…percevait-il dans ce texte, voulant sans doute ne pas être en reste, « une chance historique de renforcer les pouvoirs du Parlement ».
Avant de vous démontrer point par point que de telles affirmations relèvent de la plus pure propagande, permettez-moi une première remarque : pourquoi ne pas avoir fait confiance au Parlement pour élaborer cette révision qui, selon vous, le concerne en premier lieu ?
Comme l’indiquait un professeur de droit constitutionnel, « qu’une commission nommée par l’exécutif octroie des droits nouveaux au Parlement a quelque chose de paradoxal, presque d’indécent ». C’est ce même professeur, M. Serge Sur, qui a lancé cette formule particulièrement pertinente selon laquelle « ce prétendu renforcement du Parlement n’est que la salade qui entoure le rôti ».
Le « rôti », c’est le discours du Président de la République devant le Parlement, c’est la présidentialisation du régime, mise en place selon « la politique de l’artichaut », c’est-à-dire feuille après feuille.
Nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, dénoncent la tromperie de ce projet de loi et mettent en lumière sa vraie nature, à savoir un pas vers la présidentialisation, je dirai même vers l’hyper-présidentialisation.
Or cette baudruche se dégonfle au fil des semaines, et nous pouvons être reconnaissants à M. Hyest de ne pas masquer grand-chose dans son rapport, en exposant sans sourciller comment les droits des parlementaires, celui d’amender, celui de débattre, seraient réduits à néant ou presque.
Une cohérence profonde apparaît après décryptage. La primauté conférée au débat en commission, la restriction évidente du droit d’amendement et les nouvelles modalités de fixation de l’ordre du jour constituent une agression voilée, mais d’une rare violence, contre les acquis démocratiques du débat parlementaire.
Ces dispositions constituent un concentré des souhaits affichés depuis des décennies par les adversaires du pluralisme et de la transparence.
Le travail en commission nous est présenté comme la panacée. Or, s’il est nécessaire – et j’attache personnellement une grande importance à ce travail préparatoire, d’approfondissement –, il doit cependant demeurer le prélude de la séance publique, qui est le lieu naturel de la confrontation d’idées, de la présentation au grand jour des propositions des groupes politiques et de chaque parlementaire.
Limiter le travail législatif au travail en commission, c’est mettre à mal le pluralisme, car seuls les groupes importants disposent des moyens d’assumer une présence forte et régulière en leur sein ; c’est donc renforcer le fait majoritaire.
C’est également un coup porté à la transparence. Est-ce le modèle des commissions du Parlement européen qui vous inspire, commissions mises constamment sous pression par des milliers de lobbies qui se révèlent être un véritable fléau ?
Ainsi, le fait de discuter en séance publique sur la base du texte élaboré en commission et non plus du projet gouvernemental est-il présenté comme une avancée démocratique. Or, c’est un mensonge ! Il s’agit, en fait, d’un tour de passe-passe pour modifier profondément la nature du débat en séance publique.
Il convient de faire le lien avec cette nouvelle disposition qui précise, à l’article 18 du projet de loi constitutionnelle, que le droit d’amendement s’exerce « en séance ou en commission ».
Comme le confirme M. Hyest, c’est la conjonction « ou » qui est fondamentale. Il sera ainsi permis de contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, depuis 1990, permettait à chaque parlementaire d’amender en séance publique.
Le but poursuivi est maintenant clair : vous voulez étendre la pratique des procédures simplifiées qui interdit aux parlementaires de déposer des amendements lors de la séance plénière.
Cette procédure est aujourd’hui limitée à des textes d’une portée politique secondaire, comme les conventions internationales. Fait important, tout groupe parlementaire peut aujourd’hui s’opposer à la mise en œuvre de la procédure simplifiée et demander un examen en séance publique.
Ce qui nous est proposé aujourd’hui, c’est de généraliser le champ d’intervention de cette procédure et de retirer aux groupes la possibilité de s’y opposer, en renvoyant la décision à la conférence des présidents, donc à la majorité.
Vous évoquez, monsieur le rapporteur, une loi organique censée préciser la portée de ce nouveau dispositif. Est-il possible d’envisager une telle restriction du droit d’amendement et de la séance publique en restant dans le flou d’un renvoi à une loi organique au contour hypothétique ? Celle-ci aurait déjà dû être élaborée et présentée aujourd’hui aux parlementaires.
Avec une franchise inquiétante, M. Hyest conclut sur ce point en évoquant la possibilité d’une adoption complète des textes de lois en commission, tout en affirmant que les Français ne sont pas encore prêts à cette évolution.
Le droit d’amendement est également attaqué par un autre biais, à savoir la mise en place d’un véritable 49-3 parlementaire. En effet, les motivations de l’article 18 du présent projet de loi, exposées dans le rapport du comité Balladur, sont claires : « La principale proposition du comité est de donner à la conférence des présidents de chaque assemblée la charge de fixer une durée programmée de discussion pour l’examen des projets et propositions de lois. Cela suppose que le temps de la discussion, y compris celui consacré aux motions de procédure, à la discussion générale et à celle des articles soit réparti entre les groupes politiques […] Une fois écoulé le temps de la discussion, celle-ci serait close et l’on en viendrait au vote. En cas de besoin, la conférence des présidents disposerait de la faculté de décider qu’il y a lieu de prolonger le débat, en accord avec le Gouvernement ».
Cette tentation de réduire le débat démocratique est grave. Je constate, monsieur le rapporteur, que, dans vos commentaires sur l’article 18 du projet de loi constitutionnelle, vous n’évoquez pas cette proposition de M. Balladur. C’est pourtant la logique profonde du projet de révision qui transparaît ici, ce qui est appelé « renforcement des droits du Parlement » n’étant autre que le renforcement du fait majoritaire.
Les droits de l’opposition, de la minorité, seront foulés au pied par une conférence des présidents totalement acquise au pouvoir exécutif en place. D’ailleurs, le rapport du comité Balladur ne s’y trompe pas : il évoque cette programmation concertée de la durée des débats comme « un élément essentiel de la rénovation du travail parlementaire ».
Ainsi, pour le Président de la République et l’UMP, rehausser les droits du Parlement, c’est étouffer le droit d’amendement et réduire autant que possible la séance publique.
Le silence et l’obscurité deviendraient de ce fait les qualités nouvelles d’un Parlement modernisé, rénové !