Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel direct, les diverses réformes constitutionnelles, ainsi que la pratique, n’ont fait qu’accentuer la dérive présidentialiste de notre régime.
Peu à peu, les pouvoirs de l’exécutif se sont renforcés, aidés en cela par le fait majoritaire, l’inversion du calendrier électoral et l’introduction du quinquennat présidentiel.
Le parlementarisme rationalisé aura fait son temps. Il est devenu un présidentialisme irrationnel : le pouvoir du Parlement s’est progressivement affaibli et, avec lui, sa représentativité des citoyens. D’où l’enjeu de cette réforme : mieux encadrer le pouvoir exécutif et revaloriser les pouvoirs du Parlement, en d’autres termes, rééquilibrer les pouvoirs.
Lors de son discours à Épinal, le 12 juillet dernier, le Président de la République a ouvert, de manière généreuse, le débat de la réforme des institutions. Le souci de modernisation y côtoyait celui du rééquilibrage des institutions : c’était un projet ambitieux et honorable. Le Président de la République s’exprimait alors en ces termes : « Je souhaite que l’on examine concrètement tous les moyens qui permettront à notre République et à notre démocratie de progresser ».
Il nous semblait alors que toutes les questions allaient être débattues, même les plus audacieuses.
Depuis lors, le principe de réalité a prévalu sur le discours. Beaucoup de bruit pour rien, finalement !
Entre les soixante-dix-sept propositions du comité Balladur et le projet de loi constitutionnelle qui nous est présenté aujourd’hui, un fossé inexplicable apparaît. Déjà initialement incomplètes, nombre de ces propositions ont été écartées dans l’avant-projet de loi, pour se trouver littéralement bannies du projet de loi soumis à l’Assemblée nationale.
Aujourd’hui, cette réforme ressemble à une peau de chagrin : sa substance rétrécit au fur et à mesure que le temps passe, et je crains qu’elle ne se voie administrer le coup de grâce lors de son examen par le Sénat.
Que de décalage entre la volonté exprimée voilà un an et la réalité du projet que vous nous proposez ! Notre déception est à la hauteur des espoirs que nous avions placés dans cette réforme. Il faut être sincère : du programme ambitieux, il ne reste plus que des avancées timides, pour la plupart insignifiantes, parfois impraticables et, souvent, cosmétiques ou apparentées à de simples affichages médiatiques. Les questions essentielles ont été écartées : la modernisation annoncée ne sera qu’un toilettage, un léger, sans grande incidence sur la répartition des pouvoirs.
Plusieurs collègues s’étant déjà s’exprimé sur ce projet de loi constitutionnelle dans son ensemble, j’ai choisi d’intervenir sur les trois points qui me semblent fondamentaux.
Je commencerai par le premier champ de cette réforme : les nouveaux pouvoirs accordés au Parlement.
Le projet de loi tente l’impossible : rééquilibrer sans toucher aux équilibres ! En conséquence, ce souci contradictoire débouche sur des consensus mous, sans effet véritable sur la réalité de la pratique du pouvoir ni sur le partage des pouvoirs exécutif et législatif.
Vous le savez autant que moi, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, ce qui relève de la loi relève de votre majorité et procède donc de votre bonne volonté ! Une telle équation ne nous permet pas d’envisager avec sérénité l’issue de ce débat. L’opposition restera impuissante à peser dans le débat démocratique, à l’image du sort qui lui est réservé par ce projet de loi constitutionnelle.
Quel est l’intérêt de renforcer les pouvoirs du Parlement si ce dernier est « pieds et poings liés » à l’exécutif ?
Quel est l’intérêt de donner plus de pouvoirs aux parlementaires, si les droits de l’opposition sont soumis à des lois dont on sait que l’issue est à la discrétion de la majorité ?
Où est le réel contre-pouvoir à l’exécutif, appelé de ses vœux par le Président de la République dans son intervention du 12 juillet dernier ?
Où sont, en fin de compte, les nouveaux pouvoirs du Parlement, gage de ce rééquilibrage ?
On lui accorde, ici et là, quelques facultés d’émettre un avis, tout en lui rappelant que ce dernier n’a aucune valeur contraignante.
On lui permet de contrôler une prérogative de l’exécutif qui n’a été utilisée qu’une fois dans l’histoire de la Ve République : l’exercice des pouvoirs exceptionnels du Président de la République.
On lui concède des droits théoriques, qu’il ne sera peut-être jamais amené à exercer en raison du corsetage lié au fait majoritaire.
On le tient informé des interventions à l’étranger et on lui permet d’en voter la prolongation. Soit, mais qu’en est-il de l’opportunité de contrôler le maintien des soldats ?
J’espère obtenir des réponses étayées sur ces points.
J’en viens au deuxième champ de cette réforme : l’encadrement du pouvoir exécutif.
On ne peut parler de réelles avancées sur ce terrain, sauf à considérer qu’entériner une pratique représente, en soi, une avancée décisive.
La possibilité donnée au Président de la République de s’adresser directement au Parlement réuni en Congrès constitue-t-elle l’une de ces avancées ?
Comment parler de limitation du pouvoir exécutif, quand la limitation la plus symbolique, c’est-à-dire la séparation physique, symbole de la séparation théorique des pouvoirs, est balayée d’un revers de main ?
La présente réforme ne doit pas être l’occasion pour le Président de la République de se réconcilier avec les parlementaires de sa majorité ! Nous ne construisons pas un pacte de non-agression entre les membres de la majorité au Parlement et ceux au Gouvernement.
Nous construisons, aujourd’hui, un pacte pour l’avenir démocratique de notre pays. Ce pacte passe par des concessions, de la part tant de la majorité que du Gouvernement. C’est à ce seul prix que la réforme aboutira, sans être vidée de son effet utile.
Sous le prétexte de ne pas toucher aux grands équilibres de la Ve République, nous ne devons pas nous limiter à réformer pour réformer, pour le symbole du geste, sans apporter aucune réponse qui soit à la hauteur de la crise démocratique actuelle, à la crise de confiance politique constatée chez nos concitoyens. Nous ne devons pas laisser le principe de la réforme l’emporter sur son contenu. Il nous faut passer de l’incantation à l’action, mes chers collègues !
Alors que la nécessité d’une modernisation des institutions est proclamée avec force et vigueur, pourquoi nous proposer un semblant de réformes ? Pourquoi se contenter d’actualiser la dérive de notre régime vers le présidentialisme, alors même qu’il s’agit précisément de la contenir ?
Cette réforme porte en elle-même toutes les contradictions de l’action du Gouvernement : l’empressement, les vœux pieux, la longue réflexion, pour finalement n’être que de la poudre aux yeux…
« J’ai une conviction : il ne faut jamais fuir le débat ; il ne faut jamais en avoir peur ! ». Mes chers collègues, j’espère que vous ferez vôtres ces propos tenus par le Président de la République lors de son discours d’Épinal.
J’aborderai à présent le troisième champ de cette réforme : les droits des citoyens.
Chaque groupe politique, chaque sensibilité représentée dans cet hémicycle a ses propres doléances.
En cet instant, permettez-moi de vous livrer ce qui constitue à nos yeux l’objectif principal de cette réforme : une meilleure prise en compte des aspirations des citoyens et de leur représentativité, au sein d’assemblées rajeunies, féminisées et métissées, qui soient à l’image de notre société et où chacun pourra se reconnaître !
Je prends bonne note de la création d’une exception d’inconstitutionnalité, ainsi que d’un Défenseur des droits. Mais qu’en est-il d’une meilleure représentation de tous les courants politiques dans les assemblées par le biais de l’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives ?