Intervention de Anne-Marie Payet

Réunion du 23 juillet 2008 à 15h00
Modernisation de l'économie — Adoption définitive des conclusions modifiées du rapport d'une commission mixte paritaire

Photo de Anne-Marie PayetAnne-Marie Payet :

Au cours des débats au Sénat, nous avons eu l’occasion de souligner à maintes reprises que, sur certaines problématiques, la réflexion n’avait pas encore abouti.

J’en viens aux dispositions relatives aux départements d’outre-mer. J’ai déjà rappelé, au cours de la discussion générale, que dans les DOM, contrairement à ce qui se passe en métropole, les économies sont en phase directe avec la concurrence des pays moyennement avancés, où les prix de production sont extraordinairement inférieurs à ceux des DOM et où les normes inexistantes faussent totalement la concurrence. À cela s’ajoute la distance par rapport à la métropole et aux marchés importants.

Pour toutes ces raisons, j’avais souligné combien il était important d’adapter ce projet de loi aux spécificités des DOM. Certes, l’adaptation des délais de paiement, qui permet de faire courir le délai à partir de la réception des marchandises, a été maintenue. En revanche, aucune des lacunes que j’avais listées n’a été comblée, les amendements que j’avais déposés en ce sens ayant été refusés.

Je citerai, à titre d’exemple, l’adaptation du au tissu économique des DOM ou le FISAC, qui ne fonctionne pas dans les DOM, ce qui est d’autant plus dommageable que ses prérogatives ont été élargies. De même, mon souhait de voir l’Autorité de la concurrence et Oséo présents ou, du moins, représentés par les services déconcentrés de l’État dans les DOM n’a pas été pris en compte. Sur tous ces sujets, il n’y a eu aucune avancée.

Je ne reviendrai pas dans le détail sur les dispositions adoptées par la CMP, que mon collègue Claude Biwer a très clairement exposées. Mais je regrette particulièrement que ce texte, qui apporte des réponses concrètes à un grand nombre de besoins cruciaux de notre économie, ait perdu en commission mixte paritaire une partie du supplément d’âme que nous lui avions donnée.

Nous avions, mes chers collègues, prévu de mettre fin à une situation anachronique en étendant aux départements d’outre-mer le monopole de vente au détail du tabac appliqué en France métropolitaine.

Le Sénat avait adopté une première fois cette disposition éthique et de bon sens lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2008. Déjà, la CMP était revenue sur cette initiative. II va falloir y revenir à nouveau, mais sans doute avec plus de succès, je le dis en toute confiance, car la nécessité irrésistible s’affirme d’aligner dans ce domaine le régime des DOM sur celui de la France métropolitaine.

J’en veux pour preuve le fait que personne n’a formulé d’objection à l’adoption de l’interdiction de vendre le tabac en distributeur automatique dans les DOM. Chacun a compris que cette interdiction, déjà appliquée en métropole; vise à protéger les jeunes contre le tabagisme.

Or il n’échappe à personne que l’argument de la lutte contre le tabagisme des mineurs est tout aussi valable en faveur de l’extension aux DOM du monopole de la vente au détail. L’objectif de l’extension du monopole est, en effet, de limiter le nombre des points de vente dans les DOM, de rendre plus difficile l’accès au paquet de cigarettes. II s’agit de faire en sorte que les jeunes aient à se présenter dans un débit spécialisé pour acheter leur premier paquet de cigarettes. Il faut que ce geste soit un peu plus compliqué, plus grave, plus dissuasif que ce n’est le cas à l’heure actuelle.

En outre, si je me réfère à l’interdiction de la vente de tabac aux mineurs de moins de seize ans déjà en vigueur, il importe que l’interdiction soit respectée dans les DOM comme en métropole, ce qui exige que l’on cesse de distribuer le tabac n’importe où et sans contrôle. Il est clair que le contrôle que l’on peut exiger d’un buraliste sensibilisé au respect de la réglementation de la vente du tabac ne peut être attendu de la part des petits commerçants de proximité qui débitent le tabac parmi bien d’autres produits ; ce serait illusoire !

Une dynamique irrésistible conduit donc à l’application dans les DOM du monopole de la vente du tabac au détail.

