Nous y voilà ! La question qui se pose est de savoir si nous sommes prêts à approuver ou non cette mesure. Voulant respecter l’esprit de la réforme souhaitée par le Président de la République et la volonté du Gouvernement, la majorité sénatoriale apportera, bien entendu, son soutien à cette initiative. Toutefois, nous présenterons quelques amendements aux dispositions du texte qui nous est soumis.
Ce projet de loi comporte deux volets.
Le premier porte sur le réajustement des comptes tels que nous les avions examinés au moment de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.
Le second concerne la prime et se limite à un seul article dont je vais vous parler dans un instant.
J’en viens aux comptes de la sécurité sociale en 2011.
M. le ministre nous a déjà donné quelques informations. Les modifications qui sont apportées portent notamment sur le déficit attendu de l’ensemble des branches de la sécurité sociale.
Nous étions partis d’un déficit du régime général de l’ordre de 20, 9 milliards d’euros. Il ne sera en réalité que de 19, 5 milliards d’euros. Cela s’explique par une augmentation des recettes pour près de 1 milliard d’euros et une baisse des dépenses de 400 millions d’euros.
Le milliard d’euros d’augmentation des recettes est constitué de 600 millions d’euros au titre de la progression de la masse salariale, plus dynamique que prévue, et de près de 400 millions d’euros au titre des contributions sociales sur la prime qui figure à l’article 1er.
La baisse des dépenses de 400 millions d’euros est due à la branche famille, en raison de la diminution des dépenses d’allocation logement, et, dans une moindre mesure, à la branche vieillesse, qui enregistre les premiers effets de la réforme des retraites, avec une baisse encore modeste des dépenses de pensions de droits directs. Cela justifie les décisions que nous avons prises antérieurement pour contribuer, à terme, à un meilleur équilibre des comptes de la branche vieillesse. Nous nous étions fixé comme horizon 2018 ou 2020 pour atteindre l’équilibre.
Pour les autres branches, les prévisions de l’automne dernier ne sont pas modifiées. L’objectif national de dépenses d'assurance maladie, fixé en décembre à 167, 1 milliards d’euros, sera respecté. Le comité d’alerte, réuni au mois d’avril et fin mai, a confirmé ces prévisions. Il n’y avait donc aucune raison que le Gouvernement révise des prévisions qui ne sont pas mises en cause.
Parmi les dispositions devant obligatoirement figurer dans cette loi de financement rectificative, je voudrais mentionner deux articles importants.
Tout d’abord, l’article 9 qui détermine les plafonds de ressources non permanentes auxquelles certains régimes de sécurité sociale peuvent recourir. Cet article vise à rectifier le montant du plafond applicable à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale en le fixant à 18 milliards d’euros. Dans la loi de financement initiale, ce plafond avait été fixé à 58 milliards d’ici à la fin mai 2011, puis à 20 milliards au-delà.
Selon l’exposé des motifs, l’amélioration de la situation financière du régime général permet la réduction de ce plafond. En réalité, celui-ci reste défini à un niveau particulièrement élevé et excessivement prudent, car le point bas de la trésorerie de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale pour la deuxième partie de l’année ne devrait pas dépasser 10, 2 milliards d’euros à la mi-juillet. Vous constaterez que le Gouvernement prend une marge de sécurité suffisamment confortable pour ne pas être confronté à des imprévus.
Ensuite, l’article 8 qui approuve les prévisions quadriennales rectifiées. Dans le document annexé au projet de loi, trois hypothèses, dont nous n’étions pas certains qu’elles se concrétisent, sont revues.
La progression de la masse salariale du secteur privé, au lieu de 2, 9 %, pourrait atteindre 3, 2 % en 2011, mais n’augmenterait que de 4, 2 % en 2012 au lieu de 4, 5 % dans les prévisions initiales.
L’inflation pour 2011 est également corrigée à la hausse à 1, 8 % au lieu de 1, 5 %.
Enfin, la croissance du PIB est légèrement revue à la baisse pour 2012, à 2, 25 % au lieu de 2, 5 %.
En dépit de ces quelques ajustements, les trajectoires de déficit ne sont pratiquement pas modifiées et le déficit du régime général se stabiliserait simplement, s’élevant encore à 17, 7 milliards d’euros en 2014, un montant relativement élevé.
L’accumulation d’une nouvelle dette sociale en résultera évidemment, ce qui n’est pas soutenable dans la durée. Cela nous amènera sans doute à faire, de nouveau, appel à la Caisse d’amortissement de la dette sociale pour prendre en charge le déficit cumulé que nous aurons constaté à la fin de cette période quadriennale.
J’en viens maintenant à la prime créée par l’article 1er du projet de loi.
Cette mesure trouve son origine dans le rapport commandé par le Président de la République à Jean-Philippe Cotis, le directeur général de l’INSEE, sur le partage de la valeur ajoutée, le partage des profits et les écarts de rémunérations.
