Séance en hémicycle du 17 juin 2008 à 16h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • démocratique
  • l’exécutif

La séance

Source

La séance, suspendue à treize heures quinze, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (nos 365, 387, 388).

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Bret

Monsieur le président, je souhaite intervenir pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Je vous donnerai la parole plus tard, monsieur Bret.

Mes chers collègues, au nom de tous, je tiens à remercier M. le Premier ministre d’être venu en personne présenter devant la Haute Assemblée ce texte extrêmement important.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Il s’agit de modifier notre Constitution. C’est un acte d’une particulière signification, chacun en a bien conscience. Nous veillerons donc à ce que le débat se déroule dans une grande dignité, comme il est de règle dans cet hémicycle.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le Premier ministre.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées de l ’ UC-UDF et du RDSE.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat est une arène, ...

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

... une arène politique ; les rivalités y sont d’ordinaire légitimes.

Aujourd’hui, cependant, vous êtes invités à débattre d’une cause supérieure.

Au-delà des partis, au-delà des alternances, au-delà de toutes nos oppositions, la Constitution de la République constitue notre loi fondamentale. La réformer n’est donc pas affaire de majorité ou d’opposition : c’est une question de responsabilité à l’égard des Français et de cette démocratie dont nous avons tous la passion !

Réformer la Constitution est surtout une occasion rare ; c’est donc une occasion précieuse. Qui d’entre nous peut jurer qu’elle se représentera à lui ?

En 1973, Georges Pompidou avait tenté d’instaurer le quinquennat. Il portait son projet au nom des évolutions de la société. Il comprenait ses changements avec lucidité et il en tirait les conséquences avec courage.

Devant le Parlement, son projet fut adopté à une courte majorité, mais ne put réunir les trois cinquièmes du Congrès.

Entre les deux, un certain nombre de parlementaires s’était trouvé « d’excellents » arguments pour rester en retrait de cette réforme, les uns estimant qu’elle allait trop loin, les autres pas assez. L’occasion précieuse fut ainsi perdue.

Treize ans plus tard, le cycle des cohabitations s’enclenchait et se brisait sous le choc du 21 avril 2002.

Cet épisode doit nous instruire.

À ceux de mes amis qui craignent les évolutions proposées, je demande : « Êtes-vous bien sûrs que la situation actuelle soit si favorable au fonctionnement de notre démocratie pour ne rien y changer ? ». Et à ceux qui, dans l’opposition, rêvent d’une autre réforme, je pose la question : « Êtes-vous bien sûrs de vouloir refuser un progrès de notre démocratie au nom d’un autre projet, pour l’heure improbable ? ».

M.Oui !

Aujourd’hui, chacun est invité à bien peser ses responsabilités.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà cinquante ans, après avoir sauvé l’honneur de la France, le général de Gaulle redressait celui de la République.

Comme nombre d’entre vous, je défends les atouts de la Ve République. Sa force s’est éprouvée au feu des crises, dont celles de la guerre d’Algérie et de la décolonisation. Sa stabilité a fait de la France une nation moderne et respectée dans le monde.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Le Gouvernement est attaché à la Ve République, mais, pour en prolonger l’esprit et l’efficacité, il vous demande aujourd’hui d’en recréer les équilibres.

Vous savez mieux que personne comment la pratique politique a altéré l’exercice de vos droits et ramené la question institutionnelle au premier plan de notre réflexion. Vous savez comment l’élection du président de la République au suffrage universel, le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ont érodé les traits originels du parlementarisme rationalisé.

Vous savez, et moi qui ai été longtemps parlementaire je le sais aussi, quel carcan pèse sur les Chambres. Certains me demandent, hors de ces enceintes, si l’affaiblissement du Parlement n’a pas ses avantages. Je ne le crois pas. Un Parlement faible n’est pas le gage d’un gouvernement fort ! Un État est respecté précisément lorsqu’il rend des comptes à un Parlement renforcé.

Rien, mesdames, messieurs les sénateurs, n’obligeait le pouvoir exécutif, dans la position assez commode qui est la sienne, à proposer une révision institutionnelle dont les avancées bénéficieront d’abord au Parlement. Rien, sauf l’engagement pris par le Président de la République de rénover notre démocratie.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez apporter à ce projet, j’en suis convaincu, la hauteur de vues et l’esprit de responsabilité qu’il exige. Vous ferez, en conscience, un choix pour l’avenir.

À entendre les différents groupes, les différentes sensibilités, les voies de cet avenir sont naturellement nombreuses.

Certains prônent un régime exclusivement parlementaire. D’autres, dont je fus, défendent l’idée d’un régime présidentiel.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Certains militent pour des changements de scrutin, d’autres pour la fin complète du cumul des mandats, d’autres encore pour le droit de vote des étrangers... Bref, les propositions sont nombreuses ; chaque conviction est sincère ; chaque thèse a ses arguments.

Aujourd’hui, le moment est venu d’aller à l’essentiel et de nous accorder sur un compromis innovant et réaliste. Innovant, parce que l’ampleur du projet qui vous est soumis le place au tout premier rang des révisions envisagées depuis 1962. Réaliste, parce que, pour vous permettre de saisir cette occasion historique, tout aventurisme, tout risque de dérive institutionnelle ont été écartés du projet.

Il n’était pas facile, et il ne l’est toujours pas, de trouver le bon chemin entre l’audace et le réalisme. Je crois que nous y sommes parvenus et, pour cela, nous avons privilégié la concertation.

Je veux exprimer une gratitude particulière au groupe d’experts de tous bords, présidé par l’ancien Premier ministre Édouard Balladur, qui a défini les premières lignes du projet, mais je veux aussi saluer la commission présidée par le sénateur Jean-Jacques Hyest, qui l’a examiné avec pragmatisme et ouverture, faisant preuve de clairvoyance et de responsabilité.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

J’ai moi-même voulu, dans un esprit d’écoute et de rassemblement, entendre tous les principaux responsables politiques pour examiner avec eux les propositions susceptibles de réunir le consensus. La revalorisation du rôle du Parlement formait le cœur de toutes leurs demandes : c’est elle qui est consacrée par ce projet de loi constitutionnelle.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Renforcer les prérogatives du Parlement, ce n’est pas renouer avec les errements d’un régime d’assemblée pour lequel je n’ai aucune complaisance.

Le texte de 1958 a été conçu pour tirer l’exécutif des ornières de ce régime impuissant. Nous n’y retomberons pas !

C’est un texte dominé par une logique d’efficacité gouvernementale. Nous n’en braderons pas les outils !

Le recours au vote bloqué, la maîtrise de la procédure pour les lois de finances, l’encadrement strict de la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement demeureront intangibles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous convaincre que la rénovation de notre pacte économique et social engagée depuis un an n’est pas dissociable de cette nécessaire revalorisation du Parlement.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Pour qu’une société de confiance s’instaure, il faut que cette confiance renaisse d’abord entre élus et citoyens.

Pour qu’une culture de la responsabilité prenne racine dans le pays, il faut, au sommet, responsabiliser les pouvoirs eux-mêmes.

Pour raviver les couleurs de l’identité nationale, il faut que votre assemblée soit libre de les brandir.

Pour dégager des consensus face aux grands défis de notre temps, il faut pouvoir les bâtir ici !

Aujourd’hui, et vous le savez mieux que quiconque, la démocratie se réinvente à tous les niveaux. Les collectivités locales poursuivent leur essor. Les réseaux et les associations relaient à une échelle inédite les revendications et les propositions du terrain. L’Europe, quant à elle, déploie ses législations et ses règles communautaires.

Peu à peu, ces pouvoirs nouveaux serrent de près notre démocratie parlementaire ; ils la soumettent à un jeu de concurrence qui n’est pas sans incidences sur le fonctionnement de la République.

Si vous, vous n’incarnez pas la souveraineté nationale, si vous, vous ne relayez pas les débats qui agitent la société française, si vous, vous ne les arbitrez pas, qui le fera ?

Nous avons besoin d’un Parlement influent et écouté.

Nous avons besoin de l’instance de réflexion et d’expertise que seul un Parlement vivant peut réunir.

Nous avons besoin du bicaméralisme et de la pondération qu’il garantit.

Nous avons besoin d’une forte représentation des territoires et des collectivités, dans leur variété et dans leur richesse.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Nous avons besoin que les qualités propres du Sénat s’expriment plus librement.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

M. François Fillon, Premier ministre. Voilà pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons besoin de cette réforme institutionnelle !

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. - Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Les mesures proposées par le Gouvernement visent à étendre le champ de l’intervention parlementaire ; elles apportent des précisions importantes à la définition des prérogatives présidentielles ; elles défendent l’individu et le citoyen.

Elles vont, si vous les adoptez, profondément transformer vos modes de travail comme ceux du Gouvernement.

Elles reconnaissent au Parlement la liberté de fixer son ordre du jour, qui est arrêté par la conférence des présidents. Ce sera l’une des mesures emblématiques de son émancipation. Les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale conserveront naturellement le régime spécifique que leur originalité réclame. Je tiens à le souligner, la règle que nous proposons est en œuvre dans toutes les grandes démocraties du monde, où les Parlements maîtrisent leur ordre du jour.

L’autre mesure qui symbolise cette émancipation sera l’encadrement du recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Si vous adoptez la proposition du Gouvernement, l’usage de cet article sera désormais restreint aux lois de finances et à un seul autre texte par session.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je m’arrête quelques instants sur les craintes relatives à l’encadrement du recours à l’article 49, alinéa 3, exprimées par certains d’entre vous, que je vais m’efforcer de rassurer.

Une telle disposition ne prive pas le Gouvernement de sa capacité de gouverner. Un retour sur l’histoire montre d’ailleurs que l’usage de l’article 49, alinéa 3, s’est progressivement dévoyé. Conçu au départ comme un instrument à usage exceptionnel pour encadrer une majorité réfractaire, il s’est progressivement imposé comme un outil de lutte contre l’obstruction parlementaire.

Aujourd’hui, il nous faut tirer toutes les conséquences de l’instauration du quinquennat, qui conforte le fait majoritaire et présidentiel.

Quant à l’obstruction parlementaire, c’est un problème dont doivent traiter les règlements de chacune des assemblées. Le président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, a dessiné plusieurs pistes dans cette perspective, et je ne doute pas que le Sénat puisse en faire de même.

La qualité du travail législatif sera confortée par la pleine reconnaissance du rôle des commissions, dont le nombre pourra être porté à huit. Des champs de compétence mieux délimités et des effectifs plus réduits rendront leur travail plus efficace. Le texte débattu en séance publique sera désormais le leur.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il s'agit d’une innovation majeure qui étend votre responsabilité législative bien au-delà du droit d’amendement et contraint le Gouvernement à s’impliquer avec davantage de courage et de précision dans la défense de ses propres rédactions.

Un même souci de qualité justifie de prévoir un allongement du délai d’examen des textes. L’assurance d’un examen scrupuleux en garantira la rigueur et l’autorité.

Nous avons eu il y a quelques semaines, au sujet de l’Afghanistan, un débat dont nous devions tenir compte : le projet de révision constitutionnelle prévoit que le Gouvernement sera tenu d’informer dans les trois jours le Parlement de tout engagement des troupes françaises sur un théâtre d’opérations extérieur. Une autorisation parlementaire sera dorénavant nécessaire pour prolonger leur présence à l’étranger au-delà de quatre mois.

Le Gouvernement a accueilli avec intérêt une proposition qui l’oblige à assortir chaque projet de loi d’une étude d’impact poussée. J’y suis favorable, comme à toute mesure qui porte en elle un principe de maturité. L’évaluation fait déjà partie des pratiques que mon gouvernement défend : elle sera systématisée et approfondie. Votre propre rôle dans l’évaluation des politiques publiques, mesdames, messieurs les sénateurs, sera conforté, un quart de l’ordre du jour étant réservé à cette tâche.

Mesdames, messieurs les sénateurs, des points très significatifs ont émergé des travaux de l’Assemblée nationale, et je ne doute pas que le Sénat participera également à l’enrichissement de notre projet.

Ainsi ont été adoptés à l’Assemblée nationale cent sept amendements, dont une vingtaine provenait de l’opposition.

Parmi les accords importants figurent le référendum d’initiative populaire ou encore l’octroi aux commissions chargées des nominations d’un droit de veto à la majorité qualifiée. Une culture de la responsabilité publique se met en place en France ; ce texte la déploie. L’un des amendements adoptés à l’Assemblée nationale crée ainsi la possibilité spécifique de voter des lois de programmation pluriannuelles engageant les finances publiques sur des trajectoires budgétaires vertueuses.

L’origine parlementaire de cette disposition très importante doit encourager le Sénat. Quoi qu’il en soit, elle prouve l’ouverture réelle du Gouvernement aux acquis de vos débats.

Sur l’article 88-5, l’Assemblée nationale a marqué sa volonté d’inscrire dans la Constitution une consultation automatique du peuple français pour les élargissements les plus significatifs de l’Union européenne.

Cette volonté rejoint l’orientation profonde que le Président de la République a déjà exprimée. Faut-il pour autant inscrire cet engagement dans notre texte constitutionnel ? Je sais que, sur ce point, beaucoup d’entre vous ne partagent pas cet avis. J’ai eu l’occasion de m’exprimer à titre personnel sur cette question et mon sentiment se rapproche du vôtre.

Je crois qu’il faut, au surplus, que nous intégrions dans notre réflexion l’outil nouveau que constitue le référendum d’initiative populaire, proposé par l’Assemblée nationale. Nous attendons des jours prochains une réflexion ouverte sur l’article 88-5. Sur ce point délicat, le Gouvernement sera à l’écoute de tous.

Parce que le succès du dialogue parlementaire dépend des garanties accordées à l’opposition, le Gouvernement se déclare prêt à lever les obstacles constitutionnels qui interdisaient jusqu’à présent l’octroi de droits particuliers aux partis non majoritaires. Il table ici sur votre confiance et sur votre sens de l’intérêt commun. La fixation de l’ordre du jour, une fois par mois, en sera le premier test.

Mais le rééquilibrage souhaité ne repose pas seulement sur cette redynamisation de la vie parlementaire. Le Président de la République a voulu que les prérogatives du chef de l’État soient plus étroitement définies.

Limiter l’exercice présidentiel à deux mandats consécutifs pour faire primer le souci d’agir sur le souci de durer ; soumettre une série de nominations que le Président de la République effectuait jusqu’ici de manière souveraine au droit de regard du Parlement ; encadrer le recours à l’article 16 de la Constitution et soumettre son application à un contrôle accru du Conseil constitutionnel et restreindre l’exercice du droit de grâce à des cas individuels, faire tout cela, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est aller plus loin que nous n’avons jamais été !C’est resserrer au plus juste les garde-fous de ce que M. Robert Badinter identifiait comme une tendance de la ve République à la monocratie.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

C’est aussi donner au Parlement les garanties les plus poussées de sincérité, de respect et de vigilance.

Au vu de ces garanties, il me semble tout à fait acceptable, et même d’autant plus légitime, que le Président de la République se voie reconnaître le droit d’intervenir devant le Congrès, sa déclaration ne faisant l’objet d’aucun vote.

Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’encadrement très strict du droit de message tire son origine de circonstances historiques anciennes et aujourd’hui dépassées.

Notre démocratie mérite aujourd’hui plus de confiance, plus de clarté dans l’échange. Par sa définition très restrictive, le texte qui vous est soumis conserve à cette intervention présidentielle un caractère exceptionnel.

Enfin, le projet de réforme vise à renforcer le pouvoir et la protection des citoyens.

L’initiative populaire est l’un des traits d’une démocratie vivante. Une proposition de la commission Balladur recommande l’instauration d’un référendum d’initiative populaire. Le Gouvernement est acquis à ce principe, dont les modalités restent soumises à votre réflexion.

Les risques de dérives d’une telle procédure ne nous ont pas échappé et nous serons attentifs aux propositions d’encadrement que vous formulerez. Elles auront vocation à figurer dans la future loi organique qui organisera la procédure.

La création d’un défenseur des droits des citoyens constitue, elle aussi, une avancée notable au profit de chaque Français. Dans le prolongement de l’excellent travail accompli par le Médiateur de la République et d’autres autorités indépendantes, ce défenseur des droits des citoyens tirera de son ancrage constitutionnel une autorité morale et une efficacité beaucoup plus grandes.

Prévoir la possibilité que chaque citoyen, s’il s’estime lésé par un service public, puisse être entendu est une disposition qui se passe d’argument. Un même pragmatisme suggère d’introduire dans la culture juridique française, comme c’est d’ores et déjà le cas dans la plupart des grands pays démocratiques, l’exception d’inconstitutionnalité.

Les juridictions françaises savent d’ores et déjà écarter l’application d’une loi qu’elles jugent non conforme à une convention internationale. Si vous en décidez ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, elles feront désormais preuve du même scrupule à l’égard de cette norme première qu’est notre Constitution. Franchement, il est difficile d’expliquer à nos concitoyens que, si, pour dire le droit, tous les textes internationaux peuvent être invoqués, tel n’est pas le cas pour la Constitution. J’en suis convaincu, cette réappropriation par les citoyens de notre loi fondamentale ne peut vous laisser insensible.

À ce propos, je veux dire à mon ami Adrien Gouteyron que les craintes d’un gouvernement des juges doivent être dissipées. En effet, le filtrage des requêtes prévues permet d’assurer que le Conseil constitutionnel ne sera saisi que des contestations les plus sérieuses, qu’il n’aura pas eu l’occasion d’examiner dans le cadre du recours parlementaire.

Cette réforme aura de surcroît des vertus pédagogiques, puisqu’elle incitera chacun d’entre nous à être encore plus attentif au respect de notre texte constitutionnel. La loi en sortira confortée dans son autorité et elle y gagnera en légitimité. Au final, ce sont notre État de droit et notre démocratie qui en sortiront renforcés.

En dernier lieu, le projet de loi constitutionnelle organise la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

L’évolution du rôle dévolu à l’autorité judiciaire dans une démocratie moderne commande que le Président de la République cesse d’assurer la présidence du CSM ; il la transmettra au Premier président de la Cour de cassation ou à son procureur général. Pour garantir l’indépendance et l’ouverture du Conseil, des personnalités qualifiées seront appelées à y siéger.

Beaucoup d’entre vous ont formulé le souhait que la parité soit maintenue en matière disciplinaire. Le Gouvernement se montrera ouvert à votre préoccupation.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les questions que ce projet de loi constitutionnelle nous pose sont sans détours.

Serons-nous à la hauteur de l’occasion historique qui s’offre à nous ? Serons-nous capables de dépasser nos logiques d’affrontement pour faire aboutir un projet où prime l’intérêt général ? Refuserons-nous un texte qui renforce le poids du Parlement et les droits du citoyen ?

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

M. François Fillon, Premier ministre. Ceux qui le feront devront s’en expliquer clairement !

Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Nul ne doit s’y tromper : un pouvoir que vous ne saisirez pas sera saisi par d’autres. Un pouvoir dont le Parlement hésiterait à s’investir sera la proie des démagogues, des prétendus experts et des slogans de la rue.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

La Constitution de la ve République est le cœur de notre patrimoine politique. Hésiter à la faire évoluer, c’est en réalité renoncer à la faire vivre.

Le projet qui vous est soumis porte la marque de la créativité que le peuple français attend de nous.

Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

À vous de saisir l’occasion historique de donner un nouveau souffle à notre République. La France mérite que des institutions rénovées l’animent. Vous avez aujourd’hui le pouvoir d’élargir les sources de sa démocratie.

Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, la haute et belle responsabilité qui est désormais la vôtre.

Applaudissements prolongés sur les travées de l ’ UMP. - On applaudit également sur certaines travées de l ’ UC-UDF et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … il importe de noter que nous célébrons, cette année, le cinquantenaire de la Constitution de 1958.

Très bien ! sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Et cela mérite mieux que des colloques, même s’ils sont indispensables !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Pour ceux qui ont vécu cette période, ou qui s’intéressent tout simplement à l’histoire de nos institutions, cette Constitution, qui a résisté aux crises politiques et aux alternances électorales, s’est révélée étonnamment efficace, au regard de l’instabilité politique de la fin de la IVe République et de son incapacité à surmonter, notamment, la décolonisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Mais, loin d’être une réponse circonstancielle à la crise qui l’avait vu naître, notre Constitution, grâce à la prescience du général de Gaulle et des autres « pères fondateurs », a traversé cinq décennies et a fait de la France une démocratie moderne.

D’ailleurs, l’adhésion très profonde de nos concitoyens à nos institutions transcende très largement leurs options politiques, même si quelques-uns rêvent d’une VIe République, bien imaginaire. Mais, dans ce domaine, l’imagination constitutionnelle est inépuisable et permet à certains de se faire un peu de publicité C’est toujours bon à prendre !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Faut-il rouvrir le « laboratoire constitutionnel » permanent qui a marqué notre histoire politique depuis 1789, suite de régimes à la pérennité fragile, si l’on excepte la IIIe République, qui a connu elle-même plusieurs phases ?

Certes non, mais deux réformes importantes ont certainement eu une influence sensible sur l’équilibre de nos institutions, et le moment est sans doute venu d’en tirer toutes les conséquences.

L’élection au suffrage universel direct du Président de la République, à la suite de la révision constitutionnelle de 1962, et le « fait majoritaire », lié au choix de 1958 du mode de scrutin pour les élections législatives, ont conduit à un renforcement du pouvoir exécutif, ce qui s’est traduit par ce que l’on a appelé le « parlementarisme rationalisé ».

Il a sans doute ouvert la voie à une « présidentialisation » du régime, mais elle a été pleinement assumée par les différents titulaires de la fonction, il convient de le souligner.

Depuis 1958, les impulsions politiques sont données pour l’essentiel par le chef de l’État, hors cohabitation, et cette situation est confortée par l’institution du quinquennat et l’élection des députés à la suite immédiate de l’élection présidentielle.

La tentation est grande, monsieur le Premier ministre, d’en tirer la conséquence d’une orientation vers un régime présidentiel, et vous n’êtes pas le seul ici à aller plutôt dans ce sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Mais il est sans doute sage, pour préserver l’avenir, de ne pas toucher aux équilibres prévus par la Constitution au sein de l’exécutif et, à cet égard, l’on ne peut que suivre l’Assemblée nationale, qui a supprimé l’article 8 du projet de loi constitutionnelle, en maintenant les prérogatives du Premier ministre en matière de défense nationale.

Conformément aux engagements du candidat à l’élection présidentielle Nicolas Sarkozy, la réforme de la Constitution qui nous est proposée est la plus importante depuis 1958. Si elle est adoptée, elle constituera, j’en suis sûr, le meilleur gage de la pérennité du lien qui unit les Français à la Ve République.

Certes, mes chers collègues, cette révision constitutionnelle est loin d’être la première : c’est la vingt-quatrième depuis 1958 et – jugez de l’accélération – la dix-septième depuis 1992 ! Étant parlementaire depuis 1986, je participe donc à ma dix-septième révision constitutionnelle !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela commence à faire beaucoup !

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Trois de ces révisions étaient nécessitées, il faut le rappeler, par l’adaptation de nos institutions à l’évolution des traités européens.

Par ailleurs, mais vous vous en souvenez, monsieur le Premier ministre, monsieur le président, la révision de 1995 visait déjà à moderniser le Parlement, avec la création des offices parlementaires, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

…ainsi que, en effet, l’instauration de la session unique, notamment.

Honnêtement, on ne peut pas dire que cette réforme, sur laquelle les parlementaires fondaient des espoirs, a donné de grands résultats.

La réforme qui nous est proposée vise essentiellement à rééquilibrer les institutions en renforçant le Parlement et à mieux assurer et garantir les droits du citoyen.

Elle a été préparée de façon exemplaire par le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République présidé par M. Édouard Balladur et nourrie, de manière plus ancienne, par le comité Vedel. D’ailleurs, les débats de l’époque et les propositions d’alors témoignent d’une continuité heureuse entre les divers comités de réflexion qui se sont penchés sur nos institutions.

La présente révision suit aussi la voie tracée par les réflexions mûries au sein du Parlement. Ainsi, de nombreuses propositions font écho aux recommandations formulées en 2002 par le groupe de réflexion sur l’institution sénatoriale présidé par notre ancien collègue Daniel Hoeffel et, plus récemment, par la mission d’information sur les Parlements de pays européens, dans le rapport cosigné par Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet.

Un certain nombre de propositions ont été reprises par le comité Balladur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Si, tout de même, mais nous y reviendrons.

Dans le cadre de cette discussion générale, il n’est pas indispensable de détailler les trente-cinq articles du projet de loi constitutionnelle, d’autant que vous avez largement développé, monsieur le Premier ministre, les aspects essentiels du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.

En revanche, je veux souligner la cohérence de la démarche proposée.

Notre commission des lois vous proposera, tout d’abord, de préserver deux acquis essentiels de la Ve République : la plasticité du texte constitutionnel concernant les relations au sein de l’exécutif – nous n’y touchons pas – et son efficacité.

À cet égard, nous nous sommes interrogés longuement sur le degré d’encadrement de la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement, concluant, à ce stade de notre réflexion, que le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution était un élément réel de stabilité institutionnelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

L’occurrence d’une réforme majeure de nos institutions est tentante, mes chers collègues, pour reprendre des débats quelquefois animés sur des sujets, certes importants, comme celui du statut des langues régionales, de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la décentralisation ou des retouches à apporter aux domaines de la loi et du règlement.

Cependant, si l’on peut adopter les dispositions votées par l’Assemblée nationale sur différents points, qui ont d’ailleurs donné lieu à de très longs débats, je ne puis que vous inviter tous, mes chers collègues, à la sobriété dans ce domaine, pour garder à la Constitution son caractère de texte régulateur de nos institutions, de leurs équilibres et du fonctionnement de la démocratie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La Constitution n’est pas la loi organique ; cette dernière n’est pas la loi ordinaire, laquelle n’est pas le règlement ; et j’espère ne pas avoir à descendre, dans la hiérarchie des normes, jusqu’aux circulaires !

Riressur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Sans insister sur la limitation des prérogatives du Président de la République en matière de nomination ou d’exercice du droit de grâce, sur la limitation du nombre de mandats présidentiels, sur la prise de parole du Président de la République devant le Congrès, qui sont des éléments importants du projet de révision constitutionnelle, il me paraît nécessaire de mettre l’accent sur le cœur de la réforme, c'est-à-dire le renforcement effectif des droits du Parlement et, devrais-je ajouter, du respect du bicamérisme, ainsi qu’une meilleure garantie des droits et des libertés.

Sur le premier point, et dans la droite ligne des travaux de l’Assemblée nationale, la commission des lois vous propose de conforter les droits du Parlement en matière de contrôle et d’évaluation de la loi et des politiques publiques, de veiller à l’amélioration des conditions de présentation des projets de loi et, surtout, d’organisation des travaux parlementaires.

Nous y reviendrons le moment venu, mais notre objectif est de garantir effectivement, et pas seulement en apparence, les conditions de l’exercice du droit d’initiative du Parlement, des droits de l’opposition en particulier, dans le respect du pluralisme.

L’examen en première lecture du texte des commissions est, sans doute, l’un des éléments de nature à bouleverser le plus profondément la « routine » parlementaire. Il ne sera probablement pas sans effet sur les relations entre l’exécutif et le législatif : nous devons en prendre conscience. C’est ce que nous avons souhaité, tout comme la mission d’information sur les Parlements de pays européens de Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet. Nous aurons, dans le règlement, à en tirer toutes les conséquences.

Parmi les droits du Parlement, celui de voter les résolutions, qui avait été proposé initialement par le Gouvernement et dont l’Assemblée nationale a craint qu’il ne nuise à l’équilibre de nos institutions – chacun a les craintes qu’il peut, ou qu’il veut ! –, nous a semblé souhaitable, à condition qu’il soit encadré et ne permette pas de mettre en cause l’action du Gouvernement.

Une telle disposition éviterait sans doute des lois mémorielles. Je rappelle au demeurant que nous pouvons déjà voter des résolutions dans le domaine européen. Pourquoi ne pourrions-nous pas le faire sur d’autres sujets ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Nous vous proposerons également la recherche du point d’équilibre dans l’exercice du droit d’amendement, tout en préservant l’autonomie des assemblées.

Un des volets essentiel de ce projet de loi constitutionnelle vise à assurer une meilleure garantie des droits et libertés.

Ce volet s’articule autour de quatre thèmes :

Il s’agit, d’abord, dans le respect du pluralisme, de garantir la participation des partis politiques à la vie démocratique.

Il s’agit, ensuite, de permettre, comme l’a fait l’Assemblée nationale, l’institution d’un référendum d’initiative populaire, ou plus exactement d’initiative parlementaire soutenue par une pétition de citoyens, à condition que soit prévu un contrôle de constitutionnalité avant le référendum.

Il s’agit, également, de prévoir l’exception d’inconstitutionnalité sous forme de motion préjudicielle renvoyée au Conseil Constitutionnel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

C’est la troisième tentative, et j’espère que ce sera la bonne !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Il s’agit, enfin, de prévoir la création d’un défenseur des droits – formule ayant la préférence de la commission des lois, qui s’en expliquera tout à l'heure –, dont nous aurons à préciser les compétences dans la perspective d’une réduction du nombre des autorités administratives indépendantes qui ont tendance, hélas ! à foisonner depuis quelques années, n’est-ce pas, monsieur Gélard ?

En ce qui concerne les autres chapitres de la révision constitutionnelle, outre l’extension du rôle du Conseil économique et social dans le domaine de l’environnement, la commission des lois propose de souscrire largement à la révision proposée concernant le volet européen, bien entendu dans la perspective – mais le sujet est toujours en suspens – de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

Quant à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, pour répondre sans doute au malaise créé par des affaires judiciaires récentes et lever tout soupçon sur la tentation, réelle ou supposée, de corporatisme de l’ordre judiciaire, la commission souscrit à la réforme proposée, à condition que la procédure disciplinaire soit aménagée pour respecter le principe paritaire des formations du Conseil supérieur dans ce domaine, principe qui existe dans tous les pays européens.

Ambitieuse réforme donc, de nature à revivifier nos institutions et à donner au Parlement, s’il s’y engage résolument, la possibilité d’assumer la plénitude de ses attributions.

Reste un point que nous avons eu l’occasion d’évoquer, voilà quelques jours, et qui ne concerne d’ailleurs pas a priori la révision constitutionnelle, pas plus d’ailleurs à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Si certains en font un préalable, c’est leur droit, mais nous ne sommes pas obligés de les suivre !

Pour des raisons que j’ai quelque difficulté à comprendre, certains affirment avec constance, mais sans justification réelle, que le Sénat constitue, au mieux, « un défi à la démocratie », au pire, « un déni de démocratie ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Pourtant, on a essayé de vous l’expliquer !

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Pasqua

C’est parce qu’ils n’y sont pas majoritaires, monsieur le rapporteur !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Faire du Sénat un « clone » de l’Assemblée nationale, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. …en l’élisant sur les mêmes critères purement démographiques, ce serait nier ce qui fait sa spécificité, à savoir l’élection au suffrage universel indirect par les représentants des collectivités locales.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Le débat engagé sur l’avant-projet de loi constitutionnelle, sur son exposé des motifs, que ne manquerait pas de scruter avec attention le Conseil constitutionnel, a créé un doute sérieux sur le maintien de cette spécificité du Sénat.

À cet égard, permettez-moi de citer les excellents et rassurants propos qu’a tenus M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement lors de son audition par la commission des lois : « Le texte précise que le Sénat représente les collectivités locales “en tenant compte de la population” afin que le mode d’élection des sénateurs ne conduise pas à une disproportion excessive du poids de certaines collectivités territoriales au regard de leur population, sans aboutir pour autant à ce que les sénateurs ne soient plus élus essentiellement par les élus ».

C’est ce qu’avait tenu à préciser la commission des lois, en réaction à un tapage médiatique bien organisé et repris en chœur par le microcosme parisien, qui n’a jamais réellement compris la réalité des territoires.

Très bien ! sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

J’ignorais que j’appartenais à un « microcosme parisien » !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Il était important de rappeler que ces territoires sont représentés au Sénat !

Rien n’interdit d’ailleurs de faire évoluer le corps électoral de la Haute Assemblée en tenant mieux compte de la population, ce que Josselin de Rohan, Henri de Raincourt, Jean Arthuis et moi-même avions proposé en 1999.

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Nous n’y sommes pour rien si cette proposition de loi, votée au Sénat sur le rapport de Paul Girod, a fait l’objet d’une fin de non-recevoir de la part du gouvernement de l’époque !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Souvenons-nous en !

En définitive, surtout si cela a pu être compris, à tort, comme la volonté d’inscrire le mode de scrutin dans la Constitution, il vaut mieux ne pas modifier l’article 24, puisque l’ajout des mots « en tenant compte de la population » est une évidence, conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il nous a été suffisamment reproché de vouloir inscrire dans la Constitution ce qui n’est que jurisprudence ! Aussi, je renvoie à leurs critiques ceux qui nous ont critiqués.

La commission des lois vous propose d’aller au terme de cette démarche et, par conséquent, de ne pas modifier l’article 24.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Incidemment, je suggère à tous ceux de nos collègues qui ont déposé des amendements relatifs au mode d’élection des députés de les retirer, afin qu’il ne leur soit pas reproché, pareillement, d’inscrire dans la Constitution le mode de scrutin. Ainsi, nous gagnerons du temps !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Cette spécificité du Sénat donne à l’institution un degré d’autonomie, une liberté parfois utile pour la défense des libertés fondamentales, parfois aussi irritante pour le pouvoir en place, quel qu’il soit, mais toujours précieuse à une époque où la « pensée unique » est dominante. Nous devrions tous défendre cette spécificité du Sénat !

Quoi qu’il en soit, à la suite du travail approfondi accompli tant par l’Assemblée nationale que par le Sénat sur cet important projet de loi constitutionnelle, travail auquel ont pris part nombre de nos collègues, souhaitons que la démarche qui nous est proposée par le Président de la République et le Gouvernement puisse aboutir, pour le plus grand bien de la « démocratie française », tout en préservant les grands équilibres.

Une occasion précieuse, voire historique, pour reprendre votre propos, monsieur le Premier ministre, se présente à nous. Ne passons pas à côté. Je suis sûr que la navette permettra d’aboutir à une réelle modernisation de nos institutions, sans rien renier des principes qui ont fait leur preuve depuis un demi-siècle.

Bravo ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les hasards du calendrier font que le Sénat entame la discussion de la révision constitutionnelle la veille du 18 juin.

À cette occasion, je voudrais rendre hommage à la mémoire du libérateur du territoire, qui nous a aussi légué cette Constitution à laquelle nous sommes fondamentalement attachés.

Vifs applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Par souci d’équité, et devant plusieurs de ses anciens ministres, vous me permettrez de rendre hommage également à la mémoire de François Mitterrand, qui, en observant scrupuleusement à la fois la lettre et l’esprit d’une Constitution qu’il avait, à l’origine, combattue, …

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. …a fait la preuve que celle-ci était une bonne Constitution.

Applaudissementssur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Issue des propositions du comité pluraliste présidé par M. Balladur, la révision constitutionnelle qui nous est présentée s’annonce également comme une profonde réforme.

Son principal objectif est de rééquilibrer nos institutions en revalorisant le rôle du Parlement.

S’il est un domaine où la notion de rééquilibrage prend tout son sens, c’est bien celui de la politique des affaires étrangères et de défense.

À cet égard, je précise que le général de Gaulle n’a jamais employé l’expression « domaine réservé » ; nous la devons au président de l’Assemblée nationale de l’époque. Au surplus, la notion n’est en rien constitutionnelle. Néanmoins, force est d’admettre que ces questions ont été traditionnellement marquées par la prépondérance de l’exécutif, non que le Parlement soit dépourvu de moyens pour exercer un contrôle sur la politique étrangère et de défense – il dispose, dans ce domaine comme dans les autres, de prérogatives importantes –, mais la volonté, partagée par les parlementaires, de l’unité de la politique étrangère et le relatif consensus qui prévalait sur ces questions ont consacré pendant longtemps une retenue volontaire dans ces domaines et ont conduit à une certaine autonomie de l’exécutif.

Cet équilibre est remis aujourd’hui en question par les aspirations de l’opinion à une transparence accrue et à un débat public sur ces questions, débat dont il est légitime qu’il se tienne dans les assemblées. En outre, le temps n’est plus, pour l’exécutif, à la conquête de prérogatives qui lui seraient disputées par un Parlement ombrageux.

Je serai clair : c’est à l’exécutif, et, en particulier, au Président de la République, élu au suffrage universel direct, qu’il incombe de conduire la politique étrangère et de défense de la France ! Cependant, celle-ci sera d’autant mieux comprise et acceptée par nos concitoyens qu’elle aura été débattue au sein des assemblées.

À cet égard, le projet de loi constitutionnelle renforce sensiblement la place du Parlement. C’est la raison pour laquelle la commission des affaires étrangères a souhaité se saisir pour avis de ce projet de loi et qu’elle a adopté plusieurs amendements visant à conforter le rôle du Parlement. J’évoquerai donc successivement les dispositions du projet de loi constitutionnelle relatives aux questions suivantes : la défense, et, en particulier, le nouveau dispositif prévu en matière de contrôle parlementaire sur les opérations extérieures ; le rôle du Parlement en matière de politique étrangère et européenne ; enfin, la procédure de ratification des projets de loi autorisant l’adhésion de nouveaux États à l’Union européenne.

En matière de défense, l’une des nouveautés du projet de loi constitutionnelle tient à la création d’une procédure de contrôle parlementaire sur les interventions des forces armées à l’étranger. Il s’agit d’un mécanisme « à double détente » : dans le cas d’une intervention des forces armées à l’étranger, le Parlement devra être informé par le Gouvernement dans un délai de trois jours et il pourra éventuellement débattre de cette intervention, sans toutefois pouvoir se prononcer par un vote ; au-delà de quatre mois, la prolongation d’une intervention sera soumise à un vote d’autorisation du Parlement.

Tel qu’il a été modifié par l’Assemblée nationale, le dispositif proposé me paraît satisfaisant ; il préserve l’équilibre entre la nécessité d’associer le Parlement et celle de ne pas empiéter sur les prérogatives de l’exécutif, dans le souci de ne pas nuire à l’efficacité des interventions militaires. En particulier, la commission des affaires étrangères aurait refusé tout système d’autorisation préalable du Parlement pour les interventions militaires à l’étranger. Un tel système, qui, au demeurant, est très peu pratiqué par nos partenaires, à l’exception de l’Allemagne, pour des raisons liées à son histoire, risquerait, en effet, de paralyser l’action de nos forces armées.

Faudrait-il attendre de réunir le Parlement pour procéder à l’évacuation en urgence de nos ressortissants d’un pays confronté à une crise soudaine ? Une telle attitude serait irresponsable, vis-à-vis tant de nos compatriotes que de nos militaires, et elle risquerait de fragiliser l’exercice par notre pays de ses responsabilités internationales.

Il est vrai que le texte laisse une certaine marge d’appréciation au Gouvernement. Ainsi, la notion d’« interventions des forces armées à l’étranger » reste à préciser.

Je souhaite que le débat sur cet article offre l’occasion au Gouvernement de préciser les critères permettant de distinguer entre les interventions devant donner lieu à une information du Parlement et les autres.

De même, le texte ne précise pas le point de départ du délai de trois jours pour l’information du Parlement. Est-ce la date de la prise de décision par le pouvoir politique ou bien le jour à partir duquel les troupes sont déployées sur le terrain ?

Compte tenu de l’important décalage temporel souvent constaté entre la date de la décision politique et l’engagement effectif de nos forces, par exemple, dans le cadre de l’EUFOR, au Tchad et en République centrafricaine, cette question n’est pas sans importance.

Là encore, la discussion de cet article pourrait permettre de préciser ce point.

Cependant, je crains que cet éclairage ne reste insuffisant et je voudrais proposer à M. le ministre de la défense de réunir sur cette question un groupe de travail auxquels participeraient les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Si le dispositif me paraît équilibré, j’avoue cependant avoir été quelque peu heurté par la disposition selon laquelle, « en cas de refus du Sénat, le Gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement sur la prolongation de l’intervention ».

Exclamations sur certaines travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

La commission des affaires étrangères du Sénat a adopté un amendement prévoyant que « la prolongation de l’intervention au-delà de quatre mois est autorisée en vertu d’une loi ». Ainsi, notre propos est identique, mais nous nous abstenons de venir avec nos gros sabots…

Toutefois, contrairement à ce qui prévaut dans la procédure législative ordinaire, le droit d’amendement n’aurait pas vocation à s’appliquer. Comme le précise l’exposé des motifs, l’acte d’autorisation « ne saurait s’accompagner d’aucune condition concernant les modalités opérationnelles d’engagement des troupes ».

Le projet de loi constitutionnelle, et ce sera ma deuxième observation, renforce également le contrôle par le Parlement de la politique étrangère et européenne. Il prévoit en particulier d’étendre le champ des textes européens devant être transmis par le Gouvernement au Parlement au titre de l’article 88-4 de la Constitution, de reconnaître la faculté pour chacune des assemblées d’adopter des résolutions sur tout document émanant de l’Union européenne, de « constitutionnaliser » et de modifier la dénomination des délégations pour l’Union européenne.

Avec le mécanisme de contrôle du respect du principe de subsidiarité, le Parlement français sera encore mieux armé pour suivre les affaires européennes et exercer sur elles une réelle influence.

Le projet de loi constitutionnelle prévoyait également, dans sa version initiale, de reconnaître aux assemblées le droit de voter des résolutions. L’Assemblée nationale a toutefois supprimé cette faculté, au motif que cet instrument ne serait pas de nature à revaloriser le Parlement et qu’il pourrait même se révéler dangereux pour l’équilibre de nos institutions.

Au contraire, la commission des affaires étrangères a estimé, comme la commission des lois, que le vote de résolutions pourrait être utile à condition d’encadrer strictement sa mise en œuvre. Cela permettrait de revaloriser le rôle de la loi et, comme l’a dit fort justement le président de la commission des lois, d’éviter la multiplication de ces lois « mémorielles » qui inscrivent des normes là où elles n’ont pas lieu d’être.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Si le mécanisme des résolutions peut s’avérer utile, il convient cependant de l’encadrer strictement, afin de ne pas dévoyer cette procédure. C’est la raison pour laquelle la commission des affaires étrangères du Sénat a proposé de rétablir le droit pour les assemblées de voter des résolutions, tout en considérant que les conditions et les limites de son exercice devraient être fixées par une loi organique.

De plus, toute proposition de résolution mettant en cause, directement ou indirectement, la responsabilité du Gouvernement ou de l’un de ses membres devrait être irrecevable.

Enfin, je voudrais évoquer la procédure d’autorisation de ratification des traités d’adhésion à l’Union européenne.

Depuis la révision constitutionnelle de 2005, toute nouvelle adhésion à l’Union européenne, à l’exception de celle de la Croatie, doit obligatoirement faire l’objet d’un référendum dans notre pays. Cette disposition visait surtout à éviter que le débat sur la Turquie n’interfère avec le référendum sur la Constitution européenne, avec le succès que l’on sait…

Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il ne serait pas indispensable de consulter les Français par référendum sur l’adhésion d’un pays comme la Norvège, celle-ci n’étant pas de nature à susciter un véritable débat dans l’opinion publique.

En outre, dans l’hypothèse d’une adhésion échelonnée des pays des Balkans occidentaux – par exemple le Monténégro ou la Macédoine –, ce dispositif entraînerait une succession de référendums dont on peut présager qu’ils susciteraient une faible participation.

C’est pourquoi le comité Balladur avait proposé un autre mécanisme, qui, repris dans le texte initial du projet de loi constitutionnelle, prévoyait que tout projet de loi autorisant la ratification d’un traité d’adhésion à l’Union européenne devrait être adopté en termes identiques par les deux assemblées avant d’être soumis, sur décision du Président de la République, soit au référendum, soit au Parlement réuni en Congrès. Dans ce dernier cas, le texte devrait être adopté à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, comme pour une révision constitutionnelle.

Le recours au référendum resterait donc la procédure de droit commun mais, comme c’était le cas avant 2005, le Président de la République aurait la faculté d’en décider autrement. Toutefois, dans ce cas, la procédure serait plus contraignante que celle qui est applicable aux autres traités internationaux, puisque, je le répète, l’autorisation de ratification serait accordée non pas à la majorité simple, mais à la majorité des trois cinquièmes du Parlement réuni en Congrès.

Ce mécanisme a suscité de vives critiques à l’Assemblée nationale, au motif qu’il ne rend plus obligatoire l’organisation d’un référendum dans le cas d’une éventuelle adhésion de la Turquie à l’Union européenne.

Sur l’initiative de sa commission des lois, l’Assemblée nationale a adopté par amendement un autre dispositif. Ainsi, les futures adhésions à l’Union européenne relèveraient de la procédure de droit commun applicable à la ratification des traités et accords internationaux. La seule exception concernerait les États dont la population représente plus de 5 % de celle de l’Union européenne : l’adhésion resterait alors soumise à la procédure du référendum.

Le dispositif proposé par l’Assemblée nationale ne me paraît pas satisfaisant, et ce pour quatre raisons.

Tout d’abord, la rédaction retenue, qui réserve un traitement particulier à la Turquie sans toutefois la nommer, est susceptible de porter un grave préjudice aux relations diplomatiques entre la France et un pays ami, et allié.

Très bien ! sur certaines travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

L’essence même des dispositions de nature constitutionnelle est de poser des principes à caractère général. Or, telle qu’elle est rédigée, cette disposition est à l’évidence directement dirigée à l’encontre d’un seul pays, en l’occurrence la Turquie. En effet, parmi tous les pays actuellement candidats, seule la Turquie répond au critère des 5 %. Inscrire dans la Constitution, c’est-à-dire dans la plus haute norme juridique, une disposition allant directement à l’encontre d’un pays ami et allié, c’est assurément porter un grave préjudice aux relations avec ce pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Les autorités et l’opinion publique de ce pays ne manqueraient pas d’être extrêmement sensibles à l’adoption d’une disposition qui serait perçue comme discriminatoire à leur endroit.

Au moment où la France va assurer la présidence de l’Union européenne et où elle a fait du projet d’Union pour la Méditerranée l’une de ses priorités, ce serait un mauvais signal adressé non seulement à la Turquie, mais aussi à nos partenaires européens et, plus largement, à l’ensemble des pays du pourtour méditerranéen.

Ensuite, cette disposition me paraît anachronique.

Depuis le 3 octobre 2005, des négociations d’adhésion ont été engagées entre l’Union européenne et la Turquie. Je rappelle que cette décision a été prise à l’unanimité par le Conseil des ministres, ce qui signifie que la France l’a pleinement acceptée.

Depuis cette date, les négociations avancent lentement. Sur trente-cinq chapitres, seuls six ont été ouverts et un seul est provisoirement clos, trois ont été « gelés », à la demande de la France. En outre, ces discussions sont conduites à partir d’un « cadre de négociations » dans lequel est précisé que « ces négociations sont un processus ouvert dont l’issue ne peut être garantie à l’avance ».

Ainsi, l’éventuelle adhésion de la Turquie à l’Union européenne est une question qui se posera au mieux dans une dizaine d’années et nul ne peut prétendre aujourd’hui connaître l’issue des négociations.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Il est clair, d’ailleurs, que la Turquie ne remplit pas aujourd’hui les conditions pour devenir membre de l’Union européenne.

Toutefois, il ne s’agit pas aujourd'hui de se prononcer pour ou contre l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne et ce n’est pas la question que soulève ce projet de loi constitutionnelle. Ce qui importe aujourd'hui est de savoir si nous maintenons dans la Constitution l’obligation de procéder à un référendum pour un seul pays.

La disposition introduite par les députés est également inutile.

Avec le dispositif proposé par le comité Balladur, le Président de la République conserverait la faculté de consulter les Français par référendum sur toute nouvelle adhésion à l’Union européenne. Compte tenu de tous les préalables qui ont été posés, quel Président de la République pourrait se dispenser de consulter le peuple sur une telle question ?

Marques d’approbation sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

En outre, comme l’a rappelé M. le Premier ministre, avec le référendum d’initiative populaire introduit par l’Assemblée nationale, les citoyens disposeront d’un moyen de pression important pour demander l’organisation d’un référendum.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Enfin, le dispositif proposé par l’Assemblée nationale porte atteinte à la fois aux prérogatives du Parlement et à celles du Président de la République.

Alors que le principal objectif de la révision constitutionnelle est précisément de revaloriser le rôle du Parlement, le dispositif proposé revient à reconnaître une sorte de supériorité de la voie référendaire sur la voie parlementaire. Il aboutirait surtout à diminuer les prérogatives du Président de la République, élu au suffrage universel direct, en restreignant la liberté offerte au chef de l’État de choisir entre la voie référendaire et la voie parlementaire.

