Intervention de Robert Badinter

Réunion du 17 juin 2008 à 16h00
Modernisation des institutions de la ve république — Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Tout à l’heure, M. le Premier ministre a eu la gentillesse de rappeler que l’on doit, pour dénommer ce régime, utiliser le terme de « monocratie ». La monocratie, c’est le gouvernement d’un seul ; et c’est bien ce qu’est le régime sous lequel nous vivons.

Je citerai, parce que c’est à mon sens le meilleur commentaire que l’on puisse donner de nos institutions et leur meilleure interprétation, le propos célèbre du général de Gaulle lui-même, dans la célèbre conférence de presse du 31 janvier 1964 : « L’autorité indivisible de l’État est confiée tout entière au Président par le peuple qui l’a élu, il n’en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par lui. » C’est la parole du maître !

Le propos traduit bien la prédominance écrasante du Président de la République française dans nos institutions. Elle ne s’efface que dans un cas : celui de la cohabitation.

Depuis la réforme de 2000, cependant, qui a instauré le quinquennat et a fait se succéder élection présidentielle et élections législatives, toute hypothèse de cohabitation doit, en dehors de circonstances extraordinaires, être exclue.

C’est dans cette conjonction de l’élection directe par le peuple et de la maîtrise de la « majorité présidentielle » – c’est ainsi qu’elle se qualifie à l’Assemblée nationale – qu’il faut trouver la source de l’hyperpuissance du Président de la République française. Il n’y a pas, en effet, comme aux États-Unis, d’autonomie réelle du pouvoir législatif. Le Président américain, je le rappelle, ne peut dissoudre ni la Chambre des Représentants ni le Sénat ! La séparation des pouvoirs, de ce fait, n’est pas une formule, c’est une réalité. En France, au contraire, le Président de la République, tel que les institutions l’ont amené à être, est un véritable aigle à deux têtes : il est le maître souverain de l’exécutif, puisqu’il nomme et renvoie à sa guise tous les ministres, y compris le Premier, en même temps qu’il contrôle politiquement le pouvoir législatif via le principal parti de la majorité, dont il est le chef.

Le résultat est simple, et vous connaissez l’axiome de l’Ancien Régime : « Cy veut le Roi, cy veut la loi. » Je l’ai souvent évoqué, le Président de la République, via la majorité présidentielle, est en fait le principal législateur français.

Si l’on y ajoute le pouvoir de nomination aux grands emplois de l’État, on a la mesure de cette puissance présidentielle qui, je le répète encore, est sans équivalent. Elle est d’autant plus grande qu’elle s’exerce sans que jamais au cours du mandat la responsabilité politique du Président puisse être engagée par ses décisions : c’est tout le pouvoir, sans la responsabilité.

Ainsi, l’échec du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen n’a eu aucune conséquence politique. Et c’est bien là le paradoxe constitutionnel singulier, unique : le Président peut tout et n’est responsable de rien. Je pense que l’on ne peut pas mieux définir la « monocratie » à la française.

La vraie question, s’agissant du projet de révision, est de savoir si celui-ci réduit effectivement ou non la prédominance excessive du pouvoir présidentiel. Or, lorsqu’on analyse ce projet dans le détail, lorsqu’on suit son évolution, on constate que la réponse, hélas ! est pour l’essentiel négative. Ce n’est pas à un rééquilibrage de la Constitution que l’on vous demande de procéder, mes chers collègues ; en vérité, il s’agit tout au plus d’un léger lifting !

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