Intervention de Robert Bret

Réunion du 17 juin 2008 à 10h00
Conseil européen des 19 et 20 juin 2008 et présidence française de l'union européenne — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Robert BretRobert Bret :

Ce traité accentue encore ce travers !

La proposition de directive dite « retour » a été dernièrement modifiée et adoptée par le Comité des représentants permanents le jeudi 22 mai 2008. Cette dernière version, qui sera soumise au vote du Parlement européen le 18 juin prochain, est extrêmement alarmante.

En effet, alors que demeurent les trois points majeurs qui posaient problème, à savoir la durée de détention pouvant atteindre dix-huit mois, la détention des mineurs accompagnés et l’interdiction de revenir sur le territoire de l’Union européenne pendant cinq ans, des dispositions nouvelles apparaissent dans le texte, qui prévoit désormais la détention et l’éloignement des mineurs isolés, le renvoi des migrants illégaux dans leur pays d’origine, mais aussi vers un pays de transit, même s’ils n’ont aucun lien avec ce dernier, une réduction drastique des possibilités de départ volontaire, le délai précédant un départ volontaire pouvant être réduit à sept jours, ainsi que l’absence d’obligation, pour les États membres, de fournir une aide juridique gratuite.

S’agissant de la mise en œuvre d’un partenariat avec les pays du Sud, la présidence française souhaite mener un processus de rapprochement entre l’Union européenne et ses voisins méditerranéens avec le lancement, le 13 juillet prochain, d’une Union pour la Méditerranée.

Nicolas Sarkozy, initiateur de ce projet, a été contraint de réviser à la baisse son ambition initiale, à la suite de la fronde de certains de ses partenaires européens. Ce projet consistera essentiellement à redynamiser un processus de Barcelone amorphe. Les vingt-sept États membres seront parties prenantes de ce partenariat, que le budget communautaire ne financera pas et qui, sur le fond, ne semble pas à la mesure des enjeux régionaux.

Ainsi, le conflit israélo-palestinien est crucial en Méditerranée et fragilise toute la région. Comment mettre en œuvre des projets ambitieux dans une zone aussi profondément déstabilisée ? Mon sentiment est que la résolution du conflit israélo-palestinien est un préalable à la réalisation des projets de coopération envisagés, qu’il s’agisse de la dépollution de la Méditerranée, du plan solaire ou de l’accès à l’eau…

La question du positionnement de l’Union européenne par rapport au conflit israélo-palestinien est centrale. Sans un engagement européen résolu sur le terrain politique, rien ne se résoudra sur le fond. L’attitude européenne sur cette question est peut-être le critère décisif du succès ou de l’échec de toute tentative de relance du partenariat euro-méditerranéen.

Or le projet de renforcement des liens entre l’Union européenne et Israël, tendant à conférer à Israël un statut de quasi-membre de l’Union européenne, ne peut que susciter notre vive réprobation.

Lancé en mars 2007, à la demande de la ministre des affaires étrangères israélienne Tzipi Livni, ce projet vise à aboutir à une révision à la hausse de l’accord d’association signé en 2000 qui définit le cadre de la coopération entre les deux partenaires. Israël ne demande rien de moins qu’une intégration renforcée dans le marché unique et les institutions européennes, avec la présence des ministres israéliens lors des Conseils européens, la participation d’experts israéliens à l’ensemble des programmes et des groupes de travail européens, qu’ils portent sur des questions de sécurité et de dialogue stratégique ou sur des questions relatives à l’économie, aux finances, à la jeunesse. Cela équivaudrait bien, monsieur le secrétaire d’État, à conférer à Israël un statut de quasi-membre de l’Union européenne.

Pour faire aboutir ce projet, des négociations se déroulent dans le plus grand secret, depuis maintenant un an, sans consultation ni information du Parlement européen et des parlements nationaux. Si ce projet se concrétisait, alors même qu’Israël continue de mener sa politique en toute impunité, au mépris des droits de l’homme et du droit international, cela remettrait gravement en cause la crédibilité de l’Union européenne et sa capacité à jouer un rôle politique actif dans la région. Cette politique du « deux poids, deux mesures » à laquelle est en train de céder l’Union européenne est inacceptable !

