Intervention de François Fillon

Réunion du 17 juin 2008 à 16h00
Modernisation des institutions de la ve république — Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

François Fillon, Premier ministre :

Les mesures proposées par le Gouvernement visent à étendre le champ de l’intervention parlementaire ; elles apportent des précisions importantes à la définition des prérogatives présidentielles ; elles défendent l’individu et le citoyen.

Elles vont, si vous les adoptez, profondément transformer vos modes de travail comme ceux du Gouvernement.

Elles reconnaissent au Parlement la liberté de fixer son ordre du jour, qui est arrêté par la conférence des présidents. Ce sera l’une des mesures emblématiques de son émancipation. Les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale conserveront naturellement le régime spécifique que leur originalité réclame. Je tiens à le souligner, la règle que nous proposons est en œuvre dans toutes les grandes démocraties du monde, où les Parlements maîtrisent leur ordre du jour.

L’autre mesure qui symbolise cette émancipation sera l’encadrement du recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Si vous adoptez la proposition du Gouvernement, l’usage de cet article sera désormais restreint aux lois de finances et à un seul autre texte par session.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je m’arrête quelques instants sur les craintes relatives à l’encadrement du recours à l’article 49, alinéa 3, exprimées par certains d’entre vous, que je vais m’efforcer de rassurer.

Une telle disposition ne prive pas le Gouvernement de sa capacité de gouverner. Un retour sur l’histoire montre d’ailleurs que l’usage de l’article 49, alinéa 3, s’est progressivement dévoyé. Conçu au départ comme un instrument à usage exceptionnel pour encadrer une majorité réfractaire, il s’est progressivement imposé comme un outil de lutte contre l’obstruction parlementaire.

Aujourd’hui, il nous faut tirer toutes les conséquences de l’instauration du quinquennat, qui conforte le fait majoritaire et présidentiel.

Quant à l’obstruction parlementaire, c’est un problème dont doivent traiter les règlements de chacune des assemblées. Le président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, a dessiné plusieurs pistes dans cette perspective, et je ne doute pas que le Sénat puisse en faire de même.

La qualité du travail législatif sera confortée par la pleine reconnaissance du rôle des commissions, dont le nombre pourra être porté à huit. Des champs de compétence mieux délimités et des effectifs plus réduits rendront leur travail plus efficace. Le texte débattu en séance publique sera désormais le leur.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il s'agit d’une innovation majeure qui étend votre responsabilité législative bien au-delà du droit d’amendement et contraint le Gouvernement à s’impliquer avec davantage de courage et de précision dans la défense de ses propres rédactions.

Un même souci de qualité justifie de prévoir un allongement du délai d’examen des textes. L’assurance d’un examen scrupuleux en garantira la rigueur et l’autorité.

Nous avons eu il y a quelques semaines, au sujet de l’Afghanistan, un débat dont nous devions tenir compte : le projet de révision constitutionnelle prévoit que le Gouvernement sera tenu d’informer dans les trois jours le Parlement de tout engagement des troupes françaises sur un théâtre d’opérations extérieur. Une autorisation parlementaire sera dorénavant nécessaire pour prolonger leur présence à l’étranger au-delà de quatre mois.

Le Gouvernement a accueilli avec intérêt une proposition qui l’oblige à assortir chaque projet de loi d’une étude d’impact poussée. J’y suis favorable, comme à toute mesure qui porte en elle un principe de maturité. L’évaluation fait déjà partie des pratiques que mon gouvernement défend : elle sera systématisée et approfondie. Votre propre rôle dans l’évaluation des politiques publiques, mesdames, messieurs les sénateurs, sera conforté, un quart de l’ordre du jour étant réservé à cette tâche.

Mesdames, messieurs les sénateurs, des points très significatifs ont émergé des travaux de l’Assemblée nationale, et je ne doute pas que le Sénat participera également à l’enrichissement de notre projet.

Ainsi ont été adoptés à l’Assemblée nationale cent sept amendements, dont une vingtaine provenait de l’opposition.

Parmi les accords importants figurent le référendum d’initiative populaire ou encore l’octroi aux commissions chargées des nominations d’un droit de veto à la majorité qualifiée. Une culture de la responsabilité publique se met en place en France ; ce texte la déploie. L’un des amendements adoptés à l’Assemblée nationale crée ainsi la possibilité spécifique de voter des lois de programmation pluriannuelles engageant les finances publiques sur des trajectoires budgétaires vertueuses.

L’origine parlementaire de cette disposition très importante doit encourager le Sénat. Quoi qu’il en soit, elle prouve l’ouverture réelle du Gouvernement aux acquis de vos débats.

Sur l’article 88-5, l’Assemblée nationale a marqué sa volonté d’inscrire dans la Constitution une consultation automatique du peuple français pour les élargissements les plus significatifs de l’Union européenne.

Cette volonté rejoint l’orientation profonde que le Président de la République a déjà exprimée. Faut-il pour autant inscrire cet engagement dans notre texte constitutionnel ? Je sais que, sur ce point, beaucoup d’entre vous ne partagent pas cet avis. J’ai eu l’occasion de m’exprimer à titre personnel sur cette question et mon sentiment se rapproche du vôtre.

Je crois qu’il faut, au surplus, que nous intégrions dans notre réflexion l’outil nouveau que constitue le référendum d’initiative populaire, proposé par l’Assemblée nationale. Nous attendons des jours prochains une réflexion ouverte sur l’article 88-5. Sur ce point délicat, le Gouvernement sera à l’écoute de tous.

Parce que le succès du dialogue parlementaire dépend des garanties accordées à l’opposition, le Gouvernement se déclare prêt à lever les obstacles constitutionnels qui interdisaient jusqu’à présent l’octroi de droits particuliers aux partis non majoritaires. Il table ici sur votre confiance et sur votre sens de l’intérêt commun. La fixation de l’ordre du jour, une fois par mois, en sera le premier test.

Mais le rééquilibrage souhaité ne repose pas seulement sur cette redynamisation de la vie parlementaire. Le Président de la République a voulu que les prérogatives du chef de l’État soient plus étroitement définies.

Limiter l’exercice présidentiel à deux mandats consécutifs pour faire primer le souci d’agir sur le souci de durer ; soumettre une série de nominations que le Président de la République effectuait jusqu’ici de manière souveraine au droit de regard du Parlement ; encadrer le recours à l’article 16 de la Constitution et soumettre son application à un contrôle accru du Conseil constitutionnel et restreindre l’exercice du droit de grâce à des cas individuels, faire tout cela, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est aller plus loin que nous n’avons jamais été !C’est resserrer au plus juste les garde-fous de ce que M. Robert Badinter identifiait comme une tendance de la ve République à la monocratie.

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