Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la réforme institutionnelle qui nous est soumise aujourd’hui est importante. Elle l’est parce qu’un tiers des dispositions de notre Constitution sont modifiées. Elle l’est aussi car elle concerne au premier chef une institution de la République qui nous tient tous particulièrement à cœur : le Parlement. « Rationalisés » en 1958, selon le terme consacré, ses pouvoirs sont très sensiblement renforcés dans le projet qui nous est soumis.
Les principaux éléments de cette revalorisation – le partage de l’ordre du jour, les droits reconnus à l’opposition, l’examen en séance du texte de la commission, ce qui, n’en doutons pas, changera considérablement les conditions de l’élaboration de la loi, l’avis sur les nominations les plus importantes, etc. – nous ont été clairement exposés par le rapporteur et président de notre commission des lois, dont je tiens à saluer ici l’écoute et la très grande qualité du travail accompli.
Les nouvelles prérogatives attribuées au Parlement me paraissent répondre à une double exigence et me semblent nous lancer un double défi.
Je commencerai par la double exigence.
La réforme présentée répond d’abord à une exigence d’équilibre des institutions.
Cela a été souligné à plusieurs reprises, les institutions de la Ve République constituent l’un des legs majeurs du général de Gaulle à la France. Il les voulait solides. Depuis 1789, seules les institutions de la IIIe République auront duré plus longtemps ; le président Hyest l’a rappelé. Le général de Gaulle a voulu que les institutions garantissent la stabilité gouvernementale. La France n’est plus le pays qui avait le privilège peu glorieux de changer de Premier ministre tous les six ou huit mois sous la pression des assemblées.
On a trop tendance à oublier cette exigence d’équilibre à laquelle répondent ces institutions. Le président Henri de Raincourt rappelait le discours prononcé à Bayeux par le général de Gaulle : « Mais aussi tous les principes et toutes les expériences exigent que les pouvoirs publics : législatif, exécutif, judiciaire, soient nettement séparés et fortement équilibrés ».
Aujourd’hui, cette exigence d’équilibre, qui répond aussi à des préoccupations exprimées par des forces qui ne soutiennent pas le Gouvernement, a besoin d’être revisitée. Depuis 1958, l’élection du Président de la République au suffrage universel, le fait majoritaire et, dernièrement, le quinquennat, puis l’inversion de la succession des élections législatives et présidentielles ont transformé une Constitution faite pour protéger des majorités fragiles contre les minorités turbulentes en un instrument d’accentuation de la bipolarisation de notre vie politique.
Sous les IIIe et IVe Républiques, la faiblesse de l’exécutif et la toute-puissance parlementaire annihilaient l’efficacité gouvernementale. Il y avait là une source d’altération du fonctionnement démocratique de notre pays. La Constitution de 1958 a corrigé la situation.
Mais la donne a changé depuis ! Le fait majoritaire, c’est-à-dire la constitution de majorités stables à l’Assemblée nationale, est une constante depuis 1962. C’est lui, le fait majoritaire, qui fonde la prééminence du Président de la République quand les majorités présidentielles et parlementaires coïncident. C’est ce fait majoritaire qui assoit le pouvoir du Premier ministre en cas de cohabitation.
Or, avec le quinquennat et la tenue des élections législatives juste après l’élection du Président, les cas de cohabitation paraissent désormais voués à devenir la grande exception. Dans un tel contexte, qui pousse d’ailleurs à une évolution des fonctions de Premier ministre, les mécanismes constitutionnels mis en place à l’origine pour faire barrage à la toute-puissance parlementaire sont devenus surabondants. Ils tendent à constituer une gêne pour la vitalité du débat démocratique, dont le Parlement doit redevenir le lieu d’exercice.
Voilà pourquoi il me semble que la puissance de l’exécutif justifie désormais l’attribution aux assemblées d’instruments nouveaux leur permettant d’exercer pleinement leur rôle de contre-pouvoir, sans pour autant ouvrir la voie à un retour aux errements du « parlementarisme absolu ».
Le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis répond également à une exigence de meilleure participation de l’opposition à la vie parlementaire.
Les articles1er, 22 et 24 du projet de loi constitutionnelle introduisent une novation dans notre Constitution : ils reconnaissent et organisent des droits particuliers pour l’opposition, intégrant dans notre droit ce que le Parlement anglais pratique depuis des siècles. Selon moi, une telle reconnaissance est légitime et inséparable de la revalorisation du rôle du Parlement.
Le rôle confié à l’opposition pourrait aussi favoriser un affermissement de l’autonomie du Parlement. Ne s’agit-il pas d’introduire un facteur qui permettra d’atténuer naturellement le poids du dialogue parfois trop singulier, voire à sens unique, qui se noue entre majorité parlementaire et Gouvernement, et ce quelles que soient les majorités ?
La voie ainsi tracée dans la Constitution peut et doit être approfondie par notre règlement et notre pratique. En définitive, qu’est-ce que le respect de l’autre, sa reconnaissance, l’acceptation d’un regard différent sur les réalités politiques et sociales ? Ce ne sont pas seulement des valeurs constitutionnelles ; ce sont également et surtout des valeurs républicaines, inséparables d’une conception dynamique du parlementarisme. À nous aussi d’imaginer la manière de mieux les inscrire dans la vie de nos assemblées, sans bien sûr entraver la logique démocratique qui légitime la décision des majorités élues.
C’est pourquoi je suis convaincu que la réforme de notre règlement, qui va inéluctablement suivre la révision constitutionnelle en cours, sera un moment particulier et fort de la vie de notre assemblée. Ce sera un acte essentiel pour lui donner un nouvel élan.
Paradoxalement, cette réforme favorable au Parlement lui lance un double défi.
Ce défi s’adresse tout d’abord à l’opposition parlementaire. M. Pierre Mauroy vient de l’évoquer, nos collègues du groupe socialiste se trouvent aujourd’hui confrontés, par le biais de cette réforme, à un choix.