Quant au lancement de l’Union pour la Méditerranée, prévu le 13 juillet à Paris, il s’annonce des plus incertains. Plusieurs dirigeants arabes sont encore indécis et demandent des clarifications s’agissant de l’entrée d’Israël dans la future instance.

En ce qui concerne maintenant la consommation d’énergie, on estime qu’elle devrait croître de près de 52 %, à l’horizon de 2030, par rapport à ce qu’elle était en 2003. Selon les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie, les importations devront couvrir près de 70 % des besoins en énergie de l’Europe en 2030, contre 50 % actuellement. Cela pose notamment la question du développement de la production énergétique, ainsi que celle de la sécurité d’approvisionnement.

En ce domaine, la priorité a été donnée à l’ouverture à la concurrence, ainsi qu’au démantèlement des opérateurs historiques. Où en est-on ? Jusqu’à présent, la libéralisation des secteurs du gaz et de l’électricité par les directives européennes successives a surtout accéléré leur concentration entre les mains de quelques grands groupes et favorisé le remplacement des monopoles publics par des monopoles privés.

S’agissant des tarifs, le recours accru au marché spot ainsi que l’interdiction faite aux États membres de garantir des tarifs réglementés, considérés comme des barrières inadmissibles à l’accès aux marchés, ont engagé le cycle d’une hausse généralisée du coût de ce bien de première nécessité.

Nous voyons donc bien que les vertus conférées au marché libre ne sont pas réelles. Bien au contraire, la sécurité d’approvisionnement est menacée et le droit d’accès pour tous à l’énergie n’est pas garanti. Les auteurs du rapport de la mission commune d’information sénatoriale sur la sécurité d’approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver ont ainsi estimé que cette sécurité ne pouvait être obtenue sans maîtrise publique, notamment au regard de la situation géopolitique internationale et du contexte d’épuisement des ressources.

À cet égard, si nous sommes satisfaits de la décision de l’Union d’engager des négociations avec Moscou sur un nouvel accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et la Russie, nous pensons malgré tout qu’il ne s’agit pas d’une solution suffisante pour garantir la sécurité d’approvisionnement.

Sur le fond, nous souhaitons la mise en œuvre d’une politique européenne de l’énergie, fondée sur la coopération entre États membres et la reconnaissance d’un véritable service public assurant sécurité d’approvisionnement, égalité d’accès pour tous à l’énergie et respect des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’augmentation de la demande d’énergie, l’envol des prix pétroliers et le réchauffement planétaire confirment également l’urgence de développer les énergies renouvelables et de respecter les engagements que nous avons pris au travers du protocole de Kyoto.

Si nous approuvons les objectifs ambitieux inscrits dans le nouveau paquet « énergie-climat », à savoir une réduction de 20 % des émissions de CO2 d’ici à 2020 par rapport à leur niveau de 1990 et la production d’un minimum de 20 % de notre énergie à partir de sources renouvelables, les biocarburants devant représenter au moins 10 % du total, nous estimons que la question fondamentale est celle du système de production et de son organisation. Le développement du recours à des sources d’énergie propres permettant de répondre aux besoins et la reconnaissance de la place spécifique du nucléaire dans notre bouquet énergétique nous paraissent primordiaux.

Cela étant, le recours massif aux biocarburants, bien qu’il ait indéniablement des effets positifs, notamment au regard du réchauffement climatique, est de plus en plus fortement contesté. En effet, plus les surfaces cultivées sont réaffectées à des cultures vouées à la production de bioéthanol ou de carburant pour voitures propres, plus les récoltes de plantes nourricières se trouvent réduites et plus les prix des denrées augmentent, du fait de leur rareté.

Aussi me paraît-il opportun, comme l’a préconisé Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, d’imposer un moratoire, c’est-à-dire une suspension pendant cinq ans de toutes les opérations destinées à produire du biocarburant à partir de denrées alimentaires, afin d’évaluer les conséquences de cette production sur l’exercice du droit à l’alimentation ainsi que sur les autres droits sociaux et environnementaux.

