producteurs et transformateurs.

Faute de se voir doté de moyens d’intervention, l’Observatoire ne sera qu’une sorte d’objet décoratif sans véritable utilité : autrement dit, un gadget !

Je persiste à déplorer le peu de place consacré à l’installation des jeunes agriculteurs. Une politique agricole ambitieuse devrait, sinon commencer par là – encore que… –, du moins affirmer qu’il s’agit d’une priorité vitale.

Les moyens réglementaires auraient pu être réactivés, en particulier à travers le rôle redéfini et affirmé des CDOA, les commissions départementales d’orientation de l’agriculture.

Laisser libre cours à l’initiative privée pour réguler le marché foncier agricole va à l’encontre de tout ce qui a été fait depuis plusieurs décennies et qui, certes avec des limites, a permis l’installation de nombreux jeunes, installation qu’une vraie politique de l’agriculture devrait afficher clairement comme primordiale.

Je voudrais également, monsieur le ministre, vous faire part des réactions provoquées par l’amendement présenté par un député breton et adopté par l’Assemblée nationale, quand bien même les dispositions qu’il a introduites ont été réécrites depuis.

Comme vous le savez, cet amendement avait pour effet de relever les seuils d’agrandissement des exploitations soumises à autorisation en tant qu’installations classées pour la protection de l’environnement, ou ICPE, au prétexte de délais administratifs trop longs dans le traitement des dossiers. Si l’observation selon laquelle les délais sont excessifs est fondée, la réponse est à côté du sujet : dans cette situation, la disposition la plus cohérente et la plus efficace qui puisse être prise passe, évidemment, par le renforcement des moyens humains réservés à l’instruction administrative. §

Les réactions, qui n’ont pas tardé, ont porté sur les conséquences environnementales des dispositions prises ; elles ont été à ce point nombreuses et fortes que je n’y insisterai pas. Ce qui a été peu relevé en revanche, c’est la possibilité qui était ainsi ouverte à une nouvelle concentration des élevages, c’est-à-dire à une agriculture s’éloignant chaque jour davantage du modèle des exploitations à dimension économique humaine. Cela entérine le choix d’un modèle productiviste et destructeur d’exploitations agricoles.

Monsieur le ministre, quel rôle voulons-nous voir jouer à l’agriculture européenne comme à notre agriculture ?

S’agit-il, pour l’agriculture, d’assurer seulement un volume de production ou, au contraire, de permettre un développement homogène et harmonieux de nos territoires, avec des producteurs reconnus dans leurs fonctions professionnelles, sociales et sociétales ?

C’est donc bien un choix de modèle qui est en question, et nous n’avons pas la conviction que le présent projet de loi répond aux préoccupations, aux attentes, aux espoirs de la profession et de la société.

Monsieur le ministre, nous ne pouvons que le déplorer et regretter qu’en dépit de votre réelle du dossier de l’agriculture nous ayons abouti à si peu. Vous aurez compris qu’à l’heure du vote le scepticisme et l’insatisfaction l’emportent toujours dans les rangs du groupe socialiste, malgré le travail accompli par la commission et par les rapporteurs, malgré la qualité du débat et votre implication dans celui-ci.

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