En défendant cette motion tendant à opposer la question préalable, nos collègues du groupe socialiste posent avec raison la question du pouvoir d’achat.
D’aucuns, du côté du Gouvernement et de la majorité, voudraient nous faire croire que cette prime est une réponse satisfaisante. Nous ne le croyons pas : c’est tous les jours, sur la durée, et non pas une seule fois par an, que les salariés de notre pays se demandent comment boucler leurs fins de mois, comment, à la veille de leurs congés, réparer leur voiture, aller chez le dentiste ou bien prendre quelques vacances.
De nombreux économistes, pas tous de gauche, ont fait savoir que cette prime aurait pour effet d’entraîner si ce n’est un gel des salaires, du moins une augmentation des plus modérées. Les employeurs, n’ayant pas obligation de parvenir à un accord, pourraient être tentés de minorer les attentes sociales en prenant prétexte du versement de cette prime.
Ce type de mesure n’est d’ailleurs pas une nouveauté. Chaque fois que nos concitoyens ont nettement exprimé leurs aspirations à un renforcement de leur pouvoir d’achat, vous avez proposé la création d’une prime. Vous l’aviez fait en 2008, et votre majorité avait déjà expérimenté cette solution en 2006. Denis Clerc, économiste et expert des questions de pauvreté, estime que peu de sociétés ont utilisé le dispositif à l’époque, puisque seulement un peu plus d’un million de salariés en ont bénéficié, contre les 9 millions potentiellement concernés.
On est donc loin du renforcement généralisé du pouvoir d’achat de tous les salariés, et encore plus loin du partage équitable des richesses. Pourtant, en 2009, les sociétés françaises ont, en effet, redistribué plus de 60 % de leurs profits nets, soit sous forme de dividendes aux actionnaires, soit sous forme de jetons de présence ou de bonus aux gérants non salariés. Ce sont ainsi 236 milliards d’euros qui sont allés à la rémunération du capital. Des sommes astronomiques !
Avec l’ensemble des organisations syndicales, qui ont toutes refusé cette prime, nous pensons que la priorité est à l’augmentation générale des salaires, ce qui est, nous en convenons, en totale opposition avec le pacte pour l’euro, dont l’objectif est de faire converger les compétitivités entre pays européens, autrement dit, tirer les salaires et les pensions vers le bas et réduire le niveau de protection sociale !
Si les salaires n’ont, à ce jour, pas diminué, le ratio du partage des richesses produites entre le travail et le capital s’est détérioré au détriment des salariés. En 1982, la part des revenus de la propriété était de 66, 4 %. Elle n’a cessé de croître, jusqu’à atteindre 115, 8 % en 2008. Les salaires, eux, n’ont pas crû dans la même proportion.
En revanche, ce qui a explosé durant la même période, c’est la précarisation du salariat. Selon le rapport Cotis, demandé par Nicolas Sarkozy, la part des contrats atypiques, c’est-à-dire dérogatoires par rapport au contrat à durée indéterminée, est passée de 5, 4 % en 1982 à 12, 1 % en 2006. Cela fait dire à un collectif de jeunes économistes, « Ecolinks », que le risque économique a changé de camp. Selon ce collectif, « la précarisation du marché du travail a permis un transfert de risque des entreprises vers les salariés ».
Et que dire des salariées, des femmes, qui, elles, sont encore bien plus touchées par ces discriminations ?
Or, en indexant cette prime sur le versement des dividendes, vous poursuivez l’assimilation des salariés aux actionnaires. Cela n’est naturellement pas souhaitable, dans la mesure où les intérêts des uns sont contradictoires avec ceux des autres.
C’est pourquoi nous considérons, pour notre part, que le débat ne doit pas se ramener à la question d’un partage exceptionnel des dividendes entre actionnaires et salariés, mais bel et bien s’ouvrir sur un partage à long terme des bénéfices entre ces mêmes catégories et en faisant du salaire le lieu de résolution du conflit capital-travail.
Nous formulerons, d’ailleurs, quelques propositions en la matière telles que la réunion d’une conférence nationale des salaires, l’instauration d’un mécanisme liant les évolutions des salaires des grands dirigeants à celles des salariés, ou enfin, pour remédier à cette inversion du poids du risque, l’instauration d’une modulation du taux de cotisations sociales en fonction de la politique salariale des entreprises.
Mais, pour l’heure, nous voterons cette motion.