Issue des propositions du comité pluraliste présidé par M. Balladur, la révision constitutionnelle qui nous est présentée s’annonce également comme une profonde réforme.
Son principal objectif est de rééquilibrer nos institutions en revalorisant le rôle du Parlement.
S’il est un domaine où la notion de rééquilibrage prend tout son sens, c’est bien celui de la politique des affaires étrangères et de défense.
À cet égard, je précise que le général de Gaulle n’a jamais employé l’expression « domaine réservé » ; nous la devons au président de l’Assemblée nationale de l’époque. Au surplus, la notion n’est en rien constitutionnelle. Néanmoins, force est d’admettre que ces questions ont été traditionnellement marquées par la prépondérance de l’exécutif, non que le Parlement soit dépourvu de moyens pour exercer un contrôle sur la politique étrangère et de défense – il dispose, dans ce domaine comme dans les autres, de prérogatives importantes –, mais la volonté, partagée par les parlementaires, de l’unité de la politique étrangère et le relatif consensus qui prévalait sur ces questions ont consacré pendant longtemps une retenue volontaire dans ces domaines et ont conduit à une certaine autonomie de l’exécutif.
Cet équilibre est remis aujourd’hui en question par les aspirations de l’opinion à une transparence accrue et à un débat public sur ces questions, débat dont il est légitime qu’il se tienne dans les assemblées. En outre, le temps n’est plus, pour l’exécutif, à la conquête de prérogatives qui lui seraient disputées par un Parlement ombrageux.
Je serai clair : c’est à l’exécutif, et, en particulier, au Président de la République, élu au suffrage universel direct, qu’il incombe de conduire la politique étrangère et de défense de la France ! Cependant, celle-ci sera d’autant mieux comprise et acceptée par nos concitoyens qu’elle aura été débattue au sein des assemblées.
À cet égard, le projet de loi constitutionnelle renforce sensiblement la place du Parlement. C’est la raison pour laquelle la commission des affaires étrangères a souhaité se saisir pour avis de ce projet de loi et qu’elle a adopté plusieurs amendements visant à conforter le rôle du Parlement. J’évoquerai donc successivement les dispositions du projet de loi constitutionnelle relatives aux questions suivantes : la défense, et, en particulier, le nouveau dispositif prévu en matière de contrôle parlementaire sur les opérations extérieures ; le rôle du Parlement en matière de politique étrangère et européenne ; enfin, la procédure de ratification des projets de loi autorisant l’adhésion de nouveaux États à l’Union européenne.
En matière de défense, l’une des nouveautés du projet de loi constitutionnelle tient à la création d’une procédure de contrôle parlementaire sur les interventions des forces armées à l’étranger. Il s’agit d’un mécanisme « à double détente » : dans le cas d’une intervention des forces armées à l’étranger, le Parlement devra être informé par le Gouvernement dans un délai de trois jours et il pourra éventuellement débattre de cette intervention, sans toutefois pouvoir se prononcer par un vote ; au-delà de quatre mois, la prolongation d’une intervention sera soumise à un vote d’autorisation du Parlement.
Tel qu’il a été modifié par l’Assemblée nationale, le dispositif proposé me paraît satisfaisant ; il préserve l’équilibre entre la nécessité d’associer le Parlement et celle de ne pas empiéter sur les prérogatives de l’exécutif, dans le souci de ne pas nuire à l’efficacité des interventions militaires. En particulier, la commission des affaires étrangères aurait refusé tout système d’autorisation préalable du Parlement pour les interventions militaires à l’étranger. Un tel système, qui, au demeurant, est très peu pratiqué par nos partenaires, à l’exception de l’Allemagne, pour des raisons liées à son histoire, risquerait, en effet, de paralyser l’action de nos forces armées.
Faudrait-il attendre de réunir le Parlement pour procéder à l’évacuation en urgence de nos ressortissants d’un pays confronté à une crise soudaine ? Une telle attitude serait irresponsable, vis-à-vis tant de nos compatriotes que de nos militaires, et elle risquerait de fragiliser l’exercice par notre pays de ses responsabilités internationales.
Il est vrai que le texte laisse une certaine marge d’appréciation au Gouvernement. Ainsi, la notion d’« interventions des forces armées à l’étranger » reste à préciser.
Je souhaite que le débat sur cet article offre l’occasion au Gouvernement de préciser les critères permettant de distinguer entre les interventions devant donner lieu à une information du Parlement et les autres.
De même, le texte ne précise pas le point de départ du délai de trois jours pour l’information du Parlement. Est-ce la date de la prise de décision par le pouvoir politique ou bien le jour à partir duquel les troupes sont déployées sur le terrain ?
Compte tenu de l’important décalage temporel souvent constaté entre la date de la décision politique et l’engagement effectif de nos forces, par exemple, dans le cadre de l’EUFOR, au Tchad et en République centrafricaine, cette question n’est pas sans importance.
Là encore, la discussion de cet article pourrait permettre de préciser ce point.
Cependant, je crains que cet éclairage ne reste insuffisant et je voudrais proposer à M. le ministre de la défense de réunir sur cette question un groupe de travail auxquels participeraient les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Si le dispositif me paraît équilibré, j’avoue cependant avoir été quelque peu heurté par la disposition selon laquelle, « en cas de refus du Sénat, le Gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement sur la prolongation de l’intervention ».