En ce qui concerne la PAC, si nous reconnaissons l’importance de cette politique, nous savons également qu’elle engendre des effets pervers, comme en témoigne la situation française : les grandes exploitations sont favorisées, au détriment des petites et moyennes. Quant à l’agriculture des pays du tiers monde, elle est affectée par le maintien des aides à l’exportation.

L’actualité dramatique nous rappelle toutefois que l’alimentation reste un enjeu vital, un secteur que l’on ne peut abandonner aux lois du marché. Alors que le sommet mondial sur la sécurité alimentaire de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture s’est achevé le 5 juin dernier à Rome, aucun consensus n’a émergé à propos des mesures à prendre pour compenser l’effet de la flambée des prix du maïs, du riz et du blé, dont personne n’avait prévu la pénurie.

Ce fut, il est vrai, l’occasion de beaux discours. Les pays se sont entendus sur des promesses de dons pour plus de 6 milliards de dollars, mais n’ont pris aucune résolution sur le plan structurel. Rien n’a été décidé, monsieur le secrétaire d'État, car il n’y a aucune coordination à l’échelle mondiale. Seulement 4 % de l’aide publique mondiale et 1 % des prêts de la Banque mondiale sont affectés à la sécurité alimentaire !

Aussi sommes-nous favorables à la mise en place d’une organisation mondiale de l’agriculture. Il est, en effet, impérieux de répartir la production agricole et de lutter contre la pauvreté dans les pays en développement. Une organisation mondiale de l’agriculture pourrait réguler les prix agricoles, extrêmement volatils d’une année à l’autre, et éviter la spéculation qui affecte déjà les prix de l’énergie. L’agriculture doit réellement être gérée à l’échelon mondial. Les États doivent cesser de mener des politiques égoïstes dans ce domaine.

S’agissant de la défense européenne, à la veille de la présidence française de l’Union européenne, la réintégration annoncée de notre pays dans les structures de commandement militaire de l’OTAN laisse peu de crédibilité à l’idée d’une Europe de la défense réellement autonome.

Cela éclaire les positions que nous avions déjà défendues lors de la ratification du traité de Lisbonne, quand nous vous avions interpellés ici même, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, sur le risque de subordination de la politique européenne de défense à l’OTAN. Nous l’avions dit alors, pour définir une politique de sécurité et de défense commune digne de ce nom, il serait grand temps de lever toute ambiguïté concernant la position de l’Union européenne à l’égard de l’OTAN.

Or le traité de Lisbonne, comme les textes précédents, dit une chose et son contraire au travers de formules alambiquées, met en avant la défense européenne tout en proclamant une nécessaire compatibilité avec l’OTAN. On ne peut que déplorer le manque d’ambition de l’Europe en matière d’autonomie politique et craindre la perte de notre image d’indépendance dans le monde.

Ces orientations sont malheureusement confirmées par les conclusions du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale qui sont présentées aujourd’hui même par le Président de la République aux cadres militaires.

Il faudrait donc concevoir autrement la sécurité, en s’attaquant, par exemple, aux causes des tensions et des conflits.

Ainsi, le pillage des ressources naturelles, qui a pris une dimension systématique dans le cadre de la mondialisation, s’est fortement accéléré lors de cette dernière décennie. Les conflits pour leur appropriation s’exacerbent. Contrairement aux apparences, ils ne constituent pas des conflits locaux entre pays du Sud, mais sont souvent étroitement liés aux pays du Nord ou encore à des pays émergents, comme la Chine. L’Europe, directement concernée, se doit d’agir, monsieur le secrétaire d'État. Il y a urgence à mettre en place d’autres rapports avec les pays du Sud pour aller dans le sens d’un développement qui soit durable, renouvelable sur le plan écologique, générateur de progrès social et de développement humain.

En conclusion, le résultat du référendum irlandais atteste, une nouvelle fois, que lorsque les peuples en ont la possibilité, ils refusent l’actuelle construction européenne, celle que l’on veut leur imposer.

L’Europe, monsieur le secrétaire d'État, sera celle des peuples ou ne sera pas. Le message adressé par les Irlandais, après celui des Français et des Néerlandais en 2005, doit être pris en considération de manière urgente. C’est un appel pressant pour que l’Europe devienne enfin un espace de progrès social et de solidarité, un espace promoteur de paix et de sécurité.

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