Pour ces raisons, la commission des affaires étrangères du Sénat a adopté à l’unanimité un amendement visant à rétablir le texte initial du projet de loi constitutionnelle, tel qu’il avait été proposé par le comité constitutionnel.

En définitive, le projet de loi constitutionnelle préserve un équilibre entre le renforcement du rôle du Parlement et le respect des prérogatives de l’exécutif. C’est la raison pour laquelle notre commission a émis un avis favorable à son adoption.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

La parole est à M. Robert Bret, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Bret

Monsieur le président, je vous remercie de me donner la parole pour ce rappel au règlement, une heure après que je l’ai demandée…

Monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mon intervention est relative à l’organisation de nos travaux et au travail des commissions.

« Si le peuple irlandais décide de rejeter le traité de Lisbonne, naturellement il n’y a plus de traité de Lisbonne », affirmiez-vous jeudi soir sur un plateau de télévision, monsieur le Premier ministre.

Le peuple irlandais a voté non. Il a rejoint les peuples français et néerlandais dans le refus d’une Europe qui, fondamentalement, paraît antidémocratique, éloignée des préoccupations des populations. Quel pouvoir d’achat ? Quelles conditions de travail ? Quelle retraite ? Quels soins ? Quelle éducation ? Autant de sujets d’inquiétude pour les citoyens européens !

Aujourd’hui, le Sénat entame l’examen d’une révision constitutionnelle importante politiquement et quantitativement.

Plusieurs dispositions ont trait à l’intégration du traité de Lisbonne dans notre Constitution. Je pense en particulier à l’article 35 du projet de loi constitutionnelle. Par ailleurs, le texte soumis au débat n’évoque pas ce que devient l’article 88-1 de la Constitution, qui permet l’intégration du traité après la ratification par l’ensemble des États membres.

Est-il possible de légiférer constitutionnellement comme si de rien n’était ?

Est-il possible de nier plus longtemps la réalité ? Le traité de Lisbonne est mort, il faut en tirer les conséquences en droit interne.

De deux choses l’une, monsieur le Premier ministre : ou bien le Gouvernement propose des amendements d’abrogation, ou bien le Sénat suspend ses travaux pour analyser les conséquences du vote irlandais sur notre droit.

M. le secrétaire d'État s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Bret

Chacun connaît aujourd’hui l’étroite imbrication entre normes de droit interne et norme européenne, sauf vous, peut-être, monsieur le secrétaire d'État !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Bret

Monsieur le président, messieurs les présidents de la commission des lois et de la commission des affaires étrangères, le droit des traités prévoit que l’entrée en vigueur d’un traité nécessite le consentement de tous les États ayant participé à sa négociation. La convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 pose ce principe à l’article 24 de la section 3 : un traité entre en vigueur dès que le consentement à être lié par le traité a été établi par tous les États ayant participé à la négociation.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vasselle

Cela n’a rien à voir avec la révision constitutionnelle ! C’est hors sujet !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Bret

En d’autres termes, mes chers collègues, juridiquement, l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne est conditionnée à la ratification des vingt-sept États membres de l’Union européenne.

Cessons de tourner autour du pot, cessons de mépriser la parole du peuple en la réduisant à un incident ou, comme ce matin, à une simple péripétie, cessons de fouler au pied cette essence de la démocratie qu’est le suffrage universel !

Au nom de mon groupe, mais aussi, j’en suis certain, au nom de nombreux parlementaires, je demande à la commission des lois d’examiner, avant d’aller plus avant dans la discussion générale du projet de loi constitutionnelle, les conséquences du référendum irlandais sur notre loi fondamentale.

Vous comprendrez, monsieur le président, que j’attends, avec mes collègues, une réponse à cette question essentielle, qui ne peut être balayée d’un revers de la main.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Acte est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

C’est la preuve par l’exemple de la revalorisation du Parlement !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Bel.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, vous le savez, nous l’avons dit et nous en avons rapporté à plusieurs reprises la preuve : nous étions disponibles pour une réforme de notre Constitution qui a aujourd’hui cinquante ans.

Lorsque le processus de réflexion a débuté, nous n’avons pas hésité à participer, à vous communiquer nos travaux, nos rapports et même une proposition de loi qui jetait les fondements d’une nouvelle République.

Certes, pour nous, il s’agissait non pas d’une simple modification des textes et des institutions, mais bien de l’instauration d’une nouvelle pratique du pouvoir, plus respectueuse de la diversité, du pluralisme et de l’échange démocratique.

En effet, nous voyons tous les jours la Ve République s’épuiser dans la concentration des pouvoirs, la dévalorisation du Parlement et l’irresponsabilité présidentielle. La démocratie constitue, c’est une évidence, l’horizon de toute réforme politique d’envergure. C’est à l’aune des avancées démocratiques qu’il faut juger toute modernisation des institutions.

À ce stade, autant le dire tout de suite, monsieur le Premier ministre, grande est notre désillusion ! Mes collègues et moi-même avons essayé de comprendre comment, à partir d’un consensus existant, vous avez pu nous conduire dans une telle impasse.

Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, quels sont aujourd’hui les pesanteurs et les freins à la démocratie dans notre République ?

J’en citerai deux.

D’abord, le Parlement est contesté dans sa représentativité, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

M. Jean-Pierre Bel.... abaissé par la présidentialisation, bridé par le Gouvernement, étiolé par la mise à l’écart de l’opposition, étouffé par une majorité souvent godillot, qui ne joue plus son rôle au sein de nos institutions, chacun en convient.

Protestations sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Ensuite, véritable déni de démocratie dans un régime bicaméral, l’alternance n’est pas possible dans une des deux assemblées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

M. Jean-Pierre Bel. En effet, quel que soit le résultat des scrutins, municipaux, cantonaux, régionaux, il est inscrit en lettres d’or que la majorité ne bougera pas, que la droite sera à tout jamais inamovible et que le Sénat pourra, tel un monarque de droit divin, s’opposer aux réformes voulues par le peuple à l’occasion des élections présidentielle ou législatives qui ont lieu, elles, au suffrage universel direct.

M. le rapporteur s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Monsieur le Premier ministre, à ces anomalies les plus criantes de notre démocratie, qui justifient une réforme ambitieuse de nos institutions, quelles réponses avez-vous apportées ? Je suis au regret de devoir dire qu’elles sont décevantes et même inquiétantes et que, en tout cas, elles ne sont pas à la hauteur de la situation.

Qu’en est-il dans les faits du texte que vous nous proposez ? En réalité, il s’agit d’une réforme qui prétend toucher à tout, mais, au bout du compte, qui ne touche à rien, surtout pas aux déficits démocratiques dont je viens de faire le constat.

Plus encore, votre majorité sénatoriale a même eu la velléité de faire des pas en arrière, plutôt que des pas en avant, en gravant dans le marbre de la Constitution les privilèges inacceptables qu’elle s’accordait à elle-même.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Nous pourrions presque nous sentir soulagés d’avoir, en quelque sorte, échappé à l’ère de la glaciation, même si nous n’en sommes pas tout à fait sortis !

Là où nous espérions une véritable revalorisation des droits du Parlement et de la place de l’opposition, là où nous comptions sur vous pour remédier à l’anomalie des modes de scrutin qui empêchent l’alternance dans une assemblée et une véritable représentativité dans l’autre, vous répondez par une réforme en trompe-l’œil, qui pourrait s’apparenter à un marché de dupes.

Nous pourrions nous demander, monsieur le Premier ministre, pourquoi cette réforme ne passe pas aussi facilement que vous semblez le dire, c’est clair aujourd'hui.

Elle ne passe pas parce qu’elle renforce d’abord le rôle du Président de la République au détriment de celui du Premier ministre.

Elle ne passe pas parce qu’elle renforce la majorité au détriment de l’opposition.

Elle ne passe pas parce qu’elle renforce les pouvoirs d’obstruction du Sénat au détriment d’une Assemblée nationale élue au suffrage universel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Elle ne passe pas, enfin, parce que, au fond, quelles que soient vos déclarations, elle va consacrer, sur un sujet qui réclamerait la contribution de tous, la victoire d’un camp sur un autre.

Monsieur le Premier ministre, vous l’avez compris, les membres du groupe socialiste, même s’ils restent attentifs à la suite des travaux de nos assemblées, ne peuvent souscrire à un texte qui, en l’état, non seulement manque de lisibilité, mais également aggrave le déséquilibre démocratique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Monsieur le Premier ministre, si vous voulez réellement des institutions rénovées et démocratisées, comme vous nous l’indiquiez au début de votre propos, il vous reste beaucoup de chemin à parcourir. Il faut que vous vous en donniez les moyens. Il vous faut convaincre votre majorité et faire preuve d’audace. C’est là le prix à payer !

À vous d’apporter la démonstration que, parce que vous allez changer d’attitude, vous êtes prêt pour ce grand rendez-vous dans l’histoire de notre République.

Les socialistes, quant à eux, vous attendent. Vous les trouverez ouverts, mais sans complaisance, parce qu’il y va de l’idée que nous nous faisons de la démocratie et de notre République.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà quelques instants, Josselin de Rohan faisait référence à la commémoration du 18 juin, demain. Je voudrais, quant à moi, évoquer, en commençant mon propos, le 16 juin 1946, date à laquelle, à Bayeux, le général de Gaulle esquissa l’architecture des institutions qui sont devenues celles de la Ve République.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Grâce au général de Gaulle, la France est dotée, depuis cinquante ans, d’une Constitution très efficace, qui a fait la preuve de son adaptabilité et qui a également permis à notre pays de recouvrer sa dignité.

Consultés à plusieurs reprises, les électrices et les électeurs ont approuvé cette organisation équilibrée, solide et souple.

Soutenue massivement par le peuple français, la Constitution de la Ve République, je veux tout de même le rappeler, a été vivement combattue, à l’origine, par certaines formations politiques…

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

… qui dénonçaient la tyrannie de l’exécutif et l’effacement du Parlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Cela me rappelle le débat sur la décentralisation !

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Nous n’avons pas oublié, par exemple, ce qu’écrivait l’auteur du Coup d’État permanent. Heureusement, par la suite, il s’est glissé avec délice et efficacité dans les habits présidentiels.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Depuis un an, ce sont souvent les mêmes qui s’émeuvent de la grande activité du Président de la République. Pourtant, il avait prévenu qu’il serait un président acteur, totalement engagé dans la réalisation de son programme.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Les membres du groupe UMP sont très attachés à la permanence de nos institutions, et ce depuis leur origine ; ils considèrent même qu’ils ont une légitimité certaine à donner leur point de vue lorsqu’il s’agit de les modifier.

Je souhaite seulement en cet instant vous faire part de l’état d’esprit dans lequel les membres du groupe UMP du Sénat abordent la discussion de cette réforme de grande ampleur.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Par principe, nous considérons qu’il faut y regarder de près avant de modifier notre loi fondamentale.

Sa force, c’est son équilibre ; il faut veiller à ne pas le rompre.

Plus un texte de révision constitutionnelle serait dense, plus il chercherait alors à toucher, parfois dans le détail, aux règles du jeu actuelles, plus il fragiliserait ce bel édifice.

Une constitution, c’est un socle, admis par tous, sur lequel chacun peut s’appuyer et dans lequel chacun peut se reconnaître. C’est aussi un code qui définit les règles du « vivre ensemble ».

Certes, et cela a été rappelé, la Constitution a déjà été modifiée vingt-trois fois depuis 1958. C’est beaucoup. Trois modifications déterminantes ont jalonné son parcours. Il s’agit, en 1962, de l’élection du Président de la République au suffrage universel, en 1974, de la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel par soixante députés ou soixante sénateurs, puis, en 2000, de l’instauration du quinquennat.

Aujourd’hui, les élections législatives suivent de peu l’élection présidentielle. C’est un changement considérable qui renforce l’influence du Président de la République. Était-ce l’objectif recherché par les auteurs de la réforme adoptée en son temps ?

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Effectivement, mon cher collègue !

En revanche, il est clair que l’on n’en a pas encore mesuré toutes les répercussions. Le temps politique de l’exécutif s’est notoirement accéléré. Il convient, par conséquent, de l’équilibrer en instaurant une revalorisation correspondante du rôle du Parlement.

Le Président de la République l’a bien compris en déclarant, dans son discours du 14 janvier 2007, qu’il voulait une « démocratie irréprochable ».

Il précisait : « La démocratie irréprochable, ce n’est pas une démocratie où les nominations se décident en fonction des connivences et des amitiés, mais en fonction des compétences. C’est celle dans laquelle l’État est impartial. […]

« La démocratie irréprochable, ce n’est pas une démocratie où l’exécutif est tout et le Parlement rien. C’est une démocratie où le Parlement contrôle l’exécutif et a les moyens de le faire.

« La démocratie irréprochable, c’est un président qui s’explique devant le Parlement. »

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

« Notre démocratie n’a pas besoin d’une nouvelle révolution constitutionnelle. […] nous devons changer radicalement nos comportements pour aller vers davantage d’impartialité, d’équité, d’honnêteté, de responsabilité, de transparence. »

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Il me semble que nous pourrions tous nous retrouver sur cette ligne raisonnable, sans que quiconque ait à se renier.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Notre société a connu, depuis un demi-siècle, de profondes mutations.

L’Europe n’est plus seulement un horizon ; elle est un acteur puissant du quotidien.

Depuis vingt-cinq ans, la décentralisation a transformé notre vie locale.

Pour ces raisons, et pour bien d’autres encore, l’action politique s’est inversée : décidée par le haut, elle avait vocation à s’appliquer uniformément et sans discussion. Nos compatriotes veulent dorénavant être écoutés, associés et entendus.

Contrairement à une idée reçue, les Français ne se désintéressent pas de la manière dont s’exerce le pouvoir dans notre pays. Ils souhaitent davantage de transparence, de débat, et d’efficacité.

Ces évolutions doivent nécessairement se traduire dans le fonctionnement de nos institutions, afin de permettre à notre République de progresser.

C’est tout l’enjeu de cette réforme constitutionnelle voulue par le Président de la République et entreprise par le Gouvernement.

Le groupe UMP souscrit aux grandes orientations de cette révision. En son nom, je veux dire à cet instant que nous apprécions tout particulièrement le travail de la commission des lois et de son président rapporteur, Jean-Jacques Hyest, qui n’a ménagé ni son talent ni sa disponibilité pour donner au Sénat toute la place qui lui revient dans ce débat.

Bravo ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Nous approuvons également la volonté de réformer les modes de relation existant entre le chef de l’État et le Parlement.

Actuellement, et comme l’indique, à juste titre, le comité Balladur dans son rapport, ces relations sont placées sous le signe de l’interdit, puisque l’article 18 de la Constitution dispose que le chef de l’État « communique avec les deux assemblées du Parlement par des messages qu’il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat. » Comment justifier aujourd’hui le maintien d’une prohibition désuète, qui remonte à 1875, alors que le chef de l’État peut s’exprimer devant tous les parlements étrangers et qu’il peut parler directement aux Français par l’intermédiaire des médias ?

La possibilité, pour le chef de l’État, d’intervenir devant le Parlement réuni en Congrès nous semble opportune, dans la mesure où les conditions de solennité et de dignité sont respectées.

Le grand bénéficiaire de cette réforme sera incontestablement le Parlement, car elle crée les conditions d’un élargissement de son rôle et un renforcement de celui de l’opposition.

Exclamations sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Aucune autre réforme de cette ampleur n’a été proposée jusqu’à ce jour. Une place plus grande nous est accordée dans l’élaboration de la loi et dans la maîtrise de la procédure législative. La fonction de contrôle est reconnue dans sa plénitude.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Mais si, mon cher collègue !

L’évaluation des politiques publiques figure désormais parmi les missions du Parlement. C’est une avancée importante.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Il n’y a qu’à voir la façon dont vous avez traité le rappel au règlement de M. Bret !

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Le Parlement aura également la possibilité de s’exprimer sur les interventions des forces armées françaises à l’étranger, autrement que par le biais de débats généraux ou lors de la discussion budgétaire.

En outre, toutes les propositions d’actes européens, sans plus aucune restriction, seront transmises aux assemblées et pourront faire l’objet de résolutions.

Ce sont des avancées incontestables.

Cette révision est également ambitieuse et novatrice, car elle sera une formidable occasion de repenser les relations et les méthodes de travail entre l’exécutif et le législatif.

Elle sera également pour nous l’occasion de réfléchir sur nos modes de fonctionnement, sur la place des groupes politiques au sein du Sénat et, par là même, sur notre règlement. Le débat politique doit retrouver le chemin de l’hémicycle parlementaire, sans être en permanence rongé par l’excitation médiatique.

L’article 9 du projet de loi constitutionnelle précise que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République en tenant compte de leur population. »

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Mais cette définition n’est pas pour nous pleinement satisfaisante.

Le Sénat, dont les pouvoirs ont été restaurés par la Constitution de la Ve République, a toujours veillé à représenter à la fois la population et les territoires.

Un pays comme la France puise aussi son équilibre et sa cohésion nationale dans la diversité de ses deux chambres.

C’est grâce à leur mode d’élection que les sénateurs peuvent effectivement refléter et exprimer toute la diversité des collectivités territoriales françaises. Le suffrage est, certes, indirect, mais il est universel : les sénateurs sont les élus des élus.

Si le projet de loi constitutionnelle venait à dénaturer la singularité du Sénat, il y aurait là, de notre point de vue, une véritable anomalie démocratique.

Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Nous avons la conviction qu’il faut préserver ce qui fait la force du bicamérisme, à savoir la spécificité du mode d’élection des sénateurs.

Un amendement déposé par la commission, et que soutiendra le rapporteur Jean-Jacques Hyest, permet, par le retour à la rédaction actuelle de l’article 24 de la Constitution, de préserver cette spécificité.

Pour autant, – je tiens à rappeler ce point que d’aucuns ont tendance à oublier – le Sénat n’est pas figé.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement

Non, en effet !

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Il a même démontré, il y a peu, sa capacité d’autoréforme.

En 2003, la majorité sénatoriale a été à l’initiative d’une réforme audacieuse.

Marques d’approbation sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

…l’augmentation du nombre de sénateurs afin d’accompagner les évolutions démographiques du pays sans sacrifier la représentation des départements à faible population.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Bret

Vous ne connaissez que la marche arrière !

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

M. Henri de Raincourt. Si le Sénat doit poursuivre son évolution, il doit veiller à sauvegarder nos équilibres institutionnels et à jouer pleinement son rôle de complémentarité et de modération.

Protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Le Sénat ne saurait être un enjeu politicien étranger à son rôle institutionnel. Par le sérieux de son travail et son sens aigu des responsabilités, il vaut mieux que cela.

Marques d’approbation sur certaines travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

La dernière dimension de ce projet de loi consiste à conférer de nouveaux droits à nos concitoyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

La modernisation de nos institutions serait inachevée si elle ne favorisait pas une démocratie plus vivante, plus ouverte.

Comme l’affirmait le Président de la République, notre loi fondamentale n’a pas seulement pour vocation d’organiser le fonctionnement des institutions ; elle reconnaît également aux citoyens des droits qui doivent évoluer au rythme des sociétés.

Le projet de loi constitutionnelle répond, de notre point de vue, à cette attente, en conférant à nos compatriotes de nombreux droits nouveaux, dont l’exception d’inconstitutionnalité, qui existe dans toutes les grandes démocraties.

Nous partageons votre sentiment, monsieur le Premier ministre : la réforme des institutions est une chance historique pour la Ve République. Ne la ratons pas, saisissons-la ! Si, par malheur, cette réforme échouait, il n’est pas certain – c’est même improbable ! – que l’occasion se représenterait avant longtemps.

Le Président de la République le soulignait le 12 juillet 2007, à Épinal, vous vous en souvenez, monsieur le président : « Les institutions, ce sont les points fixes des sociétés humaines. Les institutions, c’est le pont entre le passé et l’avenir. Les institutions, c’est tout ce qui permet que les énergies, les volontés, les imaginations se complètent et s’additionnent au lieu de se disperser et de se contrarier ».

La Constitution, voilà notre guide. C’est dans cet esprit que notre assemblée doit mener ses travaux, animée par le seul souci de servir la République, la France et les Français.

Bravo ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP ainsi que sur certaines travées de l ’ UC-UDF et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réforme de nos institutions devrait être l’occasion de mener une réflexion en profondeur sur les rapports entre les citoyens et leurs institutions. Si nous ne l’avons pas encore fait, le rejet du traité de Lisbonne par le peuple irlandais devrait nous y inciter encore davantage.

La construction européenne actuelle est, en effet, tout un symbole. Elle se fait sans les peuples, pour la bonne raison qu’elle tourne le dos à leurs aspirations.

Quand les peuples sont consultés, comme ce fut le cas dans trois pays, en 2005, sur le traité constitutionnel européen, deux votent contre, alors même que leurs parlementaires avaient voté majoritairement pour.

Les chefs d’État, en France comme dans les autres pays, n’en ont cure ; ils décident de ne pas consulter leurs peuples, que les parlementaires désavouent en votant le traité de Lisbonne. Le gouvernement irlandais, obligé de consulter, vient, quant à lui, d’être désavoué par les citoyens !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Allez-vous persister ? Le Président de la République, bientôt Président de l’Union européenne, va-t-il escamoter le « non » irlandais comme il l’a fait avec les « non » français et néerlandais ?

Comment s’étonner que la distance entre les citoyens et ceux qui sont censés les représenter ne cesse de se creuser ? En avril, moins d’un an après l’élection présidentielle, 71 % des Français estimaient que les politiques ne se préoccupaient pas de leur opinion. D’ailleurs, ils se sont de nouveau massivement abstenus aux élections municipales et cantonales lors desquelles, qui plus est, vous avez été sanctionnés.

Cette crise de la représentation politique est lourde de dangers pour la démocratie. Aussi, les deux questions à se poser, et les seules qui vaillent au moment de débattre d’une réforme de la Constitution, sont les suivantes : la réforme répond-elle à cette crise ? Est-elle une avancée démocratique pour le peuple ?

Le seul fait que le Président de la République n’ait pas jugé bon de consulter le peuple sur sa réforme, dont M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement estime qu’elle est la plus importante depuis 1958, en dit long !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

La Constitution est la loi fondamentale qui unit les citoyens. Elle ne saurait être la propriété de quelques experts désignés par le seul Président de la République et de la classe politique.

Vous affirmez que le candidat Nicolas Sarkozy avait annoncé ses intentions. Il n’y a donc pas besoin de consulter le peuple ! Mais ce candidat avait dit alors beaucoup de choses, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

... par exemple sur le pouvoir d’achat : on voit ce qu’il en est !

Sur les institutions, il disait ainsi, le 14 janvier 2007, dans un discours prononcé lors du congrès de l’UMP et cité par M. de Raincourt : « Notre démocratie n’a pas besoin d’une nouvelle révolution constitutionnelle. On change trop notre Constitution. [] Mais nous devons changer radicalement nos comportements pour aller vers davantage d’impartialité, d’équité, d’honnêteté, de responsabilité, de transparence ».

Je vous laisse juges de son comportement. Ce qui est certain, c’est que celui-ci a quelque chose à voir avec l’hyperprésidence qu’il a souhaité constitutionnaliser une fois élu, comme l’atteste son discours d’Épinal du 12 juillet 2007.

S’agissant de la transparence, je vous laisse également juges : au moment même où le Parlement débat de la réforme des institutions, dans laquelle ne figure aucune indication sur les modes de scrutin, le Gouvernement « concocte » sans aucune transparence une modification du mode de scrutin régional et législatif ainsi qu’un redécoupage des circonscriptions, paraît-il encore plus favorable à la majorité, en tout cas au bipartisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

La feuille de route du Président de la République au comité Balladur était claire et les soixante-dix-sept propositions en sont sorties « conformes », comme disent les parlementaires : un présidentialisme inspiré de la Constitution américaine, mais assorti des pouvoirs exorbitants que confère la Constitution de 1958 au Président de la République française et agrémenté d’un parlementarisme rationalisé à la britannique, sans les inconvénients pour l’exécutif.

Autrement dit, un Président de la République seul véritable chef de l’exécutif, doté d’une majorité qui lui doit son élection – le comité Balladur prévoyait d’ailleurs qu’elle soit élue le même jour ! – et dont il est aussi le chef, comme il est le chef du parti majoritaire, s’adressant directement au Parlement, disposant donc d’un pouvoir d’injonction à la représentation nationale, alors même qu’il est irresponsable et dispose du domaine réservé, du droit de dissolution, de l’article 16, et je pourrais continuer l’énumération.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Les qualificatifs abondent : « dérive bonapartiste » ou « monarchie présidentielle », comme le craignait déjà M. Mazeaud, en 1993, à propos du quinquennat.

