Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 17 juin 2008 à 10h00
Conseil européen des 19 et 20 juin 2008 et présidence française de l'union européenne — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le secrétaire d’État, alors que la France s’apprête à présider l’Union européenne – vaste chantier ! –, je souhaite vous interpeller sur un seul point, à savoir la directive, validée le 5 juin par les vingt-sept ministres de l’intérieur de l’Union, qui doit être discutée le 18 juin prochain au Parlement européen.

Ce texte, dit « directive “retour” », vise à instaurer des règles communes en matière de traitement des étrangers en situation irrégulière, quels que soient leur situation spécifique, leur temps de séjour, leur situation de travail, leurs liens familiaux, leur volonté d’intégration ou leur succès dans ce processus.

Cette directive doit permettre, dans certains États de l’Union européenne, de garantir des droits à des personnes qui en étaient dépourvues. Vous m’autoriserez cependant à considérer que, au contraire, elle marque un durcissement supplémentaire des conditions de détention et d’expulsion des migrants sans papiers.

Non seulement ils seront tous « éloignés », selon les termes si politiquement corrects de ce texte qui masquent toute la violence que génère une expulsion, mais on prévoit de surcroît la possibilité de les enfermer pour une durée pouvant atteindre dix-huit mois, avant de les expulser vers leur pays d’origine.

En outre, ce texte met en place une systématisation de l’interdiction du territoire de l’Union pendant cinq ans pour les personnes expulsées, ce qui revient à les exclure et à les criminaliser, en créant, dans le champ juridique européen, une procédure de bannissement.

Cette directive « retour » prévoit également la détention et l’éloignement des personnes vulnérables – notamment les femmes enceintes, les personnes âgées, les victimes de tortures, les malades – et des mineurs, qu’ils soient ou non accompagnés, au mépris de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Ces étrangers en situation irrégulière se verront renvoyés vers des pays par lesquels ils n’ont fait que transiter, sans avoir de lien réel avec ceux-ci.

Plus grave encore, le texte permet la détention et l’expulsion forcée des mineurs isolés vers un pays tiers, où ils n’ont ni famille ni tuteur légal.

Enfin, le texte prévoit la suppression de l’obligation pour les États de fournir l’aide juridictionnelle gratuite, obligatoire au nom du droit à la défense.

Ainsi, les dispositions de cette directive « retour » placent les étrangers en situation irrégulière sous un régime d’exception. Elles violent un certain nombre de droits et principes posés par de grandes conventions internationales dont la France est signataire, notamment le droit pour tous de chercher asile et protection.

On nous dit que ce texte est le fruit d’un compromis, qui fut long à obtenir, entre les vingt-sept États membres de l’Union, offrant de nouvelles garanties et des droits à des personnes qui étaient l’objet de normes arbitraires dans certains États.

Cependant, est-ce une raison suffisante pour accepter la généralisation de procédures d’enfermement, de bannissement et d’expulsion des personnes sans papiers dans toute l’Union européenne ? Nous craignons que cette directive ne devienne la norme européenne sur laquelle vont être tentés de s’aligner tous les pays.

Nous savons tous que l’on ne se résout jamais à l’exil de bon cœur. Pour survivre et faire vivre leur famille, ces hommes et ces femmes ont souvent été obligés de quitter leur pays et leur famille pour fuir la misère, les déficits économiques qui vont souvent de pair avec les déficits démocratiques…

En Europe, nous sommes conscients que les migrants contribuent à la prospérité et la richesse de nos pays. Ils sont employés dans le bâtiment, dans les services aux personnes, dans les hôpitaux, dans les restaurants, acceptent des places que ne peuvent pas ou ne veulent pas occuper nos concitoyens. Ils paient des impôts et participent au financement des retraites et des caisses sociales, dont les prestations ne leur sont que très rarement accessibles, en raison de leur séjour irrégulier. Ils contribuent également au dynamisme démographique de notre société, qui connaît un vieillissement certain. Ils aident à maintenir la relation entre les actifs et les inactifs, garante de la cohésion sociale, et participent au dynamisme du marché interne européen par leur consommation.

Alors soyons honnêtes et reconnaissons que les migrants sont une chance pour l’avenir de l’Union face aux défis démographiques et financiers que celle-ci doit relever. Toutes les études nous le confirment.

Or, depuis plusieurs années, l’Union européenne adopte des politiques toujours plus fermes et plus répressives en matière d’immigration et d’asile. Pourquoi ? Pour susciter des peurs et trouver des boucs émissaires eu égard à notre incapacité à répondre aux problèmes de notre société ?

Ce projet de directive préfigure l’installation d’un modèle européen criminalisant les étrangers sans papiers et les demandeurs d’asile, et organisant leur enfermement généralisé, ce qui risque d’engendrer de nouveaux malheurs dont l’Europe portera la responsabilité.

Tout cela est à l’opposé de l’image que l’Union européenne tente d’exporter à l’étranger : celle d’un continent phare éclairant le monde de ses droits et de ses libertés fondamentales et accueillant les victimes.

Il y va donc non seulement de la vie de milliers de migrants, qui se trouvent humiliés et criminalisés, parfois persécutés à leur retour au pays, mais également de l’image de l’Union européenne à travers le monde. Alors qu’elle incarne un certain idéal, il est tout à fait regrettable que l’on se contente, en matière de politique d’immigration et d’asile, d’un dispositif répressif et rétrograde, en complète contradiction avec nos principes fondateurs.

Pour finir, je tiens à citer des propos tenus à Paris par M. Nicolas Sarkozy le 18 mars 2007, au cours de sa campagne électorale : « Je veux être le Président d’une France qui se sente solidaire de tous les proscrits, de tous les enfants qui souffrent, de toutes les femmes martyrisées, de tous ceux qui sont menacés de mort par les dictatures et par les fanatismes [...]. Je ne passerai jamais sous silence les atteintes aux droits de l’homme au nom de nos intérêts économiques. Je défendrai les droits de l’homme partout où ils sont méconnus ou menacés [...]. »

Je prends donc acte de ces mots, en espérant que M. le Président de la République s’en souviendra et qu’il s’opposera avec force et vigueur à cette directive « retour », surnommée à juste titre « directive de la honte ».

Permettez-moi, mes chers collègues, de vous rappeler que les droits fondamentaux sont universels. Leur application ne peut donc pas s’arrêter aux frontières de l’Europe, ni ne concerner que les seuls citoyens européens !

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