Je sais bien que le monopole n’a pas été créé dans un but de santé publique ; je crois vous avoir entendu déployer cet argument en séance, madame la ministre. Je sais aussi que, dans la logique initiale de ce système, conçu pour assurer l’exploitation rationnelle d’un excellent gisement fiscal, l’objectif du ministère des finances est de mettre le tabac à la portée de tous en multipliant les points de vente autorisés. Nous sommes manifestement sortis de cette logique, et le fait que le monopole devienne peu à peu un instrument de la politique de santé publique ne surprend que les intégristes du prélèvement fiscal. Alors, pourquoi retarder l’échéance ?

Il faut préserver le petit commerce de proximité, me dit-on. Bien sûr, mais à quel prix pour la santé ? J’ai rappelé, dans mon intervention en première lecture, qu’à La Réunion le tabac représente la première cause de mortalité par cancer. Alors, ne faut-il pas protéger la jeunesse contre l’encouragement à l’addiction que représente la facilité d’accès au tabac ? Ne faut-il pas la protéger non seulement en interdisant la vente aux mineurs, mais aussi en installant dans les DOM les conditions du respect de cette interdiction ?

On me dit encore qu’il faut étudier les répercussions de l’extension du monopole sur l’économie locale et sur les finances des conseils généraux, qui perçoivent le produit du droit de consommation sur les tabacs manufacturés.

Une mission de la Direction générale des douanes et droits indirects a été dépêchée à cet effet dans les DOM ; un rapport sera remis à la fin de l’été. Fort bien ! Mais en quoi cela justifie-t-il la suppression d’une mesure législative que nous savons inéluctable et dont nous avions prévu qu’elle ne prendrait effet que dix-huit mois après l’entrée en vigueur de la loi ? Ce délai me semblait très suffisant pour mettre en œuvre les mesures d’accompagnement nécessaires, et la mission de la Direction générale des douanes et droits indirects a sans nul doute identifié ces mesures.

La seconde disposition adoptée par le Sénat sur ma proposition et abandonnée par la CMP est l’interdiction de la vente du tabac en exonération de droits et taxes dans les comptoirs de vente d’aéroports entre la France métropolitaine et les départements d’outre-mer. Là, les choses se présentent de façon à la fois plus simple et plus compliquée.

Elles sont plus simples, car je n’imagine pas que cette suppression, limitée aux mouvements de voyageurs entre la métropole et les DOM, puisse mettre en grand danger le commerce des duty free.

Elles sont aussi plus compliquées, car l’Europe intervient dans ce dossier avec une règlementation aux termes de laquelle les DOM ne sont pas considérés comme partie du territoire de la Communauté européenne du point de vue de la politique fiscale commune. Dans ces conditions, le transport de marchandises entre la métropole et les DOM est considéré comme une exportation, et les produits vendus dans les comptoirs d’aéroports sont exonérés de droits et taxes dans des limites précisées par une directive. Il s’agit, en l’occurrence, d’une cartouche de cigarettes par personne. En fait, si le passager veut acheter une deuxième cartouche, personne ne s’y oppose ; j’ai pu le constater.

Sans entrer dans ces considérations, l’amendement que vous aviez adopté, mes chers collègues, se bornait à considérer comme effectuée à un prix de nature promotionnelle contraire aux objectifs de santé publique la vente de tabac en franchise de droits et taxes dans les comptoirs de vente des aéroports entre la France métropolitaine et un département d’outre-mer.

Dans la mesure où l’article 38 de la loi relative à la politique de santé publique interdit la vente d’un produit du tabac à un prix promotionnel, l’obstacle représenté par la réglementation douanière communautaire était réglé de la façon la plus simple. Et je n’ai pas entendu de critique juridique contre cette solution.

Il nous faut abandonner cette démarche, mais tentons quand même d’avancer, madame la ministre. La directive 2007-74 doit être transposée d’ici au 1er décembre 2008. Elle prévoit la possibilité de ramener la franchise à quarante cigarettes par voyageur. Je serai très attentive, madame la ministre – nous serons très attentifs, j’espère, mes chers collègues – à ce que ce seuil soit retenu. En effet, s’il ne nous est pas possible de corriger aujourd’hui pour les transports de voyageurs entre la France métropolitaine et les DOM un volet du régime de franchise tout à fait discutable du point de vue de la santé publique, nous devrons nous y prendre autrement pour aboutir à un résultat à peu près satisfaisant du même point de vue.

Pour conclure, madame la ministre, la spécificité juridique des DOM a sa raison d’être quand elle corrige les handicaps entravant le développement harmonieux de ces parties du territoire national. En revanche, cette spécificité constitue un anachronisme quand elle déroge au droit commun de la République française pour perpétuer une situation néfaste.

C’est pourquoi je voterai contre ce projet de loi.

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