Certes, vous avez dû composer avec votre majorité et gommer quelques aspects dès l’avant-projet, notamment ceux qui tendaient de fait à supprimer la fonction de Premier ministre. Mais, soyons clairs, l’économie générale reste la même, si l’on excepte la disparition, au passage, des quelques propositions du comité Balladur visant à introduire une dose de proportionnelle dans les scrutins, à démocratiser un tant soit peu l’élection sénatoriale ou à limiter le cumul des mandats.

Le résultat, après le passage à l’Assemblée nationale, c’est que la confusion des pouvoirs demeure, mais que le parti majoritaire est conforté dans sa surreprésentation.

Alors, vous agitez un leurre : cette réforme constituerait, selon vous, un renforcement des pouvoirs du Parlement que les parlementaires, toutes opinions confondues, seraient coupables de refuser, et vous vous êtes même fait menaçant, monsieur le Premier ministre. Le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement a même qualifié les dispositions concernées de « révolutionnaires ».

Il y a des limites à la méthode Coué, et je constate que vous avez du mal à convaincre.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Mon collègue Guy Fischer interviendra plus particulièrement sur ce point. Je dirai seulement quelques mots.

Qu’en est-il, ainsi, de l’ordre du jour des travaux parlementaires, dont vous avez inondé la presse ? En guise de partage, vous proposez deux semaines par mois pour le Gouvernement et une pour le Parlement, dont un jour pour l’opposition. Est-ce cela, le statut de l’opposition ?

Le travail en commission ? L’objectif est clair : réduire le débat en séance publique et remettre en cause un droit élémentaire des parlementaires, celui d’amender.

Le projet instaure un véritable « 49-3 » de la majorité présidentielle. Je m’étonne donc que notre rapporteur propose de rejeter la limitation du recours à l’article 49, alinéa 3 : le Gouvernement n’en aura plus besoin !

Le droit de résolution ? Il n’ajoute aucun pouvoir au Parlement. On voit ce qu’il en est en matière européenne !

Les débats thématiques n’apportent rien non plus. On peut d’ailleurs se demander s’ils ne sont pas un moyen de contourner la responsabilité du Gouvernement.

L’intervention du Parlement dans les nominations présidentielles ? La majorité des trois cinquièmes exigée pour les refuser la rend inopérante.

En réalité, le projet de loi constitutionnelle ne touche en rien au déséquilibre structurel des pouvoirs inscrits dans la Constitution de 1958, que nos prédécesseurs communistes n’avaient pas votée, déséquilibre accentué par l’élection du Président de la République au suffrage universel et aggravé par le quinquennat et l’inversion du calendrier, réformes que nous n’avons pas votées non plus.

Votre projet organise une rationalisation non démocratique de la décision politique, accentuant le bipartisme et le fait majoritaire issu de l’élection présidentielle, et rendant illusoire la séparation de pouvoirs.

En revanche, ce texte tourne le dos aux exigences démocratiques en ignorant les évolutions désormais largement soutenues par la population : le mode de scrutin proportionnel, la limitation du cumul des mandats, le vote des immigrés aux élections locales, l’initiative citoyenne

Pourtant, le respect du pluralisme, et donc la représentativité du Parlement, sont constitutifs de cette « démocratie irréprochable » annoncée par le Président de la République, ce que Mme le garde des sceaux se plaît à relayer à chacun de ses propos.

Or le Parlement n’est absolument pas représentatif de la société, avec une moyenne d’âge de soixante ans, 18 % de femmes, 1 % d’ouvriers, une surreprésentation des professions libérales et des hauts fonctionnaires, et l’absence de toute diversité d’origines. Le cumul des mandats et les modes de scrutin en sont largement responsables.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

La majorité sénatoriale atteint des sommets en refusant toute évolution du mode de scrutin sénatorial.

Vous avez renoncé à constitutionnaliser l’impossibilité d’élargir le corps électoral mais, également, à tenir compte de la population. C’est donc le retour à la case départ ! Il s’agit d’un cas unique en démocratie : une assemblée législative dotée de pouvoirs de veto et toujours à droite, quel que soit le choix des électeurs.

Mais que représente le Sénat, sinon les populations des collectivités locales ? Les édifices ? Les terres ? Les propriétés ? On se le demande !

Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Il ne faut pas se fâcher, c’est mauvais pour la santé !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Ce projet ignore l’aspiration à une démocratie plus citoyenne, qui se manifeste pourtant au niveau des collectivités territoriales.

Les députés ont réintroduit le référendum d’initiative populaire proposé par le comité Balladur et censuré par le Gouvernement. Mais sa mise en œuvre est si restrictive qu’elle est quasi impossible. Il s’agit d’ailleurs plutôt d’un référendum d’initiative parlementaire. Or, je le rappelle, des parlementaires, avec un moindre nombre, peuvent d’ores et déjà être à l’initiative d’un référendum. Il n’y a donc là rien de nouveau, hormis une annonce démagogique.

Vous répondez en évoquant la nouveauté que représente pour les citoyens l’exception d’inconstitutionnalité. Soit ! Mais à Conseil Constitutionnel inchangé, il ne s’agit pas d’une avancée démocratique. En tout état de cause, le contrôle de constitutionnalité doit renvoyer les dispositions litigieuses au vote du Parlement.

Le projet de loi constitutionnelle ignore le nécessaire respect des droits des citoyens, sans lequel il n’y a pas de droit. L’expérience du droit au logement opposable, que vous avez concédé et que l’État ne peut assurer, aurait dû vous alerter.

Vous répondez, cette fois, en invoquant la création du défenseur des droits des citoyens, tout en renvoyant à plus tard la détermination de ses compétences et de son champ d’intervention. Est-il bien raisonnable de demander aux parlementaires de s’engager à l’aveugle ? D’ailleurs, sur trente-cinq articles, vous renvoyez au moins quinze fois à la loi organique. En revanche, vous fixez très précisément le nombre de députés et de sénateurs. C’est un comble !

Ce projet de loi constitutionnelle ignore aussi une question essentielle : le respect du pluralisme dans les médias, pourtant gage d’une démocratie « irréprochable », pour employer vos propres termes !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Il ignore la nécessaire implication des citoyens et de leurs représentants dans les choix européens. Vous ne proposez aucun pouvoir réel du Parlement sur les mandats des représentants du Gouvernement dans les négociations européennes. Pire encore, la majorité veut revenir sur l’obligation de référendum en matière d’évolution de la construction européenne.

Fort heureusement, la commission des lois n’a pas été convaincue par Mme Dati...

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Bret

Il faut dire qu’elle n’est pas très convaincante !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

... et a rejeté le dispositif de l’article 11, qui permettait la rétroactivité de la loi, y compris la loi pénale.

Nous prenons acte du fait que la commission a supprimé la présence du ministre de la justice lors des séances des formations du Conseil supérieur de la magistrature en matière de nomination et de discipline, ainsi que l’insertion dans le domaine de la loi de la répartition des litiges entre juges judiciaires et administratifs.

Mais, franchement, rien de tout cela ne change la nature du projet de loi constitutionnelle.

Vous l’avez compris, notre opposition à cette réforme est globale ; on pourrait même dire « frontale », pour répondre à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d’État

Tant mieux !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

M. Karoutchi nous a dit, en effet, qu’il n’existait pas d’opposition frontale à ce projet de loi constitutionnelle : je tiens à le démentir.

Mes chers collègues, la seule réponse à la défiance envers les politiques dont nous sommes tous victimes, c’est de donner plus de pouvoirs aux citoyens et des pouvoirs réels au Parlement. Nous sommes, nous, résolument pour un régime parlementaire, régime reconnu, je le rappelle, comme étant le plus démocratique, avec des élections à la proportionnelle et avec un Parlement qui retrouve ses prérogatives non seulement en matière budgétaire, mais aussi en cas d’utilisation des forces armées – et pas quatre mois plus tard ! – et pour ce qui a trait à la politique européenne.

Nous sommes pour le respect du pluralisme tel qu’il existe dans la société, et donc pour la reconnaissance des droits et moyens des groupes politiques.

Nous sommes pour le droit de vote des résidents étrangers, pour la reconnaissance de la démocratie participative, pour un droit d’initiative législative des citoyens et des collectivités locales.

Nous sommes pour des droits réels en faveur des salariés et de leurs représentants, tant sur les conditions de travail que sur les choix des entreprises, une question jamais abordée et pourtant au cœur d’une démocratie moderne.

Chacun ici l’aura compris : les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, comme leurs homologues de l’Assemblée nationale, voteront contre ce projet de loi.

En effet, la réforme ici proposée va à l’encontre des exigences démocratiques de notre temps. La gauche a voté contre à l’Assemblée nationale. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement d’ici au Congrès du Parlement.

Monsieur le Premier ministre, vous aviez dit, en décembre, que la réforme nécessiterait l’obtention d’un consensus pour être adoptée. De consensus, il n’y en a pas. Alors qu’il s’agit de réformer la loi fondamentale du pays, assistera-t-on au marchandage de quelques voix pour arriver aux trois cinquièmes requis ? Je n’ose pas le penser.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis sa promulgation, le 4 octobre 1958, la Constitution de la Ve République a fait l’objet de plusieurs révisions mais rarement, et même jamais, d’une réforme profonde.

Cinquante ans après, le moment est venu de redonner un nouveau souffle à nos institutions. Sans attendre, celles-ci doivent être rééquilibrées, afin que le droit soit mis en accord avec les faits.

L’accumulation de différents facteurs a rendu en effet de plus en plus inapte le « parlementarisme rationalisé », inspiré, à l’époque, par la recherche de la stabilité gouvernementale.

Au fil des décennies, le principe de séparation des pouvoirs, si cher à Montesquieu, est devenu un mythe. Dans la pratique, la Constitution de la Ve république a favorisé l’exécutif au détriment du législatif.

L’installation du fait majoritaire, l’élection du Président de la République par tous les Français, puis, plus récemment, l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, ont achevé d’accentuer, sans contre-pouvoirs, la nature présidentielle de notre régime.

Lorsque ce régime présidentiel consiste à disposer d’un exécutif à deux têtes, dont l’une est élue par le peuple et dont l’autre est responsable politiquement devant le Parlement, nous sommes face à une anomalie conceptuelle à laquelle il convient de remédier.

Le projet de loi constitutionnelle qui nous est proposé est-il en mesure de répondre à l’urgence institutionnelle de notre pays ? Je crains, hélas ! que toutes les conditions ne soient pas réunies pour permettre à notre démocratie de s’épanouir davantage.

Votre réforme, monsieur le Premier ministre, semble trop timide aux yeux des radicaux de gauche, qui se sont investis sur cette question depuis près de vingt ans et qui auraient souhaité que vous fassiez preuve de plus de courage et de détermination.

Si le texte contient des avancées notables, que les radicaux de gauche apprécient, il ne va cependant pas au bout d’une certaine logique qui consisterait à restaurer véritablement le pouvoir parlementaire en supprimant les verrous judicieusement posés par les constituants de 1958 et qui ont conduit, in fine, au musellement des assemblées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

En effet, il aurait été souhaitable d’aller plus loin et, disons-le, d’instaurer la VIe République, plus à même de répondre au défi de l’équilibre général de nos institutions.

Dans cet esprit, nous, radicaux de gauche, avions déposé, en 2000, au Sénat et à l’Assemblée nationale, une proposition de loi destinée à offrir aux Français une Constitution rénovée qui prenne en compte leurs aspirations et rationalise certaines de nos procédures parlementaires et juridiques, afin de rendre à nos concitoyens le pouvoir dont ils peuvent parfois s’estimer légitimement privés.

Notre vision, que j’ai eu l’occasion de défendre devant le comité Balladur, est il est vrai audacieuse, mes chers collègues.

En effet, nous proposons un régime présidentiel fondé sur une séparation stricte des pouvoirs. Dans cette perspective, nous avons déposé une série d’amendements qui permettent d’en finir avec cette dyarchie au sommet de l’État qui est, reconnaissons-le, une exception dans les démocraties occidentales.

Il va bien entendu de soi que cette instauration du régime présidentiel repose sur un renforcement net et sans faux-semblants des pouvoirs du Parlement.

Nous proposons donc de mettre un terme au droit de dissolution et à la motion de censure. Nous voulons également la maîtrise par le Parlement de son ordre du jour et de son fonctionnement, ce qui implique la suppression radicale de l’article 49, alinéa 3, et du recours à la procédure d’urgence pour le vote des lois.

Mes chers collègues, la revalorisation des droits du Parlement passe aussi par la possibilité, pour ce dernier, de donner son accord sur certaines nominations du Président de la République, et non pas seulement son avis. Nous proposerons donc une modification rédactionnelle à l’article 4.

Je me propose de citer quelques-uns, parmi d’autres, des dispositifs qui nous sembleraient opportuns.

Restauré dans ses droits, le Parlement doit aussi garantir l’expression du pluralisme. C’est un volet de la réforme auquel nous tenons. Je dois dire que les rédacteurs du projet de loi constitutionnelle sont insuffisamment volontaires sur ce thème. C’est pourquoi nous proposerons, nous, les radicaux de gauche, une autre rédaction de l’article 24 sur les droits des groupes, car le critère de distinction retenu de la majorité et de l’opposition ne recouvre pas l’exacte réalité de la vie parlementaire et encore moins sa diversité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

En outre, nous souhaitons l’introduction d’une dose de proportionnelle pour l’élection des députés.

En effet, on ne peut pas à la fois proclamer vouloir renforcer les droits des citoyens et les priver du premier d’entre eux, celui d’être représentés au Parlement dans la diversité de leurs opinions.

Le texte est insuffisant sur ce thème et, monsieur le rapporteur, les amendements de la commission des lois destinés à bloquer une éventuelle alternance au Sénat en constitutionnalisant le mode de scrutin sont une provocation, à tel point, d’ailleurs, que vous avez préféré les retirer. Cependant, il n’empêche que le problème du mode d’élection des sénateurs et de l’alternance au sein de la Haute Assemblée reste posé : il ne suscite de votre part ni réponse, ni proposition.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Nous, radicaux de gauche, serons intransigeants sur ce point, tout comme nous le serons aussi s’agissant de l’article 33, affublé, en première lecture, d’un critère démographique qui vise clairement la Turquie. Nous mettrons tout en œuvre pour revenir sur ces petits calculs indignes de la loi fondamentale.

Enfin, mes chers collègues, la Constitution, c’est aussi un ensemble de principes fondamentaux qui doit rester à l’abri de toute transaction circonstancielle ou partisane.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Je pense, en particulier, à la laïcité, de plus en plus fragilisée dans son essence.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

M. Jean-Michel Baylet. Alors qu’elle devrait être un principe intangible, sa définition varie au gré des débats et des souhaits de chacun.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Pour les radicaux, il n’y a pas de laïcité positive, pas plus qu’il n’y a de laïcité négative ou même plurielle. Notre République ne saurait se définir en fonction d’une laïcité à géométrie variable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

M. Jean-Michel Baylet. C’est pourquoi nous souhaitons que soient rappelées avant l’article 1er les sources de ce principe, défini dans la loi du 9 décembre 1905, dans la loi de la République.

M. Jean-Louis Carrère applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Mes collègues députés radicaux se sont abstenus lors du vote de ce texte et leur président, M. Gérard Charasse, a parlé d’une abstention positive. C’est dire que, malgré les critiques, nous estimions que ce projet de loi offrait des avancées et permettait même beaucoup d’espoir.

La vérité nous oblige à vous dire aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, que les amendements de la commission des lois du Sénat, hors l’heureuse initiative concernant la Turquie, scandaleusement visée, et elle seule, par la règle des 5 %, ont beaucoup choqué. Malgré cela, nous voulons rester confiants et, comme l’ont fait nos collègues députés, nous nous abstiendrons, mais sachez que nous passons d’une abstention d’espoir à une abstention négative de prudence.

Sourires sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

M. Jean-Michel Baylet. J’espère que, d’ici au Congrès, vous saurez faire évoluer ce texte de manière satisfaisante – j’en ai dit certaines conditions – et que nous pourrons enfin doter la France d’une Constitution moderne et plus démocratique.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l’UC-UDF et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « notre démocratie a aujourd’hui besoin de voir ses institutions modernisées ». « Il convient […] de mettre un certain nombre de limites aux pouvoirs du Président de la République », « il est indispensable de rééquilibrer les pouvoirs du Parlement par rapport à ceux de l’exécutif. » Il convient également de proposer « les moyens de rendre la fonction parlementaire plus valorisante », de répondre aux attentes de nos concitoyens, qui souhaitent « une vie politique plus ouverte, […] plus représentative de la diversité de leurs opinions, et où les droits des citoyens seraient renforcés. »

C’est ce qu’écrivait le Président de la République à M. Édouard Balladur dans la lettre de mission qu’il lui adressa, lorsqu’il lui confia la charge de présider un comité chargé de préparer cette révision constitutionnelle.

D’ailleurs, Édouard Balladur avait fort bien compris, comme en témoignent ces recommandations formulées dans le rapport remis au Président de la République : « Pour autant, force est de constater que les institutions de la Ve République ne fonctionnent pas de manière pleinement satisfaisante. En dépit des nombreuses révisions constitutionnelles intervenues ces dernières années […] les institutions peinent à s’adapter aux exigences actuelles de la démocratie. » Il faut « encadrer davantage l’exercice des attributions que le Président de la République tient de la Constitution elle-même », « renforcer le Parlement ». « Améliorer la fonction législative, desserrer l’étau du parlementarisme rationalisé, revaloriser la fonction parlementaire, doter l’opposition de droits garantis, renforcer le pouvoir et les moyens de contrôle du Parlement : telles sont, aux yeux du Comité, les grandes lignes du nécessaire rééquilibrage de nos institutions » qu’il convient d’entreprendre afin de donner un caractère plus démocratique à nos institutions.

Notre groupe partage pleinement l’avis de M. Balladur lorsqu’il constate que « la nécessité d’une démocratisation des institutions est pressante. »

C’est donc dire la confiance - voire l’enthousiasme - avec laquelle notre groupe s’est engagé dans ce débat, tant les annonces faites par le Président de la République ou contenues dans l’exposé des motifs du présent projet de loi nous semblaient conformes à ce que nous pouvions formuler nous-mêmes : ce combat était le nôtre !

Nous attendions donc avec une confiance totale cette réforme et nous espérions beaucoup de ce rééquilibrage, destiné à favoriser l’émergence d’une « République moderne », pour reprendre le titre d’un ouvrage de Pierre Mendès France qui, pour beaucoup d’entre nous, alors étudiants, avait un vrai sens.

Les choses semblaient relativement simples pour notre groupe, d’ailleurs. En effet, nous connaissons tous les problèmes qui se posent et nous savons à peu près ce qu’il nous faut pour les résoudre : des institutions rééquilibrées pour une République plus démocratique.

Des institutions rééquilibrées supposent, bien sûr, un Président qui gouverne, mais qui est encadré. Le Président gouverne parce qu’il est élu au suffrage universel direct par l’ensemble des citoyens, et nous devons prendre en compte cette réalité, même si, formellement, de la lecture de la Constitution on peut tirer des conclusions légèrement différentes.

Nous avons souvent évoqué le passé : ainsi, le général de Gaulle, au cours de la conférence de presse du 31 janvier 1964 – je suis sûr que M. Adrien Gouteyron partagera au moins ce souvenir avec moi ! –…

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

M. Adrien Gouteyron. Mais d’autres aussi, monsieur Mercier !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

… rappelait que le Président est la clé de voûte de nos institutions.

Nous sommes d’accord sur ce point, mais il faut encadrer ce pouvoir. Beaucoup des dispositions que contient le projet de loi constitutionnelle donnent satisfaction de ce point de vue.

Nous sommes ainsi d’accord pour limiter à deux le nombre de mandats présidentiels. Nous sommes d’accord pour que la procédure de nomination, qui est si importante, soit encadrée, organisée, et qu’il s’agisse là d’un premier pas vers l’instauration d’une véritable codécision. Nous sommes également d’accord sur les dispositions relatives aux pouvoirs spéciaux et aux opérations militaires.

Ce texte renferme donc, selon nous, un ensemble de mesures intéressantes et de nature à favoriser un meilleur équilibre des institutions, d’autant que d’autres dispositions tendent à libérer le Parlement du carcan dans lequel il a été placé en 1958.

Pour citer une fois encore l’ancien Premier ministre M. Balladur – comme vous le voyez, je fais très attention dans le choix de mes citations, en veillant à ne sélectionner que les meilleures, celles qui ne souffrent d’aucune contestation ! –, il faut « desserrer l’étau du parlementarisme rationalisé ».

Il y eut un temps où nous avions besoin d’un tel parlementarisme rationalisé pour sauver le régime parlementaire et, probablement, la République.

Il y a maintenant un temps pour ouvrir « les portes et les fenêtres », et c’est ainsi qu’il convient d’agir.

Parmi les dispositions du projet de loi constitutionnelle, tout ce qui concerne les pouvoirs du Parlement en matière de vote de la loi, d’évaluation des effets de la loi et des politiques publiques constitue des avancées satisfaisantes, qui recueillent notre assentiment. De la même façon, nous n’avons pas de critiques à formuler sur la fixation de l’ordre du jour : celui-ci sera désormais déterminé par le Parlement, avec des droits préservés pour le Gouvernement.

Par ailleurs, nous réitérons notre attachement au droit de résolution, qui a été supprimé par l’Assemblée nationale. Nous souhaitons donc qu’il soit rétabli par le Sénat. Je le rappelle, ce droit de résolution est essentiel dans un système parlementaire, et il ne faut pas le confondre avec le droit d’interpellation. D’ailleurs, dans sa lettre de mission à M. Balladur, le Président de la République, évoquant les droits du Parlement, soulignait « l’opportunité de permettre au Parlement d’adopter des résolutions susceptibles d’influencer le travail gouvernemental ».

Cette révision constitutionnelle peut donc aboutir à des institutions rééquilibrées. Mais nous souhaitons aussi qu’elle soit l’occasion de construire une République plus démocratique.

Pour nous, le suffrage et les citoyens sont la seule source du pouvoir.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

C’est à partir de cette règle toute simple, basique même, qu’il nous faut organiser la révision constitutionnelle, pour pouvoir enregistrer de réels progrès sur le plan démocratique.

À cet égard, il importe à notre avis d’aller au moins dans deux grandes directions, en s’intéressant tout d’abord à la représentativité du Parlement.

Monsieur le Premier ministre, vous l’avez écrit vous-même en toutes lettres dans l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle : « Un Parlement renforcé est […] un Parlement plus représentatif. »

Pour tout un chacun, un Parlement plus représentatif, c’est un Parlement qui obéit davantage aux citoyens, en s’efforçant de retracer le plus fidèlement possible dans les textes la volonté qu’ils ont exprimée par leur vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Sur ce point, le pluralisme doit être garanti par la Constitution, et ce dans les deux acceptions suivantes : pluralisme de l’expression et de la représentation.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

M. Michel Mercier. Nous souhaitons donc que les groupes parlementaires issus du suffrage universel disposent tous des mêmes droits.

Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

M. Michel Mercier. C’est fondamental ! Nous ne pouvons pas accepter l’idée que, au détour d’une phrase alambiquée, on organise un bipartisme réducteur.

Mêmes mouvements. – M. Philippe Adnot applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Ce n’est pas le bipartisme que le Gouvernement organise, c’est le parti unique !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Monsieur Carrère, cessez d’interrompre systématiquement les orateurs !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Le respect de tous les votes et du pluralisme doit être total. Il en va de la considération que nous, parlementaires, devons à ceux qui nous ont élus.

La démocratie, ce n’est pas simplement l’affaire des élus entre eux ; c’est aussi et avant tout celle des citoyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Bien entendu, nous nous félicitons de ce que nos concitoyens puissent avoir accès à la justice constitutionnelle, ce qui va dans le sens d’une justice plus indépendante. De la même façon, nous approuvons les dispositions relatives au droit européen ainsi qu’aux relations entre le Parlement national et les institutions européennes. S’agissant de l’adhésion de nouveaux États à l’Union européenne, nous souhaitons néanmoins en revenir au texte du Gouvernement.

Mais l’essentiel n’est pas là : si, au départ, nous étions confiants, voire enthousiastes, nous sommes désormais quelque peu inquiets, ayant constaté que la commission des lois a rejeté tous nos amendements.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Vous n’êtes pas les seuls à qui cela est arrivé !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Après une telle fermeture, nous espérons que le débat sera placé sous le signe de l’ouverture totale ! Mais, pour l’instant, je le répète, notre enthousiasme du départ est pour le moins retombé.

Monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, en ce qui concerne le pluralisme de la représentation, soyons clairs : s’agissant de l’Assemblée nationale, tout le monde sait ce que cela signifie ; s’agissant du Sénat, nous considérons que le texte proposé par le Gouvernement est satisfaisant et que, à tout le moins, il convient de le conserver en l’état.

En définitive, nous souhaitons que tous les groupes parlementaires disposent des mêmes droits et puissent avoir les mêmes responsabilités.

M. Jean Arthuis applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Monsieur le Premier ministre, on ouvre le recours en contrôle de constitutionnalité à tout le monde : non seulement aux présidents des assemblées, au Premier ministre, à soixante députés ou soixante sénateurs, mais aussi à tous les Français.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Que ce soit par la voie de l’exception ou par celle de l’action, finalement, cela revient au même.

Ne pensez-vous donc pas que tous les groupes parlementaires pourraient également se voir ouvrir le droit de saisir le Conseil constitutionnel ? Certes, nous pourrons agir en tant que simple citoyen, mais ce serait tellement plus démocratique et tellement plus équilibré de pouvoir le faire en tant que parlementaire.

Cela étant, mes collègues du groupe de l’Union centriste et moi-même accordons toujours une grande confiance au débat, car nous sommes d’abord et avant tout des parlementaires. Nous souhaitons que cette discussion soit l’occasion d’obtenir de bons résultats. Pour l’instant, tel n’est pas le cas.

Je vous ai précisé très clairement les points sur lesquels nous attendons du Gouvernement qu’il fasse plus que nous écouter. Il faut que les intentions affichées par le Premier ministre, par le Président de la République et par M. Balladur au début du processus deviennent réalité ; n’en arrivons pas, de reculade en reculade, au statu quo ou à une simple réformette. Nous souhaitons véritablement faire de cette réforme une vraie réforme dans laquelle les institutions, le Parlement, l’exécutif et les citoyens trouveront leur compte !

Applaudissements sur les travées de l ’ UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – MM. Michel Houel et Jean-Pierre Raffarin applaudissent également.

M. le Premier ministre quitte l’hémicycle.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

M. Jean-Louis Carrère. Il fait fuir le Premier ministre !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, qui oserait prétendre que la modification de nos institutions fait partie des attentes prioritaires des Français ?

Assommés par la flambée des prix du pétrole et des produits alimentaires, inquiets de leur devenir immédiat et, pour les plus fragiles d’entre eux, forcés de choisir entre se loger, se nourrir ou se soigner, les Français ont, à juste titre, d’autres préoccupations. Ils sont néanmoins les premiers concernés, car un débat sur les institutions, c’est d’abord un débat sur le degré de démocratie de ces dernières.

C’est avec cet objectif prioritaire de faire progresser la démocratie que les parlementaires socialistes ont abordé la révision constitutionnelle.

À l’issue de la première lecture, les députés socialistes ont émis un vote négatif, compte tenu de la modestie des avancées effectuées en comparaison des nombreux refus opposés à leurs propositions. Il appartient donc au Gouvernement et à la majorité de manifester, au Sénat, une attitude de réelle ouverture, qui permettrait d’adopter des modifications significatives. Faute de cela, nous serions contraints d’émettre un vote négatif.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Je reconnais volontiers qu’il faut une solide dose d’optimisme pour attendre de ce débat au Sénat un progrès démocratique. Mais ne ratons pas cette occasion de vérifier si, comme nous l’avons entendu lors de la campagne présidentielle, « ensemble tout devient possible ».

Laissons de côté le terme flou de « modernisation » ; il est trop souvent un simple habillage utilisé pour dissimuler, notamment dans le domaine économique, les régressions sociales les plus importantes. Attaquons-nous plutôt au déficit démocratique dont souffrent les institutions de la Ve République.

Le quinquennat a, de fait, renforcé les pouvoirs du Président. La version initiale du projet de loi constitutionnelle prévoyait la possibilité, pour le Président, de venir s’exprimer à sa convenance devant le Congrès, l’Assemblée nationale ou le Sénat.

Cette modification institutionnelle a été qualifiée par Mme Élisabeth Zoller, professeur à l’université Paris-II et directrice du centre de droit américain, de « changement de régime ». La Ve République basculerait alors, selon elle, dans un régime consulaire digne de l’An VIII, le Président cumulant ses pouvoirs actuels d’arbitrage, le droit de dissolution de l’Assemblée nationale et la capacité d’exprimer, en tant que législateur en chef, son programme de gouvernement devant le Parlement. Mme Zoller concluait à la nécessité de mettre en place, à l’instar du système américain, les poids et contrepoids pour « tempérer les effets d’une tyrannie toujours possible de la majorité ».

Les pouvoirs du Président sont suffisamment étendus pour refuser leur extension. En conséquence, mes chers collègues, déplacer plus de neuf cents parlementaires au Château de Versailles…

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

…est sans doute une modernisation si les autobus remplacent les carrosses, mais ce n’est pas une avancée démocratique !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

En revanche, l’encadrement du pouvoir de nomination du Président peut en être une.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Encore faudrait-il qu’il ne s’agisse pas d’un trompe-l’œil.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Donner aux parlementaires un droit de veto à la majorité des trois cinquièmes, c’est en réalité autoriser toutes les nominations qui recueilleraient 40 % d’avis favorable, ce qui n’a pas grand sens quand on dispose de la majorité. En remplacement de ce faux-semblant, il nous semble qu’une réelle avancée démocratique nécessiterait l’obligation de recueillir des parlementaires une approbation de la nomination à la majorité des trois cinquièmes. Au-delà de la reconnaissance majeure qui serait accordée à la personne nommée, cela contribuerait à favoriser la création d’une démocratie respectueuse du pluralisme d’opinion.

Ce respect du pluralisme d’opinion devrait conduire également à nous interroger sur la prise en compte du temps de parole du Président. La règle des trois tiers était acceptable quand les interventions du Président étaient un événement.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Elle ne l’est plus quand celles-ci relèvent de notre quotidien.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Notre demande ne vise pas à contraindre d’une quelconque façon la liberté d’expression du Président ; nous n’avons pas cette cruauté. Notre objectif est simplement de faire disparaître le déni de démocratie dont sont victimes toutes les autres composantes du Parlement.

Le rapport Balladur avait fait une préconisation en ce sens. Il serait important que le Gouvernement évolue positivement sur ce sujet. Il nous revient de faire cesser le caractère grotesque d’un contrôle qui, pendant les semaines de campagne électorale, réglemente à la seconde près le temps de parole, mais ignore ensuite une inégalité audiovisuelle aussi flagrante que permanente.

L’exposé des motifs du projet de loi affirme la volonté du Gouvernement de revaloriser le Parlement. Cette revalorisation ne peut se limiter à des améliorations techniques des travaux parlementaires, et M. le Premier ministre en convient d’ailleurs dans l’exposé des motifs. À cette fin, le Gouvernement souhaite surmonter les contraintes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui « a eu pour effet d’interdire toute évolution de la composition du collège électoral sénatorial dans le sens d’un équilibre plus juste, en termes démographiques, entre petites, moyennes et grandes communes ».

Même si la proposition de modification de l’article 24 est en recul par rapport aux conclusions du comité Balladur, sa rédaction peut permettre une avancée démocratique dont vous fixez d’ailleurs la date d’application en 2011.

La simple perspective de cette avancée glace d’effroi les sénateurs UMP et assimilés ; l’idée même de perdre éventuellement un jour la majorité au Sénat leur est insupportable. Il est urgent pour eux de vider de son sens votre proposition pour que rien ne change au Sénat, et ce quels que soient les choix politiques exprimés par le peuple lors des élections locales.)

Pour y parvenir, une première tentative de ces sénateurs serruriers a consisté à verrouiller de manière explicite la composition actuelle du collège électoral sénatorial en la constitutionnalisant, ce qui interdisait pour l’avenir toute évolution, même mineure. Ils y ont en apparence renoncé ce matin, mais cette modification n’est qu’une illusion puisque la nouvelle proposition n’est rien d’autre que le maintien de la situation actuelle, situation qui ne tient pas compte de la population et que M. le Premier ministre disait vouloir corriger. Il appartient donc à ce dernier de dire s’il approuve ce mépris du suffrage universel, cette négation de la démocratie…

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

… qui s’inscrit à l’opposé de la volonté affichée d’améliorer la représentativité du Parlement.

Revaloriser le Parlement, c’est aussi accorder des garanties constitutionnelles à l’exercice du droit d’amendement. Le droit d’amendement, c’est la liberté d’expression individuelle de chaque parlementaire, qu’il appartienne à la majorité ou à l’opposition. Nous ne pourrions accepter que l’exercice de ce droit soit régi par le seul règlement de chaque assemblée. Nous refusons de remettre dans les mains de la majorité UMP du Sénat le pouvoir de décider quelle liberté surveillée elle daignera nous concéder.

Il me reste un ultime point à évoquer, celui du droit de vote aux élections locales des étrangers résidant dans notre pays depuis plusieurs années. Ces femmes et ces hommes dont souvent les enfants deviennent français sont des acteurs de la vie locale.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Ils participent par leurs impôts au financement des collectivités territoriales, animent parfois des associations au sein de leur commune de résidence. La majorité des esprits a évolué. Le temps semble venu d’avoir le courage politique de proposer cette réforme et de rejoindre ainsi le camp des démocraties les moins frileuses.

En conclusion, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, c’est d’abord du Gouvernement que dépend le sort de la révision constitutionnelle. C’est à lui de donner des signes d’écoute, des signes qui permettront, sans recourir à des petits arrangements politiciens médiocres, de réunir au Congrès une majorité des trois cinquièmes.

La balle est dans votre camp. Il vous appartient que ce camp soit celui du progrès de la démocratie de nos institutions.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin. (Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Sénat examine aujourd’hui le projet de loi de modernisation de nos institutions voulu par le Président Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2007.

C’est un moment grave de notre vie démocratique. Le sujet est en effet d’une extrême sensibilité. La Constitution est le lien indestructible entre la France et les Français. C’est elle qui permet aux Françaises et aux Français de faire vivre la France. C’est la chance pour les Français d’être à la fois héritiers et bâtisseurs de la France.

Toucher au marbre de la Constitution n’est jamais un acte anodin.

Notre débat ne saurait être ramené à une suite d’améliorations d’articles de la Constitution. L’objet de notre débat, c’est la Constitution, mais le sujet de notre pensée, c’est la France.

Nous connaissons tous les mérites de notre Constitution.

La Constitution du 4 octobre 1958 a marqué une rupture salutaire dans notre histoire constitutionnelle. Elle a fait la synthèse entre un régime parlementaire, symbole de démocratie moderne, et l’existence d’un exécutif fort, gage d’efficacité et d’unité.

Si une très large majorité de Français est aujourd’hui attachée à la Ve République, c’est qu’ils ont pu apprécier ses mérites : elle a permis, pendant cinquante ans, de garantir la stabilité, de préserver la démocratie lors des grandes épreuves, de rendre possible l’alternance, d’accompagner la construction européenne et la décentralisation, de traverser les cohabitations.

Au fil des ans, les Françaises et les Français se sont approprié ces institutions, qui ne sont ni de droite ni de gauche. La Ve République est ainsi devenue le patrimoine commun de la nation. Voilà pourquoi nous sommes si nombreux à y être encore aujourd’hui très attachés.

En tant que Premier ministre, j’ai pu, trois ans durant, mesurer au plus près le caractère inestimable de ses règles fondatrices.

Quatre de ces règles me paraissent immuables.

Premièrement, la légitimité populaire du Président : c’est elle qui nous a permis, en 2002, grâce au sursaut républicain, d’écarter l’extrémisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

C’est elle qui fait du Président « l’homme en charge de l’essentiel ».

Deuxièmement, la dualité de l’exécutif : uni dans l’action, mais double dans les institutions. Les deux rôles ne peuvent être confondus. Parce que le Premier ministre est nommé par le Président de la République, sa loyauté est l’essentiel de sa légitimité. Parce que son gouvernement peut être renversé par l’Assemblée nationale, il ne peut être privé de son rôle de chef de la majorité parlementaire.

L’un peut dissoudre, l’autre peut être censuré. L’unité politique ne peut masquer la différence des positions institutionnelles.

Avec Jacques Chirac, j’ai vécu cet équilibre institutionnel de manière apaisée parce que chacune des deux fonctions était respectée par l’autre. Peut-être, pour un Premier ministre, y a-t-il avantage à travailler avec un Président qui a été Premier ministre ?

Sourires sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Troisièmement, l’efficacité de l’action publique : la Ve République a offert à l’exécutif les leviers de l’efficacité pour remédier à l’impuissance politique.

Pour améliorer les équilibres, on peut modifier ces leviers. Il faut cependant veiller à ce que, au total, dans notre pays si difficile à gouverner, l’impuissance politique ne soit renforcée.

On peut contester évidemment les choix politiques des uns et des autres : si j’ai pu réaliser l’essentiel du projet présidentiel de 2002, je le dois aussi à nos institutions et à notre Constitution.

Sur ce sujet, c’est pour moi l’occasion de dire merci à celle qui ne m’a jamais fait défaut, je veux parler de la majorité sénatoriale.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UC-UDF. –Sourires sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Quatrièmement, la séparation des pouvoirs : ce principe fondateur doit être sans cesse protégé. Il est sans doute le plus fragile dans une société de globalisation, de centralisation et de médiatisation. La démocratie représentative est bousculée par certaines illusions de la démocratie participative. Pourtant, la complexité de la société, de ses problèmes et de ses solutions appelle à plus d’expertise, de confrontation et de régulation.

De toutes les institutions, c’est le Parlement qui peut, et doit, être renforcé pour mieux équilibrer l’exercice des pouvoirs.

En de multiples occasions – je pense, par exemple, aux lois bioéthiques ou au récent débat sur les addictions –, le Parlement a montré sa maîtrise de la complexité. Ceux qui ont écouté les interventions de Nicolas About et de Marie-Thérèse Hermange confirmeront mon opinion.

Au total, notre Constitution donne ainsi aux différents pouvoirs la force nécessaire à l’accomplissement de leurs missions pour opérer les réformes difficiles, pour trancher les débats fondamentaux et pour programmer dans le temps l’action publique.

Si une adaptation de notre gouvernance est devenue nécessaire, c’est que l’on ne gouverne plus aujourd’hui un pays comme la France de la même façon qu’il y a cinquante ans.

Voilà cinquante ans, le général de Gaulle expliquait aux Français que « c’était [...] pour le peuple que nous sommes, au siècle et dans le monde où nous sommes, qu’a été établi le projet de Constitution ».

Or force est de constater que les Français ont changé, que les temps ont changé et que le monde, lui-même, n’a rien à voir avec ce qu’il était dans les années soixante.

Au-delà des profonds mouvements nationaux et mondiaux, sociaux et sociétaux, liés à la confrontation des cultures et des technologies, un phénomène politique s’affirme en relation avec la globalisation : la personnalisation du pouvoir.

Même les pays qui ont un régime parlementaire et qui recherchent donc une majorité pour gouverner personnalisent leur campagne et transforment des élections législatives en élections quasi présidentielles. Le dernier débat entre Gerhard Schröder et Angela Merkel a été sur ce point significatif. Le parcours de Tony Blair est aussi démonstratif. Les systèmes médiatiques renforcent partout le phénomène de personnalisation du pouvoir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

En France, l’élection présidentielle au suffrage universel et le quinquennat ont accéléré cette évolution. Cela n’est évidemment pas étranger à ce que certains nomment « l’hyper présidence ».

Dans le monde, les opinions publiques sont en mesure d’identifier les grands pays en désignant nommément leurs leaders. Ce processus très anglo-saxon de appelle de notre part une réflexion et une évolution sur l’équilibre des pouvoirs.

Comment oublier, en effet, que la Chambre des communes, le Bundestag et le Congrès des États-Unis sont parmi les assemblées parlementaires les plus puissantes ?

Dans une démocratie, un fort de l’exécutif doit avoir pour contrepartie un pouvoir parlementaire renforcé, davantage écouté et mieux légitimé.

Mes chers collègues, c’est la raison fondamentale pour laquelle je me situe, en ce qui concerne ce texte, dans le camp des réformateurs. Il s’agit d’éviter toute dérive vers cette « monocratie » à propos de laquelle notre collègue Robert Badinter a exprimé fortement sa crainte.

Aujourd'hui, en France, on constate que, significativement, c’est celui qui se trouve accusé des excès de la personnalisation du pouvoir qui propose la réforme grâce à laquelle nous équilibrerons mieux nos institutions pour faire face aux évolutions du XXIe siècle ! §

C’est pourquoi je salue la lucidité et l’initiative du Président de la République qui, à travers ce projet de réforme constitutionnelle, vise à la fois à encadrer les pouvoirs liés à sa propre fonction et à élargir ceux du Parlement. Mes chers collègues, ma conviction est qu’il est de notre devoir d’oser cette réforme.

Pour ma part – je le dis avec amitié à tous nos collègues qui sont légitimement vigilants quant aux risques que pourrait causer un trop fort mouvement de rééquilibrage des pouvoirs –, les seules limites à ne pas franchir concernent la prééminence de l’institution présidentielle, la pérennité des principaux mécanismes du parlementarisme rationalisé et l’unité de la République face à toutes les tentations d’éclatement, à l’instar de la proposition visant à faire figurer les langues régionales dans la Constitution.

Très bien ! sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Veillons aux principes essentiels ! Dans cet esprit, les défenseurs de la Ve République que nous sommes ne pourraient accepter qu’une éventuelle limitation de l’article 49-3 de la Constitution n’ait pas pour contrepartie un strict encadrement du pouvoir d’obstruction parlementaire.

Je comprends les réserves de Josselin de Rohan sur ce point : mes chers collègues, la dissuasion n’existe que si elle est imprévisible. Si elle est annoncée, ce n’est plus une dissuasion !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Et si l’on sait d’avance qui s’en servira ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La conversion de notre pays au parlementarisme rationalisé a fait du Parlement un partenaire responsable et indispensable pour chaque gouvernement. L’enjeu actuel est de transformer cette relation de loyauté en un partenariat de liberté. Le Parlement doit pouvoir être à la fois loyal aux institutions et libre dans ses convictions.

À maints égards, la concordance des mandats des majorités présidentielle et législative a ouvert la voie à ce véritable « gouvernement de législature » qu’appelait déjà de ses vœux Pierre Mendès-France dans le cadre de son projet de « République moderne ».

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si la réforme proposée par le chef de l’État est adoptée, nous devrons inventer, ensemble, un nouveau rôle pour le Parlement.

Nous avons besoin d’un régime parlementaire fondé sur des rapports plus équilibrés entre le Gouvernement et le Parlement. C’est pourquoi le partage de l’ordre du jour, le renforcement du rôle des commissions permanentes, l’augmentation du nombre de ces dernières et la création d’un comité chargé des affaires européennes, proposée par plusieurs de nos collègues – Josselin de Rohan, Jean-Jacques Hyest, Patrice Gélard, Hubert Haenel et Michel Mercier –, doivent constituer notre projet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Nous avons également besoin de mieux reconnaître le rôle de l’opposition. Notre pays doit pacifier son débat démocratique, afin de progresser sur la voie des réformes.

C’est pourquoi, au-delà des dispositions de ce texte, pour préserver l’harmonie de notre assemblée, nous devrions nous donner pour objectif d’adopter d’un commun accord les principales décisions concernant le fonctionnement du Sénat, notamment l’évolution de son règlement.

Nous avons aussi besoin d’un régime parlementaire qui reconnaisse au Parlement une véritable capacité d’initiative législative. Mes chers collègues, la session ne constitue plus notre horizon : il nous faut désormais passer à un rythme quinquennal. Nous devons penser à la loi de 2008, à celle de 2009, et même préparer celle de 2012. C’est en faisant vivre sa relation au peuple que le Parlement rassurera sur ses capacités.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Les Français n’acceptent plus que les réformes soient préparées dans l’ombre des cabinets ministériels ou sur la foi de rapports d’experts qui restent souvent des amateurs au regard des difficultés que rencontrent les citoyens dans leur vie quotidienne !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

M. Jean-Pierre Raffarin. Nos concitoyens n’admettent plus que des réformes importantes soient conduites sous l’emprise de convictions idéologiques ou sans égard pour le dialogue social.

Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Dernièrement, j’ai eu l’occasion de rappeler que nous avions besoin de la force positive des syndicats réformistes pour conduire les réformes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Le Parlement est là pour instiller de l’humanisme dans la réforme et, partant, la rendre acceptable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Il est là aussi pour rappeler, quand cela est nécessaire, les lignes à ne pas franchir et les principes qui ne sauraient souffrir aucune exception, y compris lorsqu’il s’agit d’initiatives émanant d’un gouvernement issu de la majorité.

Selon Alain Finkielkraut, « être moderne c’est être mécontent ». Mes chers collègues, n’ayons pas peur de la modernité ! C’est la force du Sénat que de savoir qu’il a le devoir d’être libre et responsable.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

M. Bernard Frimat. Sous les pavés du Sénat, la plage !

Sourires sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Nous l’avons montré quand nous avons examiné le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à l’asile : un Sénat indépendant et libre constitue une chance pour nos institutions et une garantie pour tous les gouvernements. Comme le disait Victor Hugo : « La France gouvernée par une assemblée unique, c’est l’océan gouverné par la tempête ».

Notre proposition relative aux conditions de l’élargissement de l’Union européenne, notamment en ce qui concerne la Turquie, constitue la marque de la sagesse sénatoriale.

Nous avons besoin d’un bicamérisme renforcé, nous en sommes tous d'accord. Voilà pourquoi le renforcement du rôle du Parlement doit aussi être l’occasion de revaloriser le Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

C’est pour nous, ne nous y trompons pas, l’occasion de donner plus de valeur à notre travail. En effet, je crois moins à la communication de l’institution qu’à la valorisation du travail des sénateurs !

Au-delà de tous ces textes, ce sont nos pratiques qui doivent évoluer. Par-delà les habitudes, c’est un état d’esprit qu’il faut changer.

Ce mouvement vers un Parlement plus audacieux et modernisé, c’est vous qui l’avez lancé en 2004, monsieur le président du Sénat, avec le soutien de mon gouvernement, en engageant l’auto-réforme de la Haute Assemblée.

Nous connaissons nos responsabilités. Nous mesurons le besoin de Sénat dans la République. Nous nous souvenons de Maurice Schumann, qui affirmait que « le Sénat est l’irrévocable édit de Nantes de la République ».

Toutefois, mes chers collègues, soyons clairs : le Sénat ne constitue pas une monnaie d’échange pour le Congrès, et les sénateurs de la majorité ne cèderont à aucune pression !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

… mais nous connaissons aussi ce que nous devons préserver.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Notre position est ferme, parce que nous voulons des institutions fortes, mais elle n’est pas fermée.

Le Président de la République veut répondre à toutes les critiques adressées à la Constitution. C’est pour cette raison qu’il a émis des propositions que nous approuvons.

Ce projet de loi constitutionnelle répond pour nous à une exigence. Il nous impose des responsabilités. Chaque conviction est respectable, mais serons-nous les seuls parlementaires au monde à refuser les libertés qui nous sont proposées ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Dans l’opposition, on ne voit pas beaucoup de libertés !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Refuserons-nous de tempérer le pouvoir présidentiel, d’évaluer plus et mieux l’action publique, comme nous le propose notre commission des finances, d’anticiper davantage les attentes de la société et d’injecter de la prospective dans le processus législatif ?

Évidemment, notre vote nous engage gravement. En soutenant cette réforme, après l’avoir légitimement amendée, nous nous fixons un objectif : inventer le Parlement et le Sénat du XXIe siècle !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Le défi n’est pas mince, mais je ne le crains pas. Parce que « la France vient du fond des âges » et que « les siècles l’appellent », seul l’immobilisme pourrait l’atteindre.

Je vous propose donc de relever ce défi. Depuis qu’à cette tribune Victor Hugo a dit : « Sénateurs, montrez que vous êtes nécessaires », …

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

C’est tout ce qu’ils ont lu de Victor Hugo !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

M. Jean-Pierre Raffarin. … nous sommes toujours confrontés à la nécessité de gagner la confiance des Français, par et pour le service de la France !

Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, quatre petites heures de discussion générale sur un projet de loi constitutionnelle qui est jugé par ses auteurs et ses partisans comme le plus important depuis 1958, c’est bien peu !

Nous sommes loin d’un grand débat national, pourtant démocratiquement nécessaire dès lors que l’on touche à l’équilibre de nos institutions. Nous sommes bien loin, à l’heure où se déroulent des opérations contestables pour gagner quelques voix à Versailles, du référendum tout aussi démocratiquement nécessaire, comme en 1958, en 1962, en 1969 et en 2000, lors de réformes constitutionnelles importantes.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Un fait est certain : ce texte ne satisfait pas à l’attente démocratique de notre peuple, qui, à chaque consultation électorale, s’annonce plus forte et plus impatiente.

Rien n’est prévu pour répondre à une question essentielle : comment rapprocher le citoyen et ses représentants des centres de décision européens ? Pourtant, il s'agit tout de même de l’un des problèmes clefs de l’heure !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Charasse

Le problème de l’Europe, c’est le peuple !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Or, le projet de loi constitutionnelle effleure le sujet. Pis, il impose un traité, celui de Lisbonne, qui, comme l’a rappelé Robert Bret, est aujourd’hui rendu caduc dans sa forme actuelle par le peuple irlandais.

Ainsi, les vestiges des défunts traités s’accumulent dans notre Constitution. Comment commencer ce débat sans tirer les leçons de la crise institutionnelle européenne actuelle, qui emporte de lourdes conséquences sur la hiérarchie des normes entre la nation et l’Europe ?

Ce texte ne répond pas non plus aux attentes démocratiques de notre peuple à l'échelle nationale. Rien n’est prévu, sauf une initiative parlementaire s’appuyant sur une démarche populaire extrêmement encadrée pour rétablir le lien entre les institutions et les citoyens. La démocratie participative, dont tout le monde ou presque se réclame, reste lettre morte.

Cette révision n’améliore pas la représentativité des assemblées. L’idée même d’une représentation proportionnelle, pourtant affichée, certes de manière très restreinte, par Nicolas Sarkozy durant sa campagne, lors de l’installation du comité Balladur et dans la lettre qui dictait à François Fillon le présent projet de loi constitutionnelle, se trouve écartée d’un revers de main. Pourtant, 81 % des Français y sont favorables, comme le révélait un sondage publié l’hiver dernier.

En outre, le droit de vote des étrangers se trouve exclu, ainsi que toute réforme réelle du Sénat.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, affirmait que cette réforme n’était ni de gauche ni de droite.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

En tout cas, les refus que j’évoque montrent qu’il ne s’agit pas d’une réforme de gauche, bien au contraire !

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Mais puisque j’ai dit : « Ni de gauche ni de droite » !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Le combat de la gauche, des forces qui portent l’espérance des plus faibles, des exploités, des plus modestes, des plus démunis, …

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Allons donc !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

… ne peut se retrouver dans un texte qui vise à concentrer les pouvoirs entre les mains d’un seul homme et à briser le débat démocratique au sein des assemblées parlementaires.

La conception, la construction puis la représentation de ce texte reposent sur une hypocrisie fondamentale : il restaurerait les droits du Parlement et permettrait de brider le pouvoir exécutif. Depuis un an, nous observons M. Nicolas Sarkozy, relayé par M. Édouard Balladur et par le Gouvernement, agiter ce leurre.

C’est une véritable campagne d’intoxication qui s’est déroulée, et qui continue. Cadrés par différentes lettres de mission invoquant la nécessité d’un « renforcement des pouvoirs du Parlement », les porte-parole du Président de la République se sont mis à l’ouvrage : la réforme aurait pour conséquence « un pouvoir législatif profondément renforcé », selon Mme Dati ; elle constituerait une « révolution », selon M. Karoutchi, …

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Oui !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

… qui pense « faire aboutir des réformes souhaitées depuis des années, voire des décennies, par tous les groupes parlementaires ».

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Ah oui ! J’ai le droit de rêver !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, qui a sans doute décroché le prix du meilleur vendeur de cette révision constitutionnelle, indiquait même, le 23 avril dernier, que ce texte allait « rendre à chaque parlementaire un vrai rôle, une vraie identité et lui donner une vraie influence dans l’élaboration des lois ».

Comme le dit l’adage, « plus c’est gros, mieux ça passe » !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Jean-Louis Carrère applaudissent.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Et plus c’est vrai !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Mais quel aveu du réel mépris que vous portez à l’égard des assemblées, monsieur le secrétaire d’État !

Ainsi, M. Accoyer, président de l’Assemblée nationale, …

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

…percevait-il dans ce texte, voulant sans doute ne pas être en reste, « une chance historique de renforcer les pouvoirs du Parlement ».

Avant de vous démontrer point par point que de telles affirmations relèvent de la plus pure propagande, permettez-moi une première remarque : pourquoi ne pas avoir fait confiance au Parlement pour élaborer cette révision qui, selon vous, le concerne en premier lieu ?

Comme l’indiquait un professeur de droit constitutionnel, « qu’une commission nommée par l’exécutif octroie des droits nouveaux au Parlement a quelque chose de paradoxal, presque d’indécent ». C’est ce même professeur, M. Serge Sur, qui a lancé cette formule particulièrement pertinente selon laquelle « ce prétendu renforcement du Parlement n’est que la salade qui entoure le rôti ».

Le « rôti », c’est le discours du Président de la République devant le Parlement, c’est la présidentialisation du régime, mise en place selon « la politique de l’artichaut », c’est-à-dire feuille après feuille.

Nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, dénoncent la tromperie de ce projet de loi et mettent en lumière sa vraie nature, à savoir un pas vers la présidentialisation, je dirai même vers l’hyper-présidentialisation.

Or cette baudruche se dégonfle au fil des semaines, et nous pouvons être reconnaissants à M. Hyest de ne pas masquer grand-chose dans son rapport, en exposant sans sourciller comment les droits des parlementaires, celui d’amender, celui de débattre, seraient réduits à néant ou presque.

Une cohérence profonde apparaît après décryptage. La primauté conférée au débat en commission, la restriction évidente du droit d’amendement et les nouvelles modalités de fixation de l’ordre du jour constituent une agression voilée, mais d’une rare violence, contre les acquis démocratiques du débat parlementaire.

Ces dispositions constituent un concentré des souhaits affichés depuis des décennies par les adversaires du pluralisme et de la transparence.

Le travail en commission nous est présenté comme la panacée. Or, s’il est nécessaire – et j’attache personnellement une grande importance à ce travail préparatoire, d’approfondissement –, il doit cependant demeurer le prélude de la séance publique, qui est le lieu naturel de la confrontation d’idées, de la présentation au grand jour des propositions des groupes politiques et de chaque parlementaire.

Limiter le travail législatif au travail en commission, c’est mettre à mal le pluralisme, car seuls les groupes importants disposent des moyens d’assumer une présence forte et régulière en leur sein ; c’est donc renforcer le fait majoritaire.

C’est également un coup porté à la transparence. Est-ce le modèle des commissions du Parlement européen qui vous inspire, commissions mises constamment sous pression par des milliers de lobbies qui se révèlent être un véritable fléau ?

Ainsi, le fait de discuter en séance publique sur la base du texte élaboré en commission et non plus du projet gouvernemental est-il présenté comme une avancée démocratique. Or, c’est un mensonge ! Il s’agit, en fait, d’un tour de passe-passe pour modifier profondément la nature du débat en séance publique.

Il convient de faire le lien avec cette nouvelle disposition qui précise, à l’article 18 du projet de loi constitutionnelle, que le droit d’amendement s’exerce « en séance ou en commission ».

Comme le confirme M. Hyest, c’est la conjonction « ou » qui est fondamentale. Il sera ainsi permis de contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, depuis 1990, permettait à chaque parlementaire d’amender en séance publique.

Le but poursuivi est maintenant clair : vous voulez étendre la pratique des procédures simplifiées qui interdit aux parlementaires de déposer des amendements lors de la séance plénière.

Cette procédure est aujourd’hui limitée à des textes d’une portée politique secondaire, comme les conventions internationales. Fait important, tout groupe parlementaire peut aujourd’hui s’opposer à la mise en œuvre de la procédure simplifiée et demander un examen en séance publique.

Ce qui nous est proposé aujourd’hui, c’est de généraliser le champ d’intervention de cette procédure et de retirer aux groupes la possibilité de s’y opposer, en renvoyant la décision à la conférence des présidents, donc à la majorité.

Vous évoquez, monsieur le rapporteur, une loi organique censée préciser la portée de ce nouveau dispositif. Est-il possible d’envisager une telle restriction du droit d’amendement et de la séance publique en restant dans le flou d’un renvoi à une loi organique au contour hypothétique ? Celle-ci aurait déjà dû être élaborée et présentée aujourd’hui aux parlementaires.

Avec une franchise inquiétante, M. Hyest conclut sur ce point en évoquant la possibilité d’une adoption complète des textes de lois en commission, tout en affirmant que les Français ne sont pas encore prêts à cette évolution.

Le droit d’amendement est également attaqué par un autre biais, à savoir la mise en place d’un véritable 49-3 parlementaire. En effet, les motivations de l’article 18 du présent projet de loi, exposées dans le rapport du comité Balladur, sont claires : « La principale proposition du comité est de donner à la conférence des présidents de chaque assemblée la charge de fixer une durée programmée de discussion pour l’examen des projets et propositions de lois. Cela suppose que le temps de la discussion, y compris celui consacré aux motions de procédure, à la discussion générale et à celle des articles soit réparti entre les groupes politiques […] Une fois écoulé le temps de la discussion, celle-ci serait close et l’on en viendrait au vote. En cas de besoin, la conférence des présidents disposerait de la faculté de décider qu’il y a lieu de prolonger le débat, en accord avec le Gouvernement ».

Cette tentation de réduire le débat démocratique est grave. Je constate, monsieur le rapporteur, que, dans vos commentaires sur l’article 18 du projet de loi constitutionnelle, vous n’évoquez pas cette proposition de M. Balladur. C’est pourtant la logique profonde du projet de révision qui transparaît ici, ce qui est appelé « renforcement des droits du Parlement » n’étant autre que le renforcement du fait majoritaire.

Les droits de l’opposition, de la minorité, seront foulés au pied par une conférence des présidents totalement acquise au pouvoir exécutif en place. D’ailleurs, le rapport du comité Balladur ne s’y trompe pas : il évoque cette programmation concertée de la durée des débats comme « un élément essentiel de la rénovation du travail parlementaire ».

Ainsi, pour le Président de la République et l’UMP, rehausser les droits du Parlement, c’est étouffer le droit d’amendement et réduire autant que possible la séance publique.

Le silence et l’obscurité deviendraient de ce fait les qualités nouvelles d’un Parlement modernisé, rénové !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Très bien ! Mais nos collègues de la majorité n’écoutent pas !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Enfin, comment ne pas faire le lien entre ces deux premiers points : d’une part, la limitation du débat au cadre des commissions et la restriction du droit d’amendement et, d’autre part, la nouvelle organisation de l’ordre du jour ? Cette dernière qui, selon M. Hyest, est d’ailleurs complexe, irréaliste, rigide et offre des garanties très insuffisantes pour le Parlement, met en place le recul programmé de la séance publique dédiée au travail législatif.

Faire la loi est pourtant la prérogative première de la représentation nationale depuis la Révolution française. C’est donc à la remise en cause fondamentale de ce principe républicain que nous assistons aujourd’hui.

Deux semaines seraient désormais consacrées à l’examen des textes du gouvernement et à des débats thématiques, une semaine le serait au contrôle, et une journée serait consentie aux groupes non majoritaires : telle serait la nouvelle organisation de l’ordre du jour.

Nous estimons, quant à nous, que le Parlement doit être totalement maître de son ordre du jour et que, s’il souhaite légiférer quatre semaines sur quatre pour répondre aux besoins du peuple, il en a le droit, il en a le pouvoir, il en a le devoir !

M. Patrice Gélard s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Comment ne pas constater, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, que vous imposez un véritable corset au Parlement, …

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

… dont le Président de la République peut resserrer les liens selon son bon vouloir et les exigences de l’heure, avec la complicité du groupe majoritaire, qui détiendra un pouvoir absolu dans chaque assemblée ?

On comprend mieux, dans ce contexte, l’acharnement stupéfiant de l’UMP à conserver la maîtrise du Sénat contre vents et marées, contre la volonté populaire.

Mes chers collègues, en évoquant ces quelques points, j’ai tenu à vous alerter sur l’importance de votre vote. J’ai tenu à dévoiler la véritable ambition du pouvoir en place : changer le régime, porter un coup masqué à la démocratie.

L’évolution du fonctionnement de nos institutions depuis l’élection du Président de la République au suffrage universel, en 1962, devrait vous inciter à une réflexion en profondeur sur le mode d’élection du Président de la République.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, pour leur part, refusent cette rupture d’équilibre au profit du Président de la République et au détriment du pluralisme et du débat démocratique, et c’est sans hésitation qu’ils voteront contre le texte qui nous est soumis.

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Alfonsi

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle relatif à la modernisation des institutions dont nous entamons la discussion est d’une ampleur sans précédent, et il est de ce fait malaisé d’avoir une vue d’ensemble de la révision générale initiée par les propositions du comité de réflexion présidé par M. Balladur.

Il est clair cependant que, au-delà du terme commode de « modernisation » qui comporte toujours une part d’ambiguïté, ce texte prétend, pour l’essentiel, établir le rééquilibrage entre les pouvoirs publics, notamment en faveur du Parlement, ainsi qu’une meilleure protection des droits fondamentaux.

S’agissant de ces droits, nous souscrivons aux dispositions garantissant une meilleure effectivité des droits des citoyens : création par voie constitutionnelle d’un Défenseur des citoyens, assortie des réserves que nous devons exprimer s’agissant du champ de ses compétences et de la concurrence avec les autorités indépendantes existantes ; amélioration du fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, sous réserve de son caractère paritaire, notamment en matière disciplinaire ; enfin, contrôle de constitutionnalité des lois ouvert aux justiciables par voie d’exception suivant une procédure de renvoi préjudiciel au Conseil constitutionnel.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Alfonsi

Il convient, en outre, d’approuver le principe d’égal accès aux fonctions publiques ou privées entre hommes et femmes, ainsi que l’appartenance des langues régionales au patrimoine de la République, même si le fait d’inscrire ce principe dans un article 1er A de la Constitution est en chute libre par rapport à l’indivisibilité de la République et peut surprendre certains constitutionnalistes.

S’agissant du rééquilibrage entre pouvoirs publics, ce qui va dans le sens du renforcement réel des pouvoirs du Parlement mérite également d’être soutenu. Mais ce renforcement n’est-il pas en réalité illusoire ?

Certes, il est temps de desserrer certains mécanismes du parlementarisme rationalisé, notamment par une meilleure répartition de l’ordre du jour, par l’augmentation du nombre des commissions permanentes, par les assouplissements apportés au droit d’amendement, ou encore par l’allongement du délai d’examen des textes.

De la même façon, la faculté de consulter pour avis le Conseil d’État concernant les propositions de lois, l’amélioration du contrôle et de l’évaluation des politiques publiques, y compris par des résolutions sur des actes communautaires, ou encore la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel en ce qui concerne l’article 16 de la Constitution, sont, à nos yeux, souhaitables.

Si les aspects positifs du projet de loi constitutionnelle doivent être soulignés, l’ajustement des responsabilités au sein du pouvoir exécutif peut, en revanche, susciter plus de perplexité au moins sur deux points.

D’une part, la modification du rôle du Premier ministre dans le domaine de la défense nationale ne s’impose pas d’évidence.

D’autre part, et surtout, les modalités de communication du Président de la République avec le Parlement appellent une appréciation nuancée.

D’un côté, le droit d’accès du Président de la République aux assemblées rompt avec une longue tradition parlementaire héritée des débuts de la IIIe République, pleinement justifiée par l’absence de responsabilité du Président devant l’Assemblée nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Alfonsi

D’un autre côté, la révision proposée n’a apparemment pas d’autre objet que de moderniser le droit de message, qui peut apparaître suranné.

Après tout, le Président est appelé à s’exprimer dans l’enceinte de parlements étrangers, et des chefs d’État étrangers sont déjà intervenus devant le Parlement français.

Mais pour autant, est-ce un argument suffisant pour rompre avec une tradition qui risque de conduire le Président de la République à sortir de son rôle d’arbitre et de porter éventuellement atteinte à son crédit ?

Sans doute l’inconvénient que présente l’intervention sans débat ni vote à l’Assemblée nationale, alors que seul le Gouvernement est responsable devant celle-ci, a-t-il été atténué en première lecture puisqu’il a été prévu que le Président de la République ne peut prendre la parole que devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. Cela signifie néanmoins que le Congrès devrait être convoqué – une fois par an ? À tout moment ? – et que les parlementaires devraient s’habituer à se réunir à Versailles pour ne pas voter.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Alfonsi

Voilà une troublante innovation lorsque l’on sait que, jusqu’à présent, les congrès à Versailles se concluaient toujours par un vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Alfonsi

En réalité, nul ne peut prévoir la pratique institutionnelle qui résulterait d’une telle disposition.

Sans s’alarmer a priori, on peut légitimement s’interroger, d’une manière plus générale, sur l’acclimatation aux institutions de la Ve République de dispositions inspirées du régime présidentiel américain, telles que l’adresse au Congrès, l’interdiction d’exercer plus de deux mandats présidentiels ou l’avis parlementaire sur les nominations considérées comme les plus importantes.

En définitive, ce sont plutôt des mesures inutiles ou incertaines qui entretiennent le doute et appellent des réserves.

Quelques dispositions du projet de loi constitutionnelle recouvrent des mesures de convenance dont la justification objective n’a pas jusqu’à présent été exposée avec une clarté suffisante.

Ainsi en est-il du droit de retour automatique au Parlement des ministres démissionnaires ; cette disposition déjà envisagée puis abandonnée en 1974 ne répond pas à l’esprit de la Ve République. Elle serait sans effet sur la stabilité gouvernementale, mais pas sans conséquence sur l’instabilité ministérielle au sein du Gouvernement.

D’autres dispositions sont des mesures en trompe-l’œil. Ainsi, la limitation des conditions dans lesquelles le Gouvernement peut engager sa responsabilité sur un texte devant l’Assemblée nationale est-elle un réel renforcement des droits du Parlement alors que cette responsabilité n’a été mise en jeu qu’à trois reprises depuis dix ans ?

Nous aurons l’occasion de revenir sur cette modification essentielle qui marque à nos yeux une rupture profonde avec la tradition de la Ve République et tente de faire croire à l’opinion que le crédit du Parlement se trouvera augmenté.

De même, le référendum d’initiative mixte, mi-parlementaire mi-populaire, selon nous difficilement praticable, n’apparaît pas comme un progrès réel pour l’institution parlementaire.

Enfin, la Constitution ne saurait comporter, nous semble-t-il, des mesures de circonstances. Une révision constitutionnelle ne doit pas être faite, défaite, refaite, au gré de l’évolution de nos réflexions sur l’élargissement, en particulier de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, car il est alors à craindre que les détenteurs du pouvoir constituant ne se déterminent uniquement en fonction de leurs convictions politiques du moment.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Alfonsi

Nous avons apprécié les efforts du président de la commission des lois pour parfaire le texte adopté par l’Assemblée nationale, sous réserve du scrutin sénatorial sur lequel nous émettons les plus vives réserves.

Si la commission des lois a sensiblement amélioré ce projet fourre-tout – j’allais dire ce projet « baroque » –, bien des réserves demeurent.

Madame le garde des sceaux, vous connaissez les sensibilités différentes qui s’expriment au sein de notre groupe et qui se sont encore récemment enrichies. Ouvert à la discussion et ne nourrissant aucun préjugé sur ce texte, nous nous déterminerons, à l’issue du débat, en fonction des améliorations qui lui auront été apportées.

Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP, de l’UC-UDF et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans la grande révision constitutionnelle qui nous est présentée afin de moderniser les institutions de la Ve République, le point central, celui qui nous concerne le plus directement, est la rénovation des méthodes de travail du Parlement.

J’interviens en qualité de président de la commission des affaires sociales, mais ne concluez pas du fait que je n’aborde pas l’ensemble des autres dispositions que je les tiens pour négligeables.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

Cette révision présente, pour nous, deux intérêts majeurs.

D’abord, elle vient affirmer solennellement que le rôle du Parlement consiste, parallèlement à sa mission la plus sacrée de législateur, à exercer sa puissance de contrôle de l’action du Gouvernement. Ce n’est certes pas une innovation. Nous effectuons depuis longtemps cette tâche difficile qui mobilise du temps, de l’énergie et des moyens, notamment humains, moyens qui demeurent encore réduits au vu de l’ampleur de l’ouvrage.

C’est dans cet objectif que nous avons créé, au sein de la commission des affaires sociales, la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, qui fait désormais figure d’expert dans le monde austère des finances sociales. Je le dis sans immodestie, sachant que c’est à son président, M. Alain Vasselle, qu’elle le doit.

Je suis très satisfait du choix que nous avons fait de mêler étroitement vote des lois, en l’occurrence la loi de financement de la sécurité sociale, et organe de contrôle. Cela nous permet de savoir comment et quoi contrôler avec pertinence, tout en préparant sur un mode prospectif les réformes à venir.

C’est pourquoi je ne doute pas que, après avoir obtenu la reconnaissance de la MECSS dans la loi organique, notre assemblée s’emploiera à en affirmer officiellement l’existence dans son règlement, lequel sera appelé à être profondément remanié à l’issue de la procédure de révision constitutionnelle.

Par ailleurs – et c’est le second point de mon propos –, la procédure pratique d’examen des textes de loi devra rompre avec des habitudes solidement ancrées, acquises depuis 1958.

La rupture qui sera, pour nous, la plus sensible tient au fait qu’il nous est proposé de débattre désormais en séance publique du texte issu des travaux de la commission saisie au fond.

C’est là une revendication ancienne qui répond à une logique de respect du travail des parlementaires. Il en découlera néanmoins certaines difficultés techniques, que nous saurons bien sûr résoudre dans notre règlement mais sur lesquelles nous avons encore besoin de renseignements supplémentaires de la part du Gouvernement. Je pense notamment aux modalités pratiques d’application de l’article 40 de la Constitution, à l’ardente nécessité d’une présence renforcée au stade du débat en commission afin d’être assuré de bien rendre compte de la diversité des opinions et de la majorité qui s’en dégagera, à la rigueur et à la sérénité qui doivent présider à l’adoption d’un texte dès lors qu’il fera foi, ensuite, à l’ouverture de la séance publique.

Des amendements ont été présentés sur ce point, y compris par moi-même. Monsieur le président de la commission des lois, je ne doute pas que nous en tirerons les éléments nécessaires à notre réflexion.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

Je l’espère !

Je souhaite aussi que les nouveaux délais d’examen qui, selon le texte du projet de loi, devraient être accordés aux parlementaires pour leur laisser le temps de travailler soient considérés comme une règle impérieuse et respectés.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

Mes chers collègues, je reviendrai plus précisément sur ces différents points à l’occasion de la discussion des amendements que j’ai déposés. Mon intention, croyez-le bien, est de faire en sorte que la norme supérieure, la norme constitutionnelle, reflète les préoccupations de la société actuelle dans la diversité de ses composantes, qu’elle se préoccupe notamment – et vous savez que je n’aime pas ce terme – …

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

M. Nicolas About. …d’égalité des chances et de bonne gestion des finances publiques.

Applaudissements sur les travées de l ’ UC-UDF et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je me serais volontiers associé aux propos liminaires de M. de Rohan lorsqu’il a salué la mémoire du grand homme que fut le fondateur de la République dont nous avons aujourd’hui à nous entretenir.

Jamais on ne témoignera assez de reconnaissance pour celui qui a sauvé l’honneur de la France face à ce qu’il faut bien appeler « l’immonde régime de Vichy ».

J’ai été sensible aussi à l’attention qu’il a manifestée en rappelant que François Mitterrand, devenu Président de la République, avait scrupuleusement observé la Constitution. C’était son devoir de républicain. J’ajoute qu’il disait volontiers qu’avant lui la Constitution était dangereuse, et qu’après lui elle le redeviendrait !

M. Jean-Louis Carrère applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

Lorsque le Président de la République a fait part de sa volonté de réformer les institutions, j’ai d’abord pensé aux brillantes perspectives que cette annonce ouvrait !

Selon la lettre de mission que M. Nicolas Sarkozy a adressée au comité Balladur, il ne s’agissait rien de moins que de « redéfinir les relations entre les différents membres de l’exécutif », c’est-à-dire entre le Président de la République et le Premier ministre, d’encadrer les pouvoirs du Président de la République par de réels contre-pouvoirs, de « rééquilibrer les rapports entre le Parlement et l’exécutif », de s’interroger sur « l’opportunité de reconnaître dans la Constitution l’existence d’un véritable pouvoir judiciaire ». Le Président de la République soulignait également la nécessité de s’interroger sur les modes de scrutin qui « ont à l’évidence un effet majeur sur l’équilibre des institutions ».

D’aucuns pensaient alors, moi le premier, qu’un grand souffle réformateur allait passer sur toute la Constitution de la Ve République.

Sourires sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

Lorsqu’on aime l’histoire, surtout l’histoire constitutionnelle, on ne peut pas ne pas se rappeler que c’est exactement ce que Napoléon, de retour de l’île d’Elbe, avait demandé à Benjamin Constant. On connaît le produit : ce fut le texte étriqué de l’acte additionnel aux constitutions de l’Empire, que Chateaubriand se plaisait à dénommer, ironiquement, « la Benjamine ».

J’ignore le nom que la présente révision laissera à la postérité : peut-être « l’Édouardienne », qui exhale un certain parfum anglais qui conviendrait bien à son auteur ? Néanmoins, tant de propositions du comité Balladur ont disparu en cours de route ou ont été altérées qu’il vaudrait sans doute mieux chercher vers son premier inspirateur et appeler cette révision « la Nicolette ».

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

Néanmoins, je crois plutôt, à mesurer le fossé si large entre les proclamations de départ et les dispositions qui nous seront soumises à l’arrivée, que ce qui s’imposera probablement sera l’expression chère au Président Chirac, que l’on connaît bien : ce sera une révision qui aura fait « pschitt » !

En effet, en matière constitutionnelle, mes chers collègues, la portée d’une réforme se mesure non pas au nombre, mais à l’importance des règles adoptées, et il suffit parfois de modifier un article pour changer la nature de nos institutions. Chacun pensera à cet égard à ce qui est advenu quand le général de Gaulle a fait voter la réforme essentielle de 1962.

Le texte que l’on nous propose compte bien des dispositions. Mais il n’est pas porté remède à ce qui constitue aujourd’hui le défaut majeur de nos institutions : l’hyperpuissance du Président de la République.

Depuis 1962, depuis l’instauration de l’élection du Président de la République au suffrage universel, disposition à laquelle les Français sont d’ailleurs si attachés aujourd’hui qu’il paraît démocratiquement impossible d’y porter atteinte, nous vivons sous un régime singulier : ce que j’appellerai l’« omnipouvoir » d’un homme – peut-être demain d’une femme –, élu démocratiquement par le peuple, certes, mais qui jouit pendant son mandat de pouvoirs supérieurs, quasiment sans comparaison avec ceux de tout chef d’État ou de gouvernement d’une autre démocratie occidentale.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

Tout à l’heure, M. le Premier ministre a eu la gentillesse de rappeler que l’on doit, pour dénommer ce régime, utiliser le terme de « monocratie ». La monocratie, c’est le gouvernement d’un seul ; et c’est bien ce qu’est le régime sous lequel nous vivons.

Je citerai, parce que c’est à mon sens le meilleur commentaire que l’on puisse donner de nos institutions et leur meilleure interprétation, le propos célèbre du général de Gaulle lui-même, dans la célèbre conférence de presse du 31 janvier 1964 : « L’autorité indivisible de l’État est confiée tout entière au Président par le peuple qui l’a élu, il n’en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par lui. » C’est la parole du maître !

Le propos traduit bien la prédominance écrasante du Président de la République française dans nos institutions. Elle ne s’efface que dans un cas : celui de la cohabitation.

Depuis la réforme de 2000, cependant, qui a instauré le quinquennat et a fait se succéder élection présidentielle et élections législatives, toute hypothèse de cohabitation doit, en dehors de circonstances extraordinaires, être exclue.

C’est dans cette conjonction de l’élection directe par le peuple et de la maîtrise de la « majorité présidentielle » – c’est ainsi qu’elle se qualifie à l’Assemblée nationale – qu’il faut trouver la source de l’hyperpuissance du Président de la République française. Il n’y a pas, en effet, comme aux États-Unis, d’autonomie réelle du pouvoir législatif. Le Président américain, je le rappelle, ne peut dissoudre ni la Chambre des Représentants ni le Sénat ! La séparation des pouvoirs, de ce fait, n’est pas une formule, c’est une réalité. En France, au contraire, le Président de la République, tel que les institutions l’ont amené à être, est un véritable aigle à deux têtes : il est le maître souverain de l’exécutif, puisqu’il nomme et renvoie à sa guise tous les ministres, y compris le Premier, en même temps qu’il contrôle politiquement le pouvoir législatif via le principal parti de la majorité, dont il est le chef.

Le résultat est simple, et vous connaissez l’axiome de l’Ancien Régime : « Cy veut le Roi, cy veut la loi. » Je l’ai souvent évoqué, le Président de la République, via la majorité présidentielle, est en fait le principal législateur français.

Si l’on y ajoute le pouvoir de nomination aux grands emplois de l’État, on a la mesure de cette puissance présidentielle qui, je le répète encore, est sans équivalent. Elle est d’autant plus grande qu’elle s’exerce sans que jamais au cours du mandat la responsabilité politique du Président puisse être engagée par ses décisions : c’est tout le pouvoir, sans la responsabilité.

Ainsi, l’échec du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen n’a eu aucune conséquence politique. Et c’est bien là le paradoxe constitutionnel singulier, unique : le Président peut tout et n’est responsable de rien. Je pense que l’on ne peut pas mieux définir la « monocratie » à la française.

La vraie question, s’agissant du projet de révision, est de savoir si celui-ci réduit effectivement ou non la prédominance excessive du pouvoir présidentiel. Or, lorsqu’on analyse ce projet dans le détail, lorsqu’on suit son évolution, on constate que la réponse, hélas ! est pour l’essentiel négative. Ce n’est pas à un rééquilibrage de la Constitution que l’on vous demande de procéder, mes chers collègues ; en vérité, il s’agit tout au plus d’un léger lifting !

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État

Alors, ce n’est pas la peine d’en parler !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

Si l’on s’attache au cœur de notre sujet, le pouvoir même du Président de la République, force est de reconnaître que le projet le conserve pour l’essentiel.

Je laisse de côté l’accessoire : le renoncement aux grâces collectives. Rien ne contraint le Président à accorder des grâces collectives. En revanche, inscrire dans la Constitution que nul ne le pourra plus… Nous avons connu des moments où, entre la surpopulation des prisons françaises et des étés particulièrement chauds, seules les grâces collectives successives conduites par des présidents de la République, par humanisme, je le veux bien, par nécessité souvent, ont permis d’éviter une explosion carcérale.

Je laisse également de côté la légère modification de l’article 16 : la vérité est que celui-ci correspond à l’histoire. Je ne crois pas, au demeurant, que ce soit au Conseil constitutionnel d’intervenir pour en apprécier les conditions : cela ne relève à mon avis pas de sa mission. Mais nous sommes là dans l’extraordinaire.

Quant à la limitation à deux mandats successifs, cette question avait déjà été débattue en 2000 et avait été écartée, non par une sorte d’inspiration néo-poutinienne, mais pour une autre raison : faudrait-il véritablement se priver, dans des circonstances extraordinaires, exceptionnellement graves pour la nation – et l’on pense tout de suite à la guerre –, d’un bon Président, d’un Président qui aurait la confiance des citoyens ? Pourquoi ? Et en temps ordinaire, il est extrêmement douteux, mes chers collègues, qu’un même Président puisse obtenir du suffrage de nos concitoyens, tels qu’ils sont, trois renouvellements successifs.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

Reste la véritable innovation : la prise de parole du Président devant le Parlement réuni en Congrès, suivie d’un débat hors sa présence.

Je me suis interrogé, comme nous tous. Je crois qu’à la vérité il y a là plus qu’une volonté de mettre en scène l’éloquence présidentielle, bien entendu retransmise à la télévision.

En s’exprimant devant le Parlement tout entier réuni en Congrès, …

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

… le Président – pensez-y, mes chers collègues – apparaîtra physiquement devant tous les Français comme le chef de la majorité parlementaire. C’est elle qui applaudira longuement les bons passages, c’est elle qui se lèvera pour l’ovation finale, c’est elle qui approuvera ainsi, spectaculairement, la feuille de route, le programme que le Président lui aura proposé, et ce comme aux États-Unis. Et le rôle constitutionnel traditionnel du Premier ministre comme chef de la majorité parlementaire s’en trouvera gommé aux yeux de tous : ce sera la « Présidence impériale » se montrant en majesté à Versailles.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

J’en viens au pouvoir de nomination du Président de la République à certaines hautes fonctions. Le comité Balladur avait prévu, justement, qu’une commission parlementaire serait constituée qui donnerait son avis sur les projets de nomination, et je considère que c’est un plus. Mais entre-temps est survenu un admirable, un étonnant tour de passe-passe : la proposition qui nous vient de l’Assemblée nationale prescrit certes que le Président ne pourra passer outre un avis négatif de la commission, mais cela ne vaut que si celui-ci a été émis à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Dès l’instant où une telle majorité est requise, exit toute possibilité de rechercher le consensus, et l’opposition se trouve, comme toujours, sans recours !

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

Il a une façon de lire la Constitution qui m’effraie !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

On a mieux que moi évoqué les questions touchant le Parlement. Je relèverai simplement, ne voulant pas à ce stade entrer dans les détails, les éléments suivants : la discussion des textes tels que les auront adoptés les commissions, elles-mêmes plus nombreuses ; la maîtrise partielle de l’ordre du jour partagée entre la majorité et l’opposition, même si, avec quinze jours pour le Gouvernement et une semaine pour la majorité, dont un jour réservé à l’opposition, cela ressemble à un cheval, une alouette ; un droit d’amendement plus libre ; tous ces éléments sont des avancées, de petites avancées, mais des avancées réelles.

Néanmoins, ce qui compte vraiment, c’est le pouvoir du Président s’exerçant au Parlement à travers la majorité dont il est le chef : dans nos institutions, les deux mains, celle de l’exécutif et celle du législatif, obéissent en vérité à un même cerveau, celui du Président.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

La volonté réelle de rééquilibrage passe par les droits nouveaux qui seraient éventuellement reconnus à l’opposition : c’est à cela, et à cela seulement, qu’il faut la mesurer. Or, que constatons-nous ? On nous promet un statut de l’opposition. Or rien ne laisse penser que certaines commissions seraient présidées par des parlementaires de l’opposition – c’est une pratique inconnue au Sénat –….

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

…ou qu’un partage plus avantageux prévaudrait quant à l’ordre du jour.

Quant à l’article 49, alinéa 3, dont on pensait qu’il allait enfin disparaître et qui, s’agissant des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale, je le conçois, doit être conservé, on a constaté avec surprise qu’il faisait sa réapparition dans la version qui nous est proposée par la commission des lois sous réserve d’une formalité : le passage devant la conférence des présidents, qui n’est pas un organe constitutionnel.

Je n’ai point vu d’annonce précise s’agissant du changement de la loi électorale.

Quant au changement concernant le Sénat, Bernard Frimat a dit tout à l’heure comment les choses se présentaient : très simplement, par le maintien de la situation actuelle telle qu’elle a été interprétée par le Conseil constitutionnel, c'est-à-dire qu’au lieu de procéder à une constitutionnalisation explicite de la décision du Conseil constitutionnel, comme on a songé à le faire, on préfère plus habilement une constitutionnalisation implicite de cette interprétation, ce qui, en fait, interdit un changement de majorité à distance perceptible.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

Rappelez-vous à ce sujet que le pouvoir de révision de notre Constitution passe en réalité par l’accord de la majorité du Sénat, et celle-ci, de ce fait, peut, une fois que ce texte aura été conservé, s’opposer ainsi à toute modification puisqu’une majorité de gauche à l’Assemblée nationale verrait censurer par le Conseil constitutionnel toute velléité de démocratiser le scrutin.

On ne saurait mieux dire : c’est condamner d’une certaine manière, non pas à perpétuité, mais pendant une très longue période, …

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

… l’opposition à demeurer telle et la majorité à conserver son pouvoir au sein de la Haute Assemblée.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

C’est une belle avancée démocratique !

Sur le troisième volet, c'est-à-dire les droits des citoyens, qui doivent avoir une importance particulière dans une telle monocratie car c’est l’un des rares moyens que l’on puisse encore utiliser pour préserver leurs droits fondamentaux, j’aperçois une avancée et je m’en réjouis : il s’agit de l’exception d’inconstitutionnalité.

Les anciens savent que j’ai été le promoteur, l’instigateur de cette exception d’inconstitutionnalité en 1989. J’en avais convaincu – difficilement, je dois le dire – le Président Mitterrand, qui était très attaché à la souveraineté parlementaire mais qui avait tout de même rallié cette conception, et des projets ont été présentés à deux reprises.

Avec le Premier président Pierre Drai et le président Marceau Long, nous avions mis au point le système de filtre qui est proposé aujourd'hui et qui figurait déjà dans ces projets, pour éviter la surcharge et en même temps faire en sorte que l’ensemble du corps judiciaire et du corps administratif puisse ainsi être pénétré de l’importance du respect des principes constitutionnels.

Voici que l’exception d’inconstitutionnalité fait maintenant sa réapparition, et j’espère qu’elle sera votée. Je crois me souvenir – M. le président de la commission des lois doit s’en rappeler – que c’est le Sénat qui avait à deux reprises opposé son veto à une telle proposition.

Regardant la réalité de cette révision, au-delà des proclamations et des annonces, et constatant le grand nombre d’articles de ce texte, je retrouve derrière tout cela le mot sublime de Lampedusa dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change ».

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, il s’agit de la vingt-troisième révision de la Constitution en cinquante ans, justifiée par la volonté de rééquilibrer les pouvoirs, nous dit-on, au profit du législatif.

Comme tous les parlementaires, je me réjouis de tout ce qui peut accroître notre influence, surtout lorsqu’il s’agit de mieux contrôler l’action du Gouvernement, de débattre davantage, d’avoir une plus grande marge d’initiative sur le plan législatif et peut-être de prendre davantage en compte, comme le fait le texte, les droits de l’opposition.

Cependant, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, je vais être amené à critiquer l’une des dispositions de ce projet qui me semble dangereuse, et je le regrette : il s’agit de la réforme proposée pour l’article 49, alinéa 3. Cela montre que nous pouvons nous succéder à la tribune et ne pas partager les mêmes analyses : c’est le privilège de la démocratie.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

La mise en place de cet article, en 1958, visait à remédier aux errements des républiques antérieures. Le but recherché était de conforter la notion de majorité, fondement essentiel du régime parlementaire, et de lutter contre l’instabilité ministérielle.

La Constitution de 1946 disposait que la confiance ne pouvait être refusée au gouvernement qu’à la majorité absolue des députés.

Dans la pratique, les majorités se disloquaient parce que la mise en minorité du gouvernement sur un texte, due le plus souvent à la défection de ses amis ou prétendus tels ou d’une partie des membres de sa coalition, conduisait ce dernier à démissionner sans attendre que la confiance lui fût refusée. Ainsi privait-on l’exécutif des moyens de gouverner sans prendre pour autant directement la responsabilité de sa chute.

C’est sur l’initiative des ministres d’État, Pierre Pflimlin et Guy Mollet, tous deux anciens présidents du Conseil, que les dispositions actuelles de l’article 49, alinéa 3, ont été incluses dans notre Constitution. C’était le fruit de leur expérience parlementaire.

L’objet de l’article 49, alinéa 3, est double.

Il est en premier lieu de contraindre une majorité craintive ou rétive à adopter tout ou partie d’un texte à laquelle elle est opposée, mais que le gouvernement estime indispensable à la poursuite de sa politique.

Il répond, en second lieu, au souci de mettre un terme à une obstruction parlementaire continue, plus connue sous le nom de filibuster, qui retarde le vote de la loi de manière systématique et bloque l’action gouvernementale.

Le Premier ministre nous a dit tout à l’heure que c’est cette forme d’action qui s’était développée, mais le fait qu’elle se soit développée récemment n’enlève rien au problème auquel on doit faire face avec une majorité rétive.

Pour Michel Debré, l’arme de l’article 49, alinéa 3, est l’ultima ratio. Elle ne saurait être utilisée que pour les projets que le gouvernement juge essentiels, et son abus constitue une preuve de faiblesse, car il traduit le manque de confiance de la majorité à l’égard de l’exécutif et il contribue – c’est un fait – à caricaturer et à affaiblir la fonction parlementaire.

La motion de censure constitue, quant à elle, le pendant et la réplique à l’article 49, alinéa 3, car il est normal que l’opposition cherche, même si elle ne parvient pas à renverser le gouvernement, à dénoncer la politique du projet de loi qu’elle réprouve.

Ainsi, chacun est amené à prendre ses responsabilités, la majorité en se solidarisant avec le gouvernement lorsque sa confiance est sollicitée, et l’opposition en témoignant de manière solennelle sa méfiance à l’encontre de ce même gouvernement et en appelant très logiquement à sa démission.

L’utilisation parfois hors de propos de l’article 49, alinéa 3, par certains gouvernements a conduit à la mise en cause du dispositif. Faut-il rappeler, mes chers collègues, que cet article a été invoqué trente-neuf fois entre le 23 juin 1988 et le 3 avril 1993, dont vingt-huit fois par le gouvernement de Michel Rocard ?

Quelle innovation nous propose-t-on pour cet article ? Un encadrement, en limitant le recours à ce dernier pour les seuls projets de loi de finances et projets de loi de financement de la sécurité sociale et en restreignant son usage pour un seul autre texte par session ou à un texte au cours d’une session extraordinaire.

Les restrictions apportées par la nouvelle rédaction de l’article 49, alinéa 3, sont dangereuses pour le Gouvernement. L’impact de cet article procède de sa capacité dissuasive.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Or, comme l’a dit tout à l’heure M. Jean-Pierre Raffarin, une arme qui ne peut servir qu’une fois est à l’avenir dépourvue de crédibilité.

De plus, nous travaillons avec le postulat que nous aurons toujours une majorité parlementaire. Or l’expérience nous montre que cette garantie n’existe pas pour la nuit des temps. En 1967, la majorité parlementaire n’a tenu qu’à une voix. En 1988, elle était très mince. Pour peu que soit un jour réintroduite, comme en 1986, la représentation proportionnelle rêvée par certains, on assistera inévitablement au retour des majorités improbables, des alliances douteuses et des coalitions instables.

Prises isolément, les mesures adoptées accordant aux assemblées une plus grande maîtrise de l’ordre du jour ainsi que la délibération en séance plénière du texte issu des travaux de la commission ne sont pas en elles-mêmes dangereuses ; mais conjuguées à la limitation de l’article 49, alinéa 3, elles peuvent conduire une majorité frileuse ou frondeuse à paralyser durablement l’exécutif.

Le gouvernement, placé dans une situation où il n’a pas la majorité, devra négocier l’inscription de ses projets à l’ordre du jour, l’adoption de ses amendements en séance plénière et compter, sinon avec l’obstruction, du moins avec un combat retardateur de sa majorité, d’autant plus soutenu que le recours à l’article 49, alinéa 3, aura été épuisé en une seule fois, au cours d’une session qui dure sept mois. L’issue de ce combat ne fait aucun doute : c’est l’inertie, l’attentisme et l’inaction qui guettent un gouvernement étrillé avec, en prime, le discrédit.

Les rédacteurs du projet de loi, en proposant que le recours à la motion de confiance ne puisse porter que sur un seul texte, non financier, ont tenté de désamorcer la critique, mais il ne s’agit que d’une demi-mesure. Le véritable débat, c’est de savoir s’il faut maintenir ou supprimer l’article 49, alinéa 3 ; ce n’est pas de le rafistoler.

L’amendement de la commission des lois rétablit l’article dans sa rédaction originelle, assorti d’une consultation de la conférence des présidents. Je le voterai en souhaitant que cette rédaction ne fasse pas les frais d’un compromis ultérieur, bien que je sois sans trop d’illusion sur ce sujet, monsieur le secrétaire d’État.

Il paraît que, dans d’autres enceintes, d’aucuns s’étonneraient que le Sénat puisse émettre une opinion sur cette question au motif qu’il n’est pas directement intéressé par cette disposition.

Ainsi, en tant que Français, j’ai le droit d’avoir une opinion sur l’article 49, alinéa 3, mais cela m’est dénié en tant que parlementaire et en tant que sénateur !

Je prétends que cette affaire intéresse le Parlement dans son ensemble, car il s’agit de l’équilibre des pouvoirs. Aucune des dispositions du projet de loi constitutionnelle ne doit nous être étrangère.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Mes chers collègues, avant de nous prononcer sur la réforme qui nous est présentée, je citerai le général de Gaulle évoquant le gouvernement dans la Constitution de 1946 : il disait n’y avoir vu figurer ni le mot ni la chose. Je souhaite, quant à moi, non seulement que l’on conserve le mot, mais encore que l’on n’altère pas la chose.

Au moment où j’approche de mon soir, je ne veux pas revoir les temps de ma jeunesse où la République était impuissante, absente et discréditée.

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – MM. Jean Arthuis et Michel Mercier applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce n’est pas parce qu’il prend la forme de dispositions multiples, et apparemment disparates – M. Alfonsi a parlé tout à l'heure de projet « fourre-tout », voire « baroque », mais le baroque n’est-il pas un grand style architectural digne de respect et de considération ? –, que le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République manque de cohérence.

Il est en réalité, vous le savez bien, mes chers collègues, profondément cohérent dans sa démarche, qui tend, il faut le répéter, à rééquilibrer notre démocratie en faveur du Parlement, et sur certains points, plus exploratoires peut-être – mais il faut vivre avec son temps –, en faveur des citoyens eux-mêmes.

Ce n’est pas parce que ce texte fournit une fois de plus l’occasion d’engager des confrontations entre la droite et la gauche et de susciter des réactions contradictoires, qui unissent en réalité dans un même combat conservateur l’inquiétude quelque peu fétichiste des uns et la surenchère des autres, qu’il nous faut perdre de vue qu’il s’agit non pas d’une réforme parmi d’autres, mais d’une occasion unique et, disons-le, inespérée d’opérer une mutation profonde de notre régime politique, de réanimer ce dernier après une trop longue période d’enlisement ayant débouché, comme souvent dans notre histoire, sur l’impuissance des pouvoirs publics face aux manifestations de rues : rappelez-vous ces dernières, il n’y a pas si longtemps, remplaçant une opposition inexistante et élevées à la dignité de contre-pouvoirs, en dépit de leur caractère partiel et irresponsable. Jean Giraudoux déjà avait écrit De pleins pouvoirs à sans pouvoirs !

Saluons donc cette entreprise qui apportera peut-être – admettons-le et faisons confiance à l’avenir – aux institutions de la Ve République le tempérament qui leur manque depuis le profond bouleversement de l’élection du Président de la République au suffrage universel.

Je n’ai pas besoin d’évoquer, à mon tour, les conséquences profondes que ce phénomène a eu sur notre vie politique, aboutissant, année après année, élection après élection, à un certain affaissement ou, en tout cas, à un découragement du pouvoir du Parlement, dont l’absentéisme est le signe le plus visible et, quelquefois, le plus affligeant. Nous en avons eu la preuve voilà quelques jours encore !

Tout en saluant la démarche entreprise et en nous efforçant de la rendre efficace, grâce notamment aux mesures évoquées tout à l'heure par M. Mercier et auxquelles le groupe de l’UC-UDF attache une grande importance, est-il permis de douter que cette réforme suffise à désenliser notre vie publique, …

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

… alors qu’elle n’ose s’attaquer à l’épineuse question du cumul des mandats, dont personne ne parle beaucoup ces temps-ci ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Je vous remercie, cher ami ! Je constate une fois de plus notre convergence de vues !

Non pas que ces mesures soient mineures et ne sauraient peser dans la balance, si je puis dire, mais il me semble que l’on a cédé tout à l'heure à la polémique en parlant de « pschitt », certes de manière peut-être oratoire. Le poids de nos habitudes et de nos routines risque en effet d’être plus grand encore. La vérité, disons-le, c’est que nul ne sait d’avance ce que donne telle ou telle réforme, car nul n’est prophète en ce domaine.

Je me souviens – j’étais alors au cabinet de Jean Lecanuet, alors garde des sceaux – de la réforme engagée par le Président Valéry Giscard d’Estaing permettant à soixante parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel, réforme qui a suscité à l’époque le scepticisme général au sein des milieux politiques. Or voyez le chemin parcouru et la profonde transformation opérée !

Dans cette perspective, je m’interroge sur le point de savoir si une mesure plus radicale, plus clarificatrice et plus mobilisatrice ne serait pas la bienvenue. Vous l’aurez deviné, je pense, rejoignant M. Baylet, au régime présidentiel pur et simple – pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom et revenir à un schéma qui porte en lui une si grande évidence ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

La présente réforme nous en rapproche sensiblement, mes chers collègues, sans oser franchir l’étape décisive, comme le montre le débat autour de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, une étape dont le Premier ministre ne nous a pas caché tout à l'heure qu’elle aurait eu sa préférence.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Est-il permis d’évoquer les avantages que présenterait une telle solution, qui supprimerait la pseudo-responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale, qui n’est en réalité que la garantie de l’affaiblissement du Parlement, voire quelquefois d’une sorte de démission silencieuse de ce dernier ?

Une telle mesure ne changerait guère la vie publique de l’exécutif, telle qu’elle a été établie avec l’élection du Président de la République au suffrage universel, le quinquennat et l’enchaînement des élections, car tout fonctionne efficacement.

En revanche, en affranchissant le Parlement, c’est-à-dire en lui faisant confiance – la confiance est beaucoup plus féconde que la simple loyauté, qui présente un caractère assez passif –, celui-ci retrouverait la capacité et le goût d’assurer d’une manière plus créative ses responsabilités. Cette mesure permettrait de rendre l’Assemblée nationale plus représentative du pluralisme français, puisque l’on n’aurait plus le souci de la voir se constituer en une majorité compacte. Plus profondément, en allégeant dans nos débats le poids des clivages partisans, on éviterait des affrontements souvent stériles, dont nous ne sommes pas particulièrement fiers, les remplacant par des majorités d’idées qui répondent, avouons-le, tellement mieux aux problèmes de notre temps.

De bons esprits s’inquiéteront des risques de blocage d’un tel système, car, compte tenu de notre tempérament, le goût de la confrontation l’emporte souvent, à tout le moins quelquefois, sur celui de la composition. Aussi nous faudrait-il envisager l’hypothèse d’un Président ne parvenant pas à faire voter des lois nécessaires ou devant subir de la part du Parlement des lois qui lui paraîtraient dangereuses. Au-delà du fameux principe des checks and balances américain, qui correspond à une situation totalement différente, à un modus vivendi et à des traditions, il nous faut imaginer une solution plus efficace qui nous permettrait de parler d’un régime présidentiel « à la française ». Mais je reviendrai sur ce sujet lors de l’examen des articles.

Dans cet esprit, mes chers collègues, avec quelques amis du groupe de l’UC-UDF, nous vous soumettrons des amendements dans l’espoir sinon de bousculer l’ordre des choses dans l’immédiat, du moins d’enrichir le débat et de l’élever au-dessus des questions particulières – ce ne sera peut-être pas un mal ! – dans lesquelles il pourrait s’enliser au fil des jours et des nuits, dans la perspective d’une étape ultime qui mettrait fin à la confusion paralysante que nous connaissons…

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

M. Pierre Fauchon. …et dont la présente réforme, si bienvenue soit-elle, aura quelque mal à nous faire sortir.

Applaudissements sur les travées de l ’ UC-UDF et de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Mauroy

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le 4 octobre prochain, la Constitution de la Ve République aura cinquante ans. Certes, ce point a déjà été souligné mais, en ce jour, il faut le répéter.

Mis à part les lois constitutionnelles de la IIIe République, la Constitution de 1958 bat le record de longévité des quinze constitutions que la France a connues depuis 1789. Qu’on le veuille ou non, les institutions qu’elle a instaurées ont au moins eu le mérite de s’être adaptées sans heurt majeur aux contextes politiques et sociaux très différents qui se sont succédé au cours de ce demi-siècle. Elles auront survécu à vingt-trois modifications constitutionnelles et même permis, à trois reprises, la cohabitation d’un président et d’un Premier ministre de bords politiques opposés.

Je m’associe pleinement aux hommages rendus au général de Gaulle et à François Mitterrand, le premier pour avoir été le fondateur de cette Constitution, le second pour l’avoir maintenue.

Pourquoi réformer cette Constitution une nouvelle fois ?

À l’évidence, une réforme de la Constitution ne peut répondre à elle seule à la crise persistante du politique qui sévit depuis des années en France, ainsi qu’en Europe d’ailleurs. Elle peut toutefois y contribuer. C’est pourquoi les socialistes ne sont pas hostiles à cette démarche, loin de là. Ils la jugent même nécessaire aujourd’hui. Toutefois, ils ne veulent pas du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République dont nous débattons cet après-midi, et qui est loin de faire l’unanimité au sein même de la majorité !

Avant moi, Jean-Pierre Bel, Bernard Frimat et Robert Badinter ont déjà exposé les principales raisons de l’opposition des parlementaires socialistes au projet qui nous est soumis.

Pour ma part, j’insisterai plus particulièrement sur deux aspects essentiels à mes yeux, à savoir le renforcement, au détour de l’article 7 du texte, de la présidentialisation du régime institutionnel français et la question du Sénat, qui nous concerne.

La révision constitutionnelle de 1962, qui a instauré l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, a bien sûr conféré un tour présidentialiste à nos institutions, même si la caractéristique d’un régime parlementaire, à savoir la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, est maintenue.

L’émergence du fait majoritaire, puis, en 2000, l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ont encore accentué la prééminence du Président de la République, qui cumule les prérogatives d’un Premier ministre parlementaire et d’un président élu. De grâce, mes chers collègues, n’allons pas plus loin !

Or, l’article 7 du projet de loi constitutionnelle, tel qu’il a été adopté par la majorité de l’Assemblée nationale et qui modifie l’article 23 de la Constitution, sous un aspect que certains peuvent juger anodin, pose en fait la question de la nature même de notre régime institutionnel. Cet article prévoit que le Président de la République « peut prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. Sa déclaration peut donner lieu, hors sa présence, à un débat qui ne fait l’objet d’aucun vote ».

Ne nous y trompons pas, cette disposition, nouvelle dans notre Constitution, symbolise une évolution vers un régime présidentiel, et donc une personnalisation du pouvoir que l’actuel Président de la République appelle sans doute de ses vœux et qu’il met d’ailleurs déjà en pratique.

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Mauroy

Je sais que, à droite comme à gauche, certains sont favorables à un « présidentialisme à la française ». Pour ma part, j’y suis opposé, comme la majorité des socialistes. C’est la raison pour laquelle nous défendrons tout à l’heure, comme l’ont fait les députés socialistes, un amendement de suppression de l’article 7 du projet.

En effet, le régime présidentiel ne correspond ni à l’histoire politique de notre pays, ni au souhait des Français qui se souviennent – en tout cas ceux qui aiment l’histoire – que la seule expérience de régime présidentiel que la France ait connue, de 1848 à 1851, sous la IIIe République, a abouti au coup d’État du 2 décembre 1851 et à l’instauration du second Empire. Et je ne parle pas des pleins pouvoirs accordés à Pétain qui ont mis fin au régime parlementaire car, là, nous sommes hors norme, hélas !

Enfin, la tradition républicaine française ne permet pas d’importer un système à l’américaine, dont les règles d’équilibre entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire, comme l’organisation de la vie politique, sont très différentes des nôtres.

Dès lors, qu’apporterait la venue du Président de la République devant le Parlement réuni en congrès ? Nicolas Sarkozy explique que, « puisque le Président gouverne, il doit être responsable ». Certes, mais devant qui ? Dans la mesure où le Gouvernement a renoncé à faire du chef de l’État le chef de l’exécutif en ne modifiant pas l’article 20 de la Constitution, cette venue n’a pas de sens. Il ne peut pas être responsable devant le Parlement, alors que lui-même est doté de la même légitimité que celle des parlementaires, celle du suffrage universel direct. Aucune des deux légitimités ne pouvant être supérieure à l’autre, le Président de la République ne peut être responsable que devant les seuls électeurs !

Cette prise de parole du Président devant le Congrès ne ferait qu’ajouter à la confusion entre les deux têtes de l’exécutif, dont les rapports sont parfois difficiles, voire signerait la fin de la fonction de Premier ministre telle qu’elle est conçue dans la Constitution. Cette dualité n’a finalement pas si mal marché depuis cinquante ans. Personnellement, je ne m’en plains pas pour la part que j’y ai prise, dans une harmonie que l’on a d’ailleurs souvent soulignée entre le Président et le Premier ministre. Ce qu’en pense le Premier ministre actuel, je ne le sais pas. Peut-être nous fera-t-il un jour des confidences ? Quoi qu’il en soit, nous devons conserver cette dualité.

La répartition des rôles entre le Premier ministre et le Président de la République a incontestablement permis une souplesse de fonctionnement, le plus souvent favorable au Président, qui tire sa force de la fonction d’arbitre que lui confie l’article 5 de la Constitution et qui le place au-dessus des contingences politiciennes. À lui de garder la force et la sagesse de cette fonction d’arbitre. Pourquoi aller plus loin ?

Mes chers collègues, vous l’aurez compris : je suis, avec beaucoup, un partisan convaincu du régime parlementaire. Dans ce cadre, je me suis prononcé à de nombreuses reprises, d’abord devant la commission Vedel voilà maintenant quelques années, en faveur d’un Président de la République élu pour un mandat de sept ans non renouvelable. Mais je suis réaliste ; le temps a passé et l’on ne reviendra pas sur le quinquennat.

Dès lors, il me semble qu’il faut prendre notre système tel qu’il est. Ne nous mettons pas tous à rêver !

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Mauroy

Prenons notre système tel qu’il est, avec ses forces et ses faiblesses, et, au contraire de ce que l’on nous propose, renforçons l’aspect parlementaire. Si réforme de la Constitution il doit y avoir, j’ai la conviction que l’urgence porte aujourd’hui sur le rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement. Tout le monde l’affirme, mais faisons-le et faisons-le vraiment ! Donnons au Parlement français une place comparable à celle dont disposent les parlements dans les grandes démocraties européennes de type parlementaire et, finalement, établissons un véritable équilibre !

J’en viens à une autre question qui nous touche et qui me touche particulièrement – combien de fois d’ailleurs l’ai-je abordée à cette tribune ! –, la question du Sénat.

La réforme proposée contient, certes, quelques avancées qui ont été évoquées au cours de ce débat, mais elles sont largement en deçà de ce que l’on pouvait attendre. En outre, certaines d’entre elles ne laissent pas d’être inquiétantes. L’article 18 du texte, par exemple, peut être interprété comme rendant possible une restriction du droit d’amendement des parlementaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Mauroy

Dans cette volonté affichée du Gouvernement de renforcer les droits du Parlement et de l’opposition, la question de la démocratisation du Sénat est centrale. Elle l’est pour moi, elle l’est pour les socialistes. Je me suis déjà exprimé sur cette question ici même voilà deux semaines, lors de la discussion de la proposition de loi socialiste relative aux conditions de l’élection des sénateurs, texte dont vous avez refusé de débattre sur le fond et que vous avez rejeté.

Mais comment peut-on sérieusement vouloir renforcer le Parlement et s’opposer à ce que l’une des deux chambres qui le composent soit dans l’impossibilité de connaître jamais l’alternance ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Mauroy

C’est une question qui paraît de bon sens ; pourtant, vous répondez toujours de la même manière !

Il ne peut pas exister deux types de sénateurs : les uns comblés – je me tourne vers la majorité ; les autres condamnés à perpétuité à rester dans l’opposition !

Protestations sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Mauroy

Le rejet de notre proposition de loi nous a fait douter de la sincérité du Gouvernement et de sa majorité de vouloir réellement faire progresser notre démocratie !

Mais le coup de grâce semble avoir été donné par les sénateurs de droite qui, la semaine dernière en commission des lois, ont poussé la provocation jusqu’à prétendre sceller dans le marbre constitutionnel, contre tout usage, un mode d’élection des sénateurs empêchant à tout jamais l’alternance dans notre assemblée ! C’est un véritable déni de démocratie sur lequel M. Frimat s’est parfaitement exprimé. J’espère que l’examen en deuxième lecture permettra de revenir sur ce point, car cela est totalement inacceptable !

J’observe d’ailleurs que, plus vous perdez de représentativité auprès des collectivités territoriales, plus vous exprimez une volonté de garder un Sénat captif.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Mauroy

On y est : c’est ce qui se passe actuellement !

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Mauroy

Sur ce sujet, devenez moins intransigeants, car plus vous le serez et plus nous serons combatifs ! C’est un combat que nous essayerons de gagner et qu’un jour nous gagnerons. Il s’agit en effet d’un pied de nez à la démocratie, à notre Constitution et, finalement, à la République !

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Mauroy

Il est absolument indispensable de régler ce problème.

Dès lors, les sénateurs socialistes ne peuvent, en première lecture, qu’émettre un vote négatif sur ce projet de loi, qui risque fort d’être celui d’une occasion manquée et qui présage bien mal de son propre avenir !

Si, comme nous, vous souhaitez une Constitution modernisée qui soit digne de la République, à vous d’accepter une réforme démocratique du Sénat ! La suite des événements en dépend. Mais si vous ne le voulez pas, le débat sera porté devant le peuple, j’en suis persuadé, et j’espère bien que nous gagnerons.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la réforme institutionnelle qui nous est soumise aujourd’hui est importante. Elle l’est parce qu’un tiers des dispositions de notre Constitution sont modifiées. Elle l’est aussi car elle concerne au premier chef une institution de la République qui nous tient tous particulièrement à cœur : le Parlement. « Rationalisés » en 1958, selon le terme consacré, ses pouvoirs sont très sensiblement renforcés dans le projet qui nous est soumis.

Les principaux éléments de cette revalorisation – le partage de l’ordre du jour, les droits reconnus à l’opposition, l’examen en séance du texte de la commission, ce qui, n’en doutons pas, changera considérablement les conditions de l’élaboration de la loi, l’avis sur les nominations les plus importantes, etc. – nous ont été clairement exposés par le rapporteur et président de notre commission des lois, dont je tiens à saluer ici l’écoute et la très grande qualité du travail accompli.

Les nouvelles prérogatives attribuées au Parlement me paraissent répondre à une double exigence et me semblent nous lancer un double défi.

Je commencerai par la double exigence.

La réforme présentée répond d’abord à une exigence d’équilibre des institutions.

Cela a été souligné à plusieurs reprises, les institutions de la Ve République constituent l’un des legs majeurs du général de Gaulle à la France. Il les voulait solides. Depuis 1789, seules les institutions de la IIIe République auront duré plus longtemps ; le président Hyest l’a rappelé. Le général de Gaulle a voulu que les institutions garantissent la stabilité gouvernementale. La France n’est plus le pays qui avait le privilège peu glorieux de changer de Premier ministre tous les six ou huit mois sous la pression des assemblées.

On a trop tendance à oublier cette exigence d’équilibre à laquelle répondent ces institutions. Le président Henri de Raincourt rappelait le discours prononcé à Bayeux par le général de Gaulle : « Mais aussi tous les principes et toutes les expériences exigent que les pouvoirs publics : législatif, exécutif, judiciaire, soient nettement séparés et fortement équilibrés ».

Aujourd’hui, cette exigence d’équilibre, qui répond aussi à des préoccupations exprimées par des forces qui ne soutiennent pas le Gouvernement, a besoin d’être revisitée. Depuis 1958, l’élection du Président de la République au suffrage universel, le fait majoritaire et, dernièrement, le quinquennat, puis l’inversion de la succession des élections législatives et présidentielles ont transformé une Constitution faite pour protéger des majorités fragiles contre les minorités turbulentes en un instrument d’accentuation de la bipolarisation de notre vie politique.

Sous les IIIe et IVe Républiques, la faiblesse de l’exécutif et la toute-puissance parlementaire annihilaient l’efficacité gouvernementale. Il y avait là une source d’altération du fonctionnement démocratique de notre pays. La Constitution de 1958 a corrigé la situation.

Mais la donne a changé depuis ! Le fait majoritaire, c’est-à-dire la constitution de majorités stables à l’Assemblée nationale, est une constante depuis 1962. C’est lui, le fait majoritaire, qui fonde la prééminence du Président de la République quand les majorités présidentielles et parlementaires coïncident. C’est ce fait majoritaire qui assoit le pouvoir du Premier ministre en cas de cohabitation.

Or, avec le quinquennat et la tenue des élections législatives juste après l’élection du Président, les cas de cohabitation paraissent désormais voués à devenir la grande exception. Dans un tel contexte, qui pousse d’ailleurs à une évolution des fonctions de Premier ministre, les mécanismes constitutionnels mis en place à l’origine pour faire barrage à la toute-puissance parlementaire sont devenus surabondants. Ils tendent à constituer une gêne pour la vitalité du débat démocratique, dont le Parlement doit redevenir le lieu d’exercice.

Voilà pourquoi il me semble que la puissance de l’exécutif justifie désormais l’attribution aux assemblées d’instruments nouveaux leur permettant d’exercer pleinement leur rôle de contre-pouvoir, sans pour autant ouvrir la voie à un retour aux errements du « parlementarisme absolu ».

Le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis répond également à une exigence de meilleure participation de l’opposition à la vie parlementaire.

Les articles1er, 22 et 24 du projet de loi constitutionnelle introduisent une novation dans notre Constitution : ils reconnaissent et organisent des droits particuliers pour l’opposition, intégrant dans notre droit ce que le Parlement anglais pratique depuis des siècles. Selon moi, une telle reconnaissance est légitime et inséparable de la revalorisation du rôle du Parlement.

Le rôle confié à l’opposition pourrait aussi favoriser un affermissement de l’autonomie du Parlement. Ne s’agit-il pas d’introduire un facteur qui permettra d’atténuer naturellement le poids du dialogue parfois trop singulier, voire à sens unique, qui se noue entre majorité parlementaire et Gouvernement, et ce quelles que soient les majorités ?

La voie ainsi tracée dans la Constitution peut et doit être approfondie par notre règlement et notre pratique. En définitive, qu’est-ce que le respect de l’autre, sa reconnaissance, l’acceptation d’un regard différent sur les réalités politiques et sociales ? Ce ne sont pas seulement des valeurs constitutionnelles ; ce sont également et surtout des valeurs républicaines, inséparables d’une conception dynamique du parlementarisme. À nous aussi d’imaginer la manière de mieux les inscrire dans la vie de nos assemblées, sans bien sûr entraver la logique démocratique qui légitime la décision des majorités élues.

C’est pourquoi je suis convaincu que la réforme de notre règlement, qui va inéluctablement suivre la révision constitutionnelle en cours, sera un moment particulier et fort de la vie de notre assemblée. Ce sera un acte essentiel pour lui donner un nouvel élan.

Paradoxalement, cette réforme favorable au Parlement lui lance un double défi.

Ce défi s’adresse tout d’abord à l’opposition parlementaire. M. Pierre Mauroy vient de l’évoquer, nos collègues du groupe socialiste se trouvent aujourd’hui confrontés, par le biais de cette réforme, à un choix.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Ils appartiennent à une famille de pensée qui, depuis plus de quarante ans, réclame, comme d’autres sensibilités qui s’expriment aujourd’hui au sein de la majorité, une revalorisation du rôle du Parlement. Cette revendication n’est pas seulement intellectuelle. Elle s’appuie sur la fidélité à une expression démocratique que la tradition politique dont ils sont les héritiers a su illustrer sous les Républiques précédentes.

En 1967, André Chandernagor, qui fut par la suite ministre du gouvernement de Pierre Mauroy, a écrit un essai qui a nourri les réflexions de générations de juristes et forgé l’opinion de nombreux constitutionnalistes. Son titre Un Parlement, pour quoi faire ? est à lui seul un programme. Cet ouvrage n’a pas tellement vieilli, même si ses références marquées au Plan sont maintenant datées.

Ce qui me frappe, mes chers collègues, c’est que l’essentiel de ce que préconise André Chandernagor se trouve satisfait par le projet de loi constitutionnelle que nous examinons.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Il réclamait des « droits nouveaux pour le Parlement » ; il est proposé de les instituer. Il revendiquait « des droits à la minorité » ; la Constitution réaménagée qui nous est présentée instaure un statut de l’opposition.

L’une des idées défendues était d’augmenter de « deux à trois » le nombre de commissions permanentes. C’est justement le chiffre deux qui figure dans le projet de loi, alors même que le rapport de la commission Balladur retenait celui de quatre. Que dire de plus ?

Le Président de la République ayant confirmé la tenue du Congrès, l’opinion sera juge de la cohérence de chacun, à Versailles, au travers de son vote !

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Il n’y aura pas de Congrès ! Vous le savez bien !

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Pour ma part, je voterai la réforme qui nous est présentée telle qu’amendée par la commission des lois, parce qu’elle nous donne les moyens d’une réelle modernisation de notre vie publique.

Parallèlement, l’évolution qui nous est proposée constitue aussi, me semble-t-il, un défi pour le Sénat.

Les neuf dixièmes des dispositions du projet de loi constitutionnelle concernant les assemblées confèrent au Sénat des pouvoirs égaux à ceux de l’Assemblée nationale, ce qui est cohérent ! Dès lors que, avec le quinquennat, la logique d’un gouvernement de législature repose sur le Président de la République et sa majorité au Palais-Bourbon, il me semble avisé d’assurer l’équilibre des nouvelles relations de pouvoir en confortant le rôle du Sénat.

Une telle situation conduit à un renforcement objectif de la place de notre assemblée au sein des institutions. En effet, il nous faut bien avoir conscience de cette nouvelle donnée : en fait et en droit, le Sénat devient le lieu central de l’altérité institutionnelle.

Le Sénat n’est-il pas le seul des quatre pôles du pouvoir d’État ne découlant pas des résultats du suffrage uninominal à deux tours, qui préside aux élections présidentielle et législatives et, par là même, à la désignation du Premier ministre ? Représentant les collectivités territoriales, le Sénat ne tire-t-il pas sa légitimité d’une autre source que la stricte loi du nombre, en combinant représentation des populations, des territoires et des Français de l’étranger ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Ne pouvant être dissous, le Sénat n’assure-t-il pas la continuité indispensable à la stabilité de la République, dès lors que les deux autres pouvoirs élus nationalement voient leur mandat s’achever dans le même temps ? Le mandat de sénateur, dont la durée est de six ans, n’est-il pas désormais le seul mandat national qui n’obéisse pas au rythme du quinquennat ?

Sans toutes ces différences, n’y aurait-il pas monovalence à la tête de notre République ?

Si j’osais une image, …

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. Gérard Larcher.… je dirais que le Sénat se révèle désormais celle de nos institutions qui, par la spécificité de son recrutement, de ses fonctions et de la durée du mandat, assure une vision binoculaire à l’action des pouvoirs publics.

Bravo ! sur les travées de l ’ UMP. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Avec la Constitution révisée qui nous est proposée, cette fonction d’altérité sera, plus que ce ne fut le cas hier, impulsée par le droit. L’altérité affermie du Sénat augmentera le poids de ses responsabilités ; il ne s’y dérobera pas. C’est cela qui constitue, sans nul doute, un défi d’avenir pour notre assemblée et pour ses membres.

Je suis, pour ma part, confiant et persuadé que notre assemblée sera à la hauteur des enjeux.

Avec votre autorisation, monsieur le président, je me permettrai d’ajouter quelques remarques complémentaires pour préciser ma pensée, avec le plus grand respect, après l’intervention de M. Pierre Mauroy.

Le Sénat a déjà amplement démontré qu’il ne craignait pas la réforme, puisqu’il s’est déjà réformé. Un rendez-vous est d’ailleurs fixé en 2014.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Je ne pense pas que l’alternance soit impossible dans notre assemblée. Une telle possibilité sera d’ailleurs offerte dans ce cadre.

Quoi qu’il en soit, n’utilisons pas un débat constitutionnel qui revalorise le Parlement et refonde fondamentalement l’équilibre des pouvoirs pour évoquer des sujets qui ne relèvent pas de la Constitution. Si ces questions, comme toutes les questions, sont légitimes, elles ne doivent pas peser sur le choix qui interviendra à Versailles.

Bravo ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à vingt heures vingt-cinq, est reprise à vingt-deux heures trente, sous la présidence de M Philippe Richert.