Le rapport rendu public en mai 2009 indique tout d’abord que la part de la rémunération des salariés dans la répartition de la valeur ajoutée en France est restée relativement stable, autour de 65 % depuis la deuxième moitié des années quatre-vingt, avec toutefois de fortes disparités selon la taille et le secteur des entreprises. Elle s’élève ainsi à 67 % dans les petites et moyennes entreprises, contre 56 % dans les entreprises de plus de 5 000 salariés. Et, si elle atteint 81 % dans la construction, ce niveau n’est que de 62 % dans l’industrie.
Le rapport indique également que le choix d’une protection sociale de haut niveau explique en grande partie la progression « extrêmement faible » des salaires nets depuis le début des années quatre-vingt-dix. Sur longue période, la masse salariale a évolué pratiquement au même rythme que l’activité, mais la part d’activité perçue par les 1 % de salariés les mieux rémunérés est, elle, passée de 5, 5 % à 6, 5 % entre 1996 et 2006. Selon le rapport, « Ceci a contribué au sentiment de déclassement relatif du salarié médian, progressivement rejoint par le bas de l’échelle et fortement distancé par l’extrémité haute de cette même échelle ».
Le rapport analyse enfin la suggestion, souvent avancée, d’une répartition égale des bénéfices entre les entreprises, pour la réalisation de nouveaux investissements, les actionnaires, à travers la distribution de dividendes, et les salariés, au titre de l’intéressement et de la participation.
Il conclut qu’elle paraît difficile à mettre en œuvre. Elle est en effet loin de correspondre à la situation actuelle, puisque la proportion est estimée à 57 % pour l’investissement, 36 % pour les actionnaires et 7 % seulement pour les salariés. J’ajouterai, en aparté, exception faite pour Serge Dassault, qui, dans son entreprise, procède à une répartition sur la base de ces trois tiers !
On observe néanmoins, il est vrai, que la part des dividendes distribués a quasiment doublé depuis dix ans et, sur la période récente, cette progression a, semble-t-il, été accompagnée d’une baisse de la part des investissements autofinancés.
Les partenaires sociaux ont été invités à se saisir de cette question de la répartition de la valeur ajoutée. Ils l’ont inscrite à leur ordre du jour dès le mois de juin 2009. Elle n’a toutefois pas encore reçu de réponse et, depuis, son champ a été limité aux modalités d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel sur la création et le partage de la valeur ajoutée.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la prime créée à l’article 1er. Elle a plusieurs caractéristiques.
Elle s’imposera lorsqu’une société aura attribué à ses associés ou actionnaires des dividendes en augmentation par rapport à la moyenne de ceux qui sont versés au cours des deux exercices précédents. C’est l’élément de déclenchement de la distribution de la prime.
Elle sera obligatoire pour les entreprises de plus de cinquante salariés et facultative sous ce seuil.
Elle s’appliquera dans les groupes, et toutes les entités du groupe devront attribuer une prime si les dividendes augmentent dans la société de tête.
Elle devra bénéficier à l’ensemble des salariés des entreprises concernées, mais pourra, comme la participation, être modulée en fonction du montant des salaires ou de l’ancienneté.
Le dispositif sera négocié dans chaque entreprise ; en cas d’impossibilité de conclure un accord, la prime pourra être attribuée par décision unilatérale de l’employeur.
Elle ne pourra se substituer à aucune augmentation de rémunération prévue par ailleurs.
Son régime social est aligné sur celui de l’intéressement et de la participation : sous un plafond de 1 200 euros, dont j’ai fait état au début de mon propos, elle sera exonérée de cotisations patronales et salariales de sécurité sociale, mais assujettie à la CSG au taux de 7, 5 %, à la CRDS au taux de 0, 5 %, et au forfait social au taux de 6 %. Par ailleurs, comme l’intéressement et la participation, l’exonération dont la prime bénéficiera ne sera pas compensée aux organismes de sécurité sociale, ce qui est bien dommage !
Enfin, ce dispositif est conçu comme une mesure pérenne qui s’appliquera pour toute attribution de dividendes décidée à compter du 1er janvier 2011.
Une « clause de rendez-vous » est prévue pour permettre d’éventuelles adaptations législatives au regard de son application. Par ailleurs, si la négociation interprofessionnelle aboutit, une nouvelle loi pourra modifier le dispositif de la prime.
Monsieur le ministre, je pense qu’il sera effectivement nécessaire de fixer un rendez-vous pour savoir comment les entreprises appliquent cette disposition. Il ne faudrait pas que certaines d’entre elles refusent de procéder à des augmentations de salaires. Il suffirait qu’elles provoquent une légère augmentation des dividendes et se servent de la prime pour éviter de payer des cotisations sociales patronales supplémentaires. Et le tour est joué ! Mais ce serait autant de recettes en moins pour la sécurité sociale et, si les effets ne se feraient pas sentir immédiatement, ils auraient des conséquences sur le moyen ou le long terme.
Selon l’étude d’impact annexée au présent projet de loi, le versement de la prime pourrait concerner 4 millions de salariés ; ceux-ci recevraient en moyenne